L'océan cosmique est parcouru de courants de matière dont les flots emportent des galaxies et des amas de galaxies. Ces courants contiennent des structures que l'on pouvait voir indirectement et qui sont des vestiges d'ondes sonores dans le plasma du Big Bang avec des concentrations de matière noire. Une équipe de chercheurs, dont le Français Daniel Pomarède du CEA, pense avoir vu directement une de ces structures pour la première fois. Elle est colossale, une sorte de bulle d'un milliard d'années-lumière de diamètre.


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    C'est en septembre 2014 qu'avait été faite l'annonce de la découverte de Laniakea (« paradis incommensurable » ou « horizon céleste immense », en hawaïen), un superamas (supercluster, en anglais) de galaxies englobant le superamas de la Vierge dont fait partie la Voie lactée. On la devait à une équipe internationale d'astronomesastronomes composée de R. Brent Tully, de l'université d'Hawaï à Mānoa, d'Hélène Courtois, de l'université de Lyon I, de Yehuda Hoffman, de l'université hébraïque de Jérusalem, et de Daniel Pomarède du CEA.

    Richard Brent Tully s'était déjà fait un nom en découvrant conjointement avec J. Richard Fisher une relation permettant de déterminer la distance d'une galaxie spirale, une méthode empirique universellement connue aujourd'hui sous le nom de « loi de Tully-Fisher ». Le chercheur états-unien publie aujourd'hui un nouvel article dans The Astrophysical Journal avec Daniel Pomarède et leur collègue australien Cullan Howlett.

    Les trois hommes annoncent ainsi neuf ans plus tard la découverte de Ho'oleilana, un terme provenant du chantchant hawaïen de la création, le Kumulipo, qui évoque l'origine du monde. Il s'agit d'une des grandes structures de l'Univers observable rassemblant des amas de galaxiesamas de galaxies. En l'occurrence, une sorte de coquille sphérique d'environ un milliard d'années-lumièreannées-lumière de diamètre où se trouve une plus grande densité d'amas de galaxies avec au centre le superamas du Bouvier (Boötes, en anglais) à une distance de 820 millions d'années-lumière de la Voie lactée.

    Une prédiction vieille d'un demi-siècle

    C'est la première fois que l'on met en évidence directement une sphère de ce genre en mesurant des distances et des vitessesvitesses de galaxies pour cartographier le cosmoscosmos observable. C'est toutefois un exemple de structure déjà découverte indirectement en faisant des analyses savantes de ce que l'on appelle des corrélations statistiques dans des échantillonnageséchantillonnages des populations de galaxies et d'amas de galaxies. Ces structures sphériques sont des manifestations de ce qui a été appelé des ondes acoustiquesondes acoustiques baryoniques ou BAO (BaryonBaryon Acoustic Oscillations).

    Comme l'explique Daniel Pomarède sur TwitterTwitter, ces bulles de galaxies ont été prédites il y a presque 50 ans par le prix Nobel de physique James Peebles. Mais, en fait, elles avaient déjà été pressenties dans le cadre de ce qui avait été appelé la théorie du Big Bang froid par Andrei Sakharov dès le milieu des années 1960, quelques années avant Peebles. On ne fait aujourd'hui plus que référence aux travaux du prix Nobel avec un de ses collègues car ils concernaient la théorie du Big BangBig Bang chaud, un acquis définitif du modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie, ce qui n'est « peut-être » pas le cas de la matière noirematière noire ni de l'énergie noireénergie noire.

    Les BAO sont précisément un des phénomènes que les cosmologistes utilisent depuis des années pour mesurer les paramètres du modèle standard de la cosmologie comme la constante de Hubble-Lemaître, la courbure de l'Univers ou bien l'énergie noire. On peut considérer que Ho'oleilana est une sorte de fossilefossile du Big Bang, bien qu'il soit en quelque sorte né environ 380 000 ans après lui, au moment où le rayonnement fossilerayonnement fossile a été émis.

    Arrivé à ce point, le lecteur se demande certainement depuis un moment déjà ce que sont ces BAO, ces oscillations acoustiques baryoniques comme on les appelle parfois aussi.


    Pendant le Big Bang, selon le modèle standard, des fluctuations quantiques de densité de matière sont produites qui font s’effondrer rapidement des concentrations de matière noire. Ces concentrations attirent la matière baryonique normale formée de protons et de neutrons mais contrairement à la matière noire, ces baryons sont sensibles à la force électromagnétique de sorte que le gaz de photons baignant toute la matière s’oppose par sa pression à la matière baryonique. Il se produit alors des ondes acoustiques sphériques qui se propagent, un peu comme le feraient les ondes autour des points d’impact de gouttes de pluie dans une mare et comme le montre cette animation. Ces ondes se superposent mais quand les atomes se forment au moment de la recombinaison, la pression de radiation n’existe plus et des bulles de matière se figent. Enfin presque, car l’expansion de l’espace va ensuite les dilater. © CAASTRO

    Les BAO, des ondes sonores à la moitié de la vitesse de la lumière

    Après le début de l'Univers observable et au moins depuis la période de la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale, quelques minutes après le mythique temps de Plancktemps de Planck, l'Univers est un mélange de baryons couplés aux photonsphotons, baignant déjà dans la matière noire.

    Les fluctuations de densité de la matière noire génèrent alors des ondes sonores sphériques s'éloignant à presque la moitié de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière des zones de surdensité de la matière noire. Au moment de la recombinaisonrecombinaison, lorsque les premiers atomesatomes neutres apparaissent 380 000 ans après le Big Bang, la lumière se découple de la matière baryonique et le front de ces ondes sonores poussé par le flux de photons se fige temporairement.

    Il en résulte que des zones de surdensité de matière normale formant des coquilles (dont le diamètre est fixé par la vitesse des ondes sonores produites par les oscillations acoustiques) se forment dans le cosmos observable. Ces zones vont être des lieux privilégiés de formation de galaxies et de leur accumulation sous forme d'amas. Plus tard, la présence de plus en plus dominante de l'énergie noire (ce qui n'était pas le cas dans les premiers milliards d'années) va influer sur le taux de croissance des amas de galaxies.

    Surtout, si l'on considère un grand échantillon de galaxies sur la surface d'une sphère centrée sur l'observateur terrestre (donc à une même époque de l'histoire du cosmos et à une même distance de nous pour chaque galaxie) et que l'on en mesure les distances entre deux paires, il apparaîtra un excès de ces paires pour une valeur de distance liée à celle des coquilles de matières dont on a précédemment parlé, comme le montre la vidéo ci-dessus.


    Une excellente présentation des BAO. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time

    Une clé de l'étude de l'énergie noire

    On dispose alors d'une sorte de mètre étalon dont la longueur intrinsèque est connue à une époque donnée de l'histoire cosmique. En mesurant la valeur apparente de cette longueur pour nous, on peut en déduire une distance absolue. Et si l'on mesure différents décalages spectraux, on peut dresser une courbe reliant distance cosmologique et décalage spectral, des mesures de distance et de temps permettant d'estimer des vitesses d'expansion de l'espace à une date donnée. C'est en jouant à ce jeu, mais avec la luminositéluminosité apparente des étalons de luminosité - que sont les supernovaesupernovae SNSN Ia - que l'on a justement découvert l'expansion accélérée de l'espace depuis quelques milliards d'années.

    Or, en fonction du modèle cosmologique que l'on considère, avec ou sans énergie noire, cette dernière étant ou non une constante cosmologiqueconstante cosmologique, on n'obtient pas la même courbe. De même, le taux de croissance des amas de galaxies n'est pas le même. C'est donc une seconde manière, avec les supernovae, de démontrer l'existence de l'énergie noire et d'en explorer la nature.


    Les BAO et Ho'oleilana. © Daniel Pomarède

    Voilà pour la théorie en ce qui concerne Ho'oleilana mais pour la pratique, cette découverte est le dernier aboutissement d'un programme lancé à la fin des années 2000 par Hélène Courtois et Brent Tully sous le nom de « Cosmicflows ». Le premier était basé sur un catalogue des vitesses de 1 700 galaxies, mais au cours des années on est passé de Cosmicflows-1 à Cosmicflows-4 avec 30 000 galaxies. Daniel Pomarède est « en charge de la cartographie des catalogues Cosmicflows et de leur visualisation 3D et interactive depuis 2010 », comme l'explique le communiqué du CEA, communiqué qui conclut sur les déclarations suivantes :

    « Ho'oleilana possède les propriétés géométriques d'une oscillation acoustique de baryons prévue par la théorie, y compris la proéminence en son centre d'un superamas riche, mais elle se distingue plus fortement que prévu. Ho'oleilana est légèrement plus grand que prévu et la constante de Hubbleconstante de Hubble que l'on peut déduire de sa taille est en accord avec les mesures dans l'Univers local (les supernovae, les céphéidescéphéides...) et en tension avec les mesures faites dans l'Univers lointain (Planck avec le CMB, SDSS et les quasarsquasars...).

    De futures données plus approfondies, comme celles du Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) ou du 4MOST Hemisphere Survey pourraient permettre de détecter des structures similaires ailleurs dans l'Univers proche. Les chercheurs utiliseront ces données pour étudier et confirmer d'autres détails concernant Ho'oleilana, BAO et le taux d'expansion de l'Univers. »

    Rappelons en effet qu'il y a une tension en cosmologie entre les deux mesures principales de la constante de Hubble-Lemaître.


    En février 2023, Daniel Pomarède, cosmographe au CEA, est venu à CentraleSupélec pour parler de ses travaux de recherche sur les superamas de galaxies. © CosmiCS, le club d'astronomie de CentraleSupélec