Les étoiles à neutrons, ces astres compacts de la taille d'une capitale sur Terre environ mais contenant presque une masse solaire, ont d'abord été découvertes par des émissions radio, puis par des rayons X. Le satellite Gaia vient d'en découvrir pour la première fois sans ces rayonnements, en observant les mouvements d'étoiles de type solaire dans la Voie lactée qui leur tournent autour. On ne comprend pas vraiment comme ces systèmes binaires « sombres » se sont formés.


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    Au tout début des années 1960, alors que beaucoup doutent encore de l'existence des trous noirs, celle de l'existence d'étoiles possédant un champ de gravitation si puissant qu'il faut faire intervenir les effets de la relativité générale est prise beaucoup plus au sérieux ainsi qu'un de ses avatarsavatars, les étoiles à neutrons théorisées correctement pour la première fois, tout comme les trous noirs, par Robert Oppenheimer et ses élèves.

    Quand Jocelyn Bell fait la découverte des phares cosmiques que sont les pulsarspulsars en 1967, la radioastronome était en thèse avec Antony Hewish (ce qui l'aidera à obtenir le prix Nobel de physique en 1974 avec Martin Ryle, mais sans inclure Jocelyn Bell - ce qui fut à l'origine d'une controverse ayant des échos encore de nos jours) et tout comme son directeur de thèse, elle ne comprend pas tout de suite de quoi il en retournait. Mais rapidement, le lien est fait avec les articles autrefois écrits par Oppy : On Massive Neutron Cores, avec Georges Volkoff (inspiré par les idées du mythique physicien russe Lev Landau), et On Continued Gravitational Contraction avec Hartland Snyder.

    Les étoiles à neutrons acquirent donc leurs lettres de noblesse et encore aujourd'hui elles font l'objet d'études pour percer leurs nombreux secrets, comme on peut s'en convaincre avec un article récemment publié dans The Open Journal for Astrophysics et dont une version est en accès libre sur arXiv. On y apprend que des astronomesastronomes dirigés par Kareem El-Badry, du mythique Caltech, ont découvert ce qui semble être 21 étoiles à neutrons en orbiteorbite dans des systèmes binairessystèmes binaires avec des étoiles comme notre SoleilSoleil.


    Qu'est-ce qu'une étoile à neutrons ? Quelle différence entre ces étoiles et notre Soleil ? Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA, nous explique que les étoiles à neutrons rayonnent très peu en lumière visible, contrairement à notre Soleil. Aussi, les étoiles à neutrons ont des tailles beaucoup plus petites que celle du Soleil : une étoile à neutrons a un diamètre compris entre 10 et 15 km, contre 1,4 million de km pour le Soleil. Ce sont également des objets compacts qui contiennent une quantité importante de matière dans un volume très petit. Étudier ces étoiles permet de tester à une échelle différente les théories de physique nucléaire. © CEA Recherche

    Les premières étoiles à neutrons découvertes par leurs effets gravitationnels

    Or, comme l'explique le communiqué du Caltech accompagnant l'annonce de cette découverte, les caractéristiques et surtout l'existence de ces systèmes surprennent les astrophysiciensastrophysiciens qui ont du mal à l'expliquer avec les modèles connus de la formation de ces systèmes.

    On connaît bien sûr de nombreux systèmes binaires avec au moins une étoile à neutrons dans la Voie lactéeVoie lactée. Mais ceux avec une étoile compagne de type solaire déjà identifiés comme tels se présentaient sous la forme de deux astresastres suffisamment proches pour que les forces de maréeforces de marée de l'étoile à neutrons arrachent de la matièrematière à l'étoile solaire, donnant naissance à un disque d'accrétiondisque d'accrétion émettant en rayons Xrayons X.

    Dans le cas de ces 21 systèmes binaires, les distances entre les astres sont de l'ordre d'une à trois fois la distance entre la Terre et le Soleil. Il n'y a donc pas de disques d'accrétion et pas d'émissionémission en rayons X. De fait, ce sont les instruments du satellite de la mission Gaia qui les ont débusqués, avant qu'ils ne soient étudiés plus en détail avec plusieurs télescopestélescopes terrestres, dont l'observatoire W. M. KeckKeck sur le mont Mauna kea à Hawaï, l'observatoire de La Silla au Chili et l'observatoire Whipple en Arizona.

    La méthode employée est simple à comprendre puisqu'il s'agit de la même utilisée sous le titre des vitessesvitesses radiales avec les exoplanètesexoplanètes. En effet, le champ de gravitégravité de l'étoile à neutrons est suffisant pour faire osciller par rapport à nous chaque étoile de type solaire qui se rapproche et s'éloigne donc périodiquement, donnant lieu à des décalages spectraux par effet Dopplereffet Doppler signalant la présence des étoiles à neutrons.

    « GaiaGaia scrute en permanence le ciel et mesure les oscillations de plus d'un milliard d'étoiles, il y a donc de bonnes chances de trouver même des objets très rares... Ce sont les premières étoiles à neutrons découvertes uniquement grâce à leurs effets gravitationnels », explique El-Badry, non seulement professeur adjoint d'astronomie au Caltech, mais aussi chercheur adjoint à l'Institut Max-PlanckPlanck d'astronomie en Allemagne.


    Un exemple des mouvements de deux étoiles dans un système binaire. © ESA, Gaia, DPAC

    Nous n'avons pas encore de modèle complet de la formation de ces binaires

    On sait qu'une étoile à neutrons et le vestige d'une étoile contenant initialement au moins 8/10 massesmasses solaires et qui, selon la théorie jusqu'à présent bien corroborée par les observations de l'évolution stellaire, aurait fini par gonfler en engloutissant probablement temporairement son étoile compagne plus légère avant d'exploser en supernovasupernova de type SNSN II. Or, avec une étoile compagne de masse comparable à celle du Soleil, on devrait s'attendre à ce que l'explosion conduise les étoiles à neutrons et les étoiles semblables au Soleil à se séparer pour partir dans des directions opposées.

    Ce n'est pas le cas, ce qui fait dire à El-Badry, toujours dans le communiqué du Caltech, « nous n'avons pas encore de modèle complet de la formation de ces binaires ».

    Toujours est-il qu'il y a visiblement toute une population cachée de systèmes binaires de ce genre avec des étoiles semblables au Soleil gravitant autour d'étoiles à neutrons avec des périodes de six mois à trois ans que l'on vient donc maintenant de mettre en évidence. La plupart des systèmes récemment découverts se situent pour le moment à moins de 3 000 années-lumièreannées-lumière de la Terre en raison de la sensibilité des instruments de Gaia. Cela suggère tout de même qu'environ une étoile de type solaire sur un million orbite autour d'une étoile à neutrons sur une orbite large.


    Un début de présentation de l'histoire de la théorie des étoiles à neutrons. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © University of Sydney

    El-Badry et ses collègues chassent aussi des systèmes « sombres » similaires mais avec comme astre compact compagnon, un trou noir stellairetrou noir stellaire. Ils ont ainsi déjà plusieurs de ces systèmes à leur tableau de chasse dont Gaia BH1, qui est pour le moment le trou noir le plus proche de la Terre connu, à 1 600 années-lumière.

    « Nous ne savons pas non plus avec certitude comment ces binaires de trous noirs se sont formés. Il existe clairement des lacunes dans nos modèles d'évolution des étoiles binaires. Trouver davantage de ces compagnons sombres et comparer leurs statistiques de population aux prédictions de différents modèles nous aidera à comprendre comment ils se forment », conclut El-Badry dans le communiqué du Caltech.

    Le saviez-vous ?

    Au début des années 1930, parallèlement à la découverte du neutron, les deux astrophysiciens Walter Baade et Fritz Zwicky ont pris conscience qu’il fallait introduire en astronomie une nouvelle catégorie de novae, ces étoiles transitoires très brillantes apparaissant une seule fois dans le ciel pour ensuite disparaître à jamais et dont certaines ont été observées par les bâtisseurs du ciel qu’étaient Tycho Brahe et Johannes Kepler. Le nom qu’ils proposent alors va faire fortune : supernova. En compagnie de Rudolph Minkowski, astronome et neveu du célèbre mathématicien Hermann Minkowski, Baade se rend compte que ces supernovae (SN) peuvent également être séparées en deux types, en fonction de leurs raies spectrales et des caractéristiques des courbes de lumière montrant l'évolution dans le temps de leur luminosité. D’autres divisions s’ajouteront mais ces travaux sont à l’origine de la classification moderne avec des SN II et les SN Ia.

    Des sphères magnétiques conductrices de la masse du Soleil

    Walter Baade et Fritz Zwicky comprennent surtout que certaines supernovae sont des explosions gigantesques accompagnant l’effondrement gravitationnel d’étoiles qui vont devenir des étoiles à neutrons. L’idée est simple, en s’effondrant, la matière est comprimée au point de forcer bon nombre des électrons des atomes à se combiner avec les protons des noyaux, la réaction donnant des neutrons et des émissions de neutrinos très énergétiques. Si l’effondrement ne se poursuit pas en donnant un trou noir, ce qui reste de l’étoile occupe alors un volume sphérique de quelques dizaines de kilomètres de diamètre tout en contenant une masse de l’ordre de celle du Soleil, avec une surface contenant peut-être beaucoup de fer conducteur et très certainement des ions avec des électrons libres.

    Un point important à retenir est qu’une étoile possède un champ magnétique et un moment cinétique du fait de sa rotation. Les lois de la physique imposant la conservation du moment cinétique et du flux magnétique, l’étoile à neutrons – en fin d’effondrement après l’explosion en supernova SN II de son étoile génitrice – sera en rotation très rapide et avec un champ magnétique très amplifié.

    Mais cela, en 1967, quand Jocelyn Bell fait la découverte de pulsation périodique étrange dans le domaine radio alors qu’elle est en thèse avec Antony Hewish – qui obtiendra le prix Nobel en 1974 à sa place pour cette découverte –, la chercheuse est bien loin de l’avoir à l’esprit. Mais très rapidement, les astrophysiciens Franco Pacini et Thomas Gold vont faire le lien et poser les bases qui conduiront tout aussi rapidement à proposer des modèles pour expliquer le rayonnement radio des pulsars.

    Des générateurs radio relativistes

    En gros, les choses se passent probablement de la façon suivante. Pour un observateur fixe à la surface d’une étoile à neutrons et même dans ses profondeurs, son mouvement de rotation dans un champ magnétique le conduit à mesurer un champ électrique. C’est une conséquence de la théorie de la relativité restreinte.

    Ce champ électrique va donc accélérer les ions et les électrons en surface de l’étoile à neutrons qui se comportent comme un conducteur. L’étoile s’entoure donc d’un plasma avec des courants et qui émet des ondes électromagnétiques. Ces ondes peuvent être si intenses que les photons les composant peuvent produire aussi des paires d’électron-positron qui s’ajoutent au plasma.

    L’étoile à neutrons produit donc des flux d’antimatière et les calculs montrent aussi que le rayonnement électromagnétique est principalement émis par deux régions sur l’astre compact et de telle façon qu’il devient une sorte de phare cosmique. Lorsque, par hasard, l’un des faisceaux de ce phare est dirigé vers la Terre sur son orbite, des radiotélescopes comme celui, défunt, d’Arecibo, peuvent le détecter et constater sa variation périodique.