Des champs magnétiques encore mystérieux, peut-être en connexion avec un avant Big Bang, ont été détectés dans des filaments de galaxies. Ces filaments deviennent plus brillants et vibrent sous l'action d'ondes de choc dans le milieu matériel qui les constitue et qui baigne des amas de galaxies.
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Les observations du rayonnement fossile par le satellite Planck ne s'expliquent vraiment bien pour le moment que si l'on suppose juste à la sortie du Big BangBig Bang l'existence de fluctuations de densité dans une population de particules de matière noirematière noire qui commençait à s'effondrer sous sa propre gravité. On peut lire indirectement les caractéristiques de ces fluctuations, et bien d'autres choses encore, dans celles de température et de polarisation du rayonnement de la plus vieille lumière de l'Univers observable, puisqu'elle a commencé à se propager environ 380 000 ans après la fin du Big Bang.
Les cosmologistes font des simulations de plus en plus raffinées, aussi bien en raison des données astrophysiquesastrophysiques mesurées au cours des années qu'avec les progrès des ordinateursordinateurs et des algorithmes que l'on peut implémenterimplémenter sur eux, montrant comment ces fluctuations de densité de matière noire vont croitre au cours des milliards d'années et en attirant par sa propre gravitationgravitation des particules de matière normale, c'est-à-dire des protonsprotons et des neutronsneutrons pour l'essentiel, faire naitre des galaxiesgalaxies puis des amas de galaxiesamas de galaxies.
Depuis 13,7 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche
Des simulations de la naissance des grandes structures galactiques
Les données collectées par Planck servent donc en quelque sorte de conditions initiales pour le début des calculs des simulations numériquessimulations numériques de la formation des grandes structures du cosmoscosmos observable et, en bonus, comme ces grandes structures produisent des effets physiquesphysiques au cours du temps sur les photonsphotons du rayonnement fossile les traversant, ces mêmes données permettent d'étudier ce qui se passe avec ces grandes structures du Big Bang à nos jours.
De nombreuses simulations de ce genre ont été faites au cours des années et plusieurs études complémentaires de celles du rayonnement fossile nous permettent d'en apprendre plus sur la formation et l'évolution des amas de galaxies dont on sait qu'ils se rassemblent au cours du temps en filaments entourant des régions nettement moins denses, formant ce que l'on appelle la toile cosmique (cosmic web en anglais).
C'est dans ce contexte que l'on peut commencer à comprendre un article publié dans le célèbre journal Science Advances et que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv. On le doit à une équipe internationale essentiellement italienne et australienne menée par des chercheurs de l'International Centre for Radio Astronomy Research (Icrar) en Australie.
Les astrophysiciensastrophysiciens y annoncent avoir vérifié une prédiction des simulations numériques, faites il y un moment déjà, grâce aux observations de Planck mais aussi de radiotélescopesradiotélescopes comme ceux du Murchison Widefield Array en Australie-Occidentale et du Owens Valley Radio Observatory Long Wavelength Array au Nouveau-Mexique (sans oublier les données collectées par le Global Magneto Ionic Medium Survey).
Les chercheurs de l'Icrar ont découvert des preuves excitantes de la présence de champs magnétiques dans les plus grandes structures cosmiques de l'Univers. La première animation montre comment la toile cosmique est censée être organisée sur la base de simulations (© : The Millennium Simulation, Springel et al., 2005). Dans la deuxième animation, un segment d'une grande simulation magnétohydrodynamique cosmologique est présenté sur la base des données de cette recherche. Les couleurs bleue et verte donnent l'intensité (croissante) des champs magnétiques dans la simulation, tandis que la couleur rouge marque la température du gaz. © Vazza F; ENZO; Piz-Daint CSCS (Lugano). La simulation évolue d'il y a 13,65 milliards d'années (z=40) à aujourd'hui (z=0) et la zone couvre une région de 100x100 Mpc2, avec une profondeur le long de la ligne de visée de 40 kpc. © Icrar
Des lignes de champs magnétiques comprimées indirectement par la gravitation
La prédiction était en gros la suivante.
On sait qu'il existe des champs magnétiqueschamps magnétiques à l'échelle cosmologique même si l'on n'en comprend pas vraiment la raison. Ces champs magnétiques dans lesquels sont plongés les galaxies et les filaments d'amas de galaxies sont d'origine primordiale ; cela pose d'ailleurs de nombreuses questions peut-être en rapport avec une nouvelle physique ayant opéré pendant et même avant le Big Bang.
Les calculs laissaient penser qu'en s'effondrant la matière normale chauffée et ionisée allait entrainer les lignes de champs magnétiques comme si elles étaient liées à cette matière, de sorte qu'en détectant ces lignes et en évaluant leurs intensités par l'effet qu'elles ont sur la polarisation de la lumière, on devait voir que ces lignes se concentraient dans les filaments, devenant de plus en plus intenses avec leur contraction.
Enfin, la formation de ces filaments devait s'accompagner d'ondes de choc les faisant vibrer et briller, bien que le rayonnement ainsi produit soit faible et visible essentiellement dans le domaine radio.
C'est bien ce que les chercheurs annoncent avoir observé, avec l'effet de ces ondes de choc sur la polarisation, devenue plus intense autour de paires d'amas de galaxies dans les filaments de matière dans lesquels ils sont plongés.
Sur cette animation, on voit tout d'abord en vert la toile cosmique dans une simulation comme celle du Millennium Simulation Project. On voit ensuite en rouge les émissions radio des filaments de matière entre les amas de galaxies, puis les lignes de champs magnétiques comprimées dans ces filaments, et vibrant sous l'effet d'ondes de choc (shockwaves en anglais), ce qui polarise fortement la lumière radio et permet de remonter aux lignes de champs magnétiques. © Original Images : F. Vazza, D. Wittorand J. West Production & Editing : Kyle Brown, Icrar
Une origine par effet dynamo problématique
Pour terminer, quelques explications supplémentaires et des perspectives en ce qui concerne l'importance potentielle de l'étude des champs magnétiques cosmiques à l'échelle des amas de galaxies en reprenant des commentaires que Futura avait donnés il y a quelques années.
Rappelons déjà qu'il est possible de mettre en évidence l'existence d'un champ magnétique dans une région de l'espace grâce à deux effets physiques, l'effet Zeeman et l'effet Faraday. Dans le premier cas, le champ magnétique modifie les niveaux d'énergieénergie d'un atomeatome dans lequel il est plongé, et donc les raies spectralesraies spectrales que l'on peut observer. Dans le second cas, c'est la polarisation de la lumière qui change. C'est ainsi que l'on avait déjà découvert et mesuré depuis un bon moment des champs magnétiques dans les galaxies et dans les amas de galaxies.
Cela a rapidement posé des problèmes aux astrophysiciens car la stabilité, et surtout la génération de tels champs, n'est pas une chose facile à expliquer. On peut essayer de faire intervenir des mouvementsmouvements turbulents du plasma présent dans l'Univers observable, amplifiant un petit champ magnétique initial grâce à l'effet dynamoeffet dynamo. Celui-ci est bien connu aujourd'hui pour être à l'origine du champ magnétique de la Terre, comme l'a montré l'expérience VKS, et très probablement aussi de celui du SoleilSoleil et des autres étoilesétoiles. Malheureusement, que ce soit à l'échelle des galaxies ou des amas de galaxies, il faut faire intervenir des hypothèses mal contrôlées pour justifier l'existence d'un effet dynamo. Surtout, cela laisse le problème de l'origine des faibles champs magnétiques initiaux amplifiés par l'effet dynamo complètement dans l'ombre.
Des champs magnétiques générés peu après le Big Bang
Dès 1958, l'astrophysicien et cosmologiste Fred Hoyle avait postulé une origine cosmologique pour ces champs magnétiques primordiaux. Les spécialistes de la cosmologiecosmologie relativiste ne tardèrent pas à explorer des solutions des équationséquations d'EinsteinEinstein avec un champ magnétique présent partout dans l'Univers. Une fois la théorie du Big Bang devenue fortement accréditée par la découverte du rayonnement fossile en 1965, des chercheurs, comme Edward R. Harrison et Yakov Borisovich Zel'dovich, ont essayé de relier l'apparition des champs magnétiques à l'échelle cosmologique (postulée par Hoyle) à des processus turbulents dans le plasma primordial, avant la recombinaisonrecombinaison. Cela semblait naturel à l'époque, d'autant plus que la forme en spirale des galaxies pouvait s'interpréter comme des vestiges de tourbillonstourbillons dans ce plasma.
Des difficultés ne tardèrent pas à apparaître avec ces idées :
- l'existence de champs magnétiques cosmologiques primordiaux pouvait remettre en cause l'accord entre les calculs de la nucléosynthèsenucléosynthèse de l'héliumhélium et les observations, comme Kip Thorne et Stephen HawkingStephen Hawking allaient le découvrir ;
- le plasma primordial imaginé à l'époque (essentiellement des protons et des électronsélectrons) ne pouvait être que très peu turbulent, comme les progrès dans la théorie de la formation des galaxies et les observations le montrèrent finalement. Cela posait des bornes sur l'intensité d'un champ magnétique primordial à l'échelle cosmologique. On entreprit donc de le mesurer cependant, jusqu'à récemment, il était trop faible pour être détecté avec l'effet Zeeman et l'effet Faradayeffet Faraday.
Une nouvelle fenêtre pour la cosmologie ?
Mais, depuis les travaux des pionniers de la fin des années 1960, la théorie électrofaiblethéorie électrofaible et la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique ont été découvertes. Lors de la période où existait un plasma de quarksquarks et de gluonsgluons ainsi que pendant celle dite de « la transition de phasetransition de phase électrofaible » (celle où les bosonsbosons W et Z ont acquis une massemasse à cause du boson de Higgsboson de Higgs), ces théories montrent qu'il est possible de générer des champs magnétiques cosmologiques.
Dans le cas de la transition électrofaible qui s'est probablement produite seulement 10-11 s après la « naissance » de l'Univers observable, il est même possible de rendre compte de l'asymétrie matière-antimatière, plus précisément de la baryogénèse.
On devine tout l'importance que pourrait avoir l'étude des champs magnétique inter-amas pour sonder ces périodes reculées de l'histoire du cosmos observable.
Mais il y a mieux. Même si cela reste très spéculatif, on pourrait peut-être recueillir de cette manière des renseignements sur un éventuel avant le Big Bang.
Il se trouve que, dans la théorie de pré-Big Bang développée principalement par Gabriele Veneziano et Maurizio Gasperini, la théorie des cordesthéorie des cordes permet de générer des champs magnétiques cosmiques en amplifiant les fluctuations électromagnétiques pendant une période inflationnaire. Il ne s'agit pas d'une simple spéculation car des calculs ont été menés à ce sujet. Il reste difficile cependant d'avoir des prédictions solidessolides et il n'est pas sûr que l'on puisse faire la différence entre les prédictions issues des modèles plus standards, basés sur la QCD ou la théorie électrofaible, et celles de la théorie des cordes.