Depuis 20 ans, les exoplanètes qu’on nomme « Jupiters chauds » défient les astronomes parce qu'elles sont très proches de leurs étoiles, à un endoit où elles n'ont pas pu se former. Donc elles ont migré. Mais à quel moment de leur histoire ? Le sujet vient de s'enrichir d'un cas étonnant : un très jeune Jupiter chaud tout près d’un bébé soleil. De quoi mieux comprendre la formation et l’évolution des systèmes planétaires.

C'est en scrutant une étoile d'à peine deux millions d'années (c'est l'équivalent stellaire d'un nourrisson d'une semaine), baptisée V830 Tau, qu'une équipe internationale d'astronomes a découvert le plus jeune Jupiter chaud. Après un mois et demi d'observations au cœur de la pouponnière stellaire du Taureau, l'une des plus proches de nous, à environ 430 années-lumière de la Terre, l'équipe a détecté une variation régulière de la vitesse de l'étoile, révélant la présence d'une planète presque aussi massive que Jupiter, sur une orbite 20 fois plus resserrée que celle de la Terre autour du Soleil.

Cette découverte démontre pour la première fois que les Jupiters chauds apparaissent très tôt, lors de la phase de formation des systèmes planétaires, sur laquelle ils ont donc un impact majeur. Rappelons que dans notre Système solaire, les petites planètes rocheuses comme la Terre gravitent près du Soleil (environ 150 millions de kilomètres, soit 1 unité astronomique, ou UA) alors que les géantes gazeuses patrouillent bien plus loin : 5,2 UA pour Jupiter et 9,5 pour Saturne, les deux plus grosses. D'où l'étonnement de la communauté scientifique devant les premières exoplanètes détectées, tel 51 Pegasi b, qui étaient des géantes côtoyant leur étoile de très près.

Le plus jeune Jupiter chaud connu aujourd’hui, détecté autour de l’étoile en formation V830 Tau, évolue dans la toile magnétique de l’étoile (les lignes blanches et bleues), ce qui complique la découverte de telles planètes. © Jean-François Donati

Le plus jeune Jupiter chaud connu aujourd’hui, détecté autour de l’étoile en formation V830 Tau, évolue dans la toile magnétique de l’étoile (les lignes blanches et bleues), ce qui complique la découverte de telles planètes. © Jean-François Donati

Une migration précoce

Les travaux théoriques nous apprennent que ces planètes ne peuvent se former que dans les confins glacés du disque protoplanétaire, donnant naissance à l'étoile centrale et à son cortège de planètes. Certaines d'entre elles migrent vers l'étoile sans y tomber, devenant dès lors des Jupiters chauds.

Les modèles théoriques prédisent deux périodes possibles de migration. La géante peut commencer son déménagement dans son enfance, alors qu'elle se nourrit encore (surtout d'hydrogène) au sein du disque primordial, par accrétion. Elle peut aussi migrer bien plus tard, lorsque les nombreuses planètes formées interagissent et propulsent certaines d'entre elles au voisinage immédiat de l'étoile.

Parmi les Jupiters chauds connus, certains possèdent justement une orbite inclinée, voire inversée, suggérant qu'ils ont été précipités vers l'étoile par d'ombrageuses voisines. Cette découverte d'un Jupiter chaud très jeune confirme donc que la migration précoce au sein du disque est bien, elle aussi, opérationnelle dans le cas des planètes géantes.

Les distorsions du spectre lumineux induites par l’activité de l’étoile (flèche bleue) et par sa planète (flèche verte). La flèche rouge montre les deux effets combinés. L’effet est amplifié d’un facteur 20. Voir l'animation <a href="http://www.ast.obs-mip.fr/users/donati/v830tau_spot_planet_prof15.gif" target="_blank">ici</a> (68 Mo). © Jean-François Donati

Les distorsions du spectre lumineux induites par l’activité de l’étoile (flèche bleue) et par sa planète (flèche verte). La flèche rouge montre les deux effets combinés. L’effet est amplifié d’un facteur 20. Voir l'animation ici (68 Mo). © Jean-François Donati

Spirou verra encore mieux ces géantes

Détecter des planètes autour d'étoiles très jeunes s'avère un vrai défi observationnel, car ces étoiles se révèlent être des monstres en comparaison de notre Soleil : leur intense activité magnétique perturbe en effet la lumière émise par l'étoile d'une façon bien plus marquée que ne peut le faire une éventuelle planète géante, même en orbite rapprochée.

L'une des prouesses de l'équipe a été de séparer le signal dû à l'activité de l'étoile de celui engendré par la planète. Pour cette découverte, l'équipe a utilisé les spectropolarimètres (instruments qui permettent de mesurer le champ magnétique des étoiles) jumeaux Espadons et Narval, conçus et construits à l'Irap (Institut de recherche en astrophysique et planétologie).

Espadons (Echelle SpectroPolarimetric Device for the Observation of Stars) est installé au CFHT, le télescope Canada-France-Hawaï au sommet du Mauna Kea, un volcan endormi de la grande île de l'archipel d'Hawaï. Quant à Narval, il est monté sur le télescope Bernard Lyot (TBL, OMP), au sommet du pic du Midi de Bigorre, dans les Pyrénées.

L'utilisation combinée de ces deux télescopes et du Gemini d'Hawaï s'est avérée essentielle pour obtenir la continuité requise dans le suivi de V830 Tau. Avec Spirou et SPIP, les spectropolarimètres à infrarouges de nouvelle génération construits à l'Irap pour le CFHT et le TBL, et dont la mise en service est prévue en 2017 et 2019, les performances seront largement améliorées, ce qui permettra d'étudier avec une sensibilité encore accrue la formation des nouveaux mondes.

Ces travaux, dirigés par des chercheurs de l'Irap, du CNRS, Université Toulouse III - Paul Sabatier, en collaboration, entre autres, avec des collègues de l'Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble (CNRS, université Grenoble Alpes) sont publiés ce lundi 20 juin 2016 dans la revue Nature.