On sait depuis presque un siècle que les planètes géantes du Système solaire causent des modifications du climat sur Terre que l'on peut déterminer jusqu'à un certain point par le calcul. Des simulations numériques montrent que l'on avait sous-estimé l'effet des étoiles passant près du Soleil sur les mouvements des géantes et donc indirectement sur le climat passé.
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Les astrophysiciensastrophysiciens qui s'occupent d'étudier les galaxies savent qu'on peut les considérer comme un gaz d'étoiles sans collision, même lorsque deux galaxies fusionnent, et que ce gaz se comporte aussi de façon analogue à un plasma de particules chargées là aussi sans collision. Le Soleil ne fusionnera donc jamais avec une autre étoile de la Voie lactée mais ça ne veut pas dire que si l'une d'entre elles se rapproche trop de lui, cela sera sans conséquence sur le Système solaireSystème solaire lui-même.
Cela fait d'ailleurs longtemps que l'on considère que des comètes dans le fameux nuage d’Oort peuvent être déstabilisées par la gravitégravité due à un passage rapproché d'une étoile et peuvent ensuite se précipiter en nombre plus ou moins important vers le Système solaire interne (On a envisagé cette possibilité il y a 70 000 ans avec l'étoile de Scholz), entrant peut-être en collision avec la Terre. Mais c'est un effet plus subtil que Sean Raymond, du Laboratoire d'astrophysiqueastrophysique de Bordeaux, et Nathan Kaib du Planetary Science Institute basé à Tucson en Arizona (États-Unis) ont découvert et qu'ils expliquent dans un article publié dans Astrophysical Journal Letters - dont une version en accès libre existe sur arXiv.
Les lecteurs de Futura savent sans doute que les recherches de Sean Raymond portent sur la formation et l'évolution orbitaleorbitale, notamment avec des migrations, des planètes du Système solaire et des systèmes planétaires extrasolairesextrasolaires car nous présentons souvent des vidéos de la série Mojo : Modeling the Origin of JOvian planets, c'est-à-dire modélisationmodélisation de l'origine des planètes joviennesplanètes joviennes, présentant la théorie de l'origine du Système solaire et en particulier des géantes gazeusesgéantes gazeuses par Sean Raymond et Alessandro Morbidelli. Ce dernier est directeur de recherche CNRS à l'Observatoire de la Côte d'Azur, Nice, et il vient de prendre son poste de professeur du Collège de France à la chaire « Formation planétaire : de la Terre aux exoplanètes ».
Les lecteurs de Futura connaissent Sean Raymond aussi en raison de ses explications, qu’ils nous avaient permis de reprendre, au sujet du fameux objet interstellaire ‘Oumuamua, critiquant avec son collègue Franck Selsis la thèse de Arvi Loeb qui en fait une sonde extraterrestre.
Mais qu'ont donc découvert Sean Raymond et Nathan Kaib ?
La théorie du chaos sur Terre et dans le Ciel
On sait que l'on peut utiliser les équationséquations de la mécanique céleste pour prédire dans le futur les positions et les rotations propres des corps célestes, que ce soit les orbitesorbites des luneslunes autour de JupiterJupiter et SaturneSaturne - comme IoIo et Mimas - ou encore les modifications de l'axe de rotation de la Terre, tout cela sous l'influence des forces de gravitationforces de gravitation.
Mais on peut faire l'inverse pour prendre connaissance dans le passé de ce qu'étaient les états de ces corps.
Toutefois, comme Henri Poincaré l'avait déjà montré dans le cas du Système solaire et Edward Lorenz dans le cas de la météorologiemétéorologie en découvrant les bases de ce que l'on appelle maintenant la théorie du chaos, nous savons que de petites différences dans les valeurs des paramètres initiaux (par exemple, positions et vitessesvitesses de particules) déterminant l'évolution d'un système dynamique, comme le climatclimat ou les planètes autour d'une étoile, conduisaient parfois très rapidement à une évolution de ce système vers des états très différents. Cette sensibilité aux conditions initiales limite notre pouvoir de prédiction parce que nous ne pouvons pas avoir de déterminations infiniment précises de ces conditions, de sorte que les erreurs inévitables commises dans les calculs (qui ne peuvent pas, de toute façon, être infiniment précis avec les ordinateursordinateurs eux-mêmes) s'ajoutent et s'amplifient même exponentiellement. Cela conduit donc à des trajectoires futures qui peuvent être très divergentes.
En résumé, la théorie du chaos nous dit qu'il y a des limites dans notre pouvoir de prédiction aussi bien du futur que du passé, aussi bien pour le mouvementmouvement des planètes que pour la météorologie sur Terre.
Sean Raymond, astrophysicien au Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux, nous parle de la formation du Système solaire selon le scénario standard par accrétion de planétésimaux donnant des embryons planétaires. © Ideas in Science
Des étoiles qui perturbent les cycles de Milankovitch
Sean Raymond et Nathan Kaib se sont rendu compte qu'on n'avait jamais vraiment bien pris en compte les effets des perturbations gravitationnelles des étoiles passant près du Soleil dans les simulations numériquessimulations numériques sur ordinateur en ce qui concerne le passé du Système solaire. Or, une étoile passe à moins de 50 000 unités astronomiquesunités astronomiques (UA) du Soleil tous les 1 million d'années en moyenne et à moins de 10 000 UA du Soleil tous les 20 millions d'années en moyenne. Quand on tient compte des perturbations engendrées, on se rend compte que notre capacité à prédire l'état des planètes dans le passé est plus limitée qu'on ne le pensait et qu'elles pouvaient donc avoir des orbites et des rotations propres différentes de celles qu'on imaginait jusqu'alors.
Comme conséquence indirecte et de façon surprenante, cela réduit aussi notre capacité à plonger dans le passé du climat de la Terre et à en comprendre les raisons. En effet, ces perturbations vont avoir des effets indirects mais bien réels sur les fameux cycles de Milankovitchcycles de Milankovitch.
Comme Futura l'avait expliqué dans un précédent article, depuis les années 1970, des campagnes de forages géologiques ne cessent de fournir des carottescarottes de roches sédimentairesroches sédimentaires où l'on a pu découvrir que les sédimentssédiments enregistraient des variations cycliques dans le climat de la Terre, en relation avec ce que l'on appelle donc les cycles de Milankovitch. La théorie de ces cycles est basée sur des modifications périodiques de l'excentricitéexcentricité de l'orbite de la Terre et de l'obliquitéobliquité de son axe de rotation. Ils ont été découverts par le calcul du mathématicienmathématicien, géophysicien, astronomeastronome et climatologueclimatologue d'origine serbe Milutin Milankovitch, entre 1920 et 1941.
Ces modifications sont causées par l'attraction gravitationnelle des autres planètes du Système solaire, en particulier Jupiter et Saturne, du fait de leurs massesmasses importantes, mais aussi VénusVénus en raison de sa proximité. Comme excentricité et obliquité gouvernent l'insolationinsolation et les saisonssaisons sur Terre, ces modifications changent le climat et, au cours des derniers millions d'années, sont clairement associées aux glaciationsglaciations, comme l'explique la vidéo ci-dessous.
Que sont les cycles de Milankovitch ? Cette vidéo nous l'explique. © L'Esprit Sorcier Officiel
Des incertitudes supplémentaires sur le climat passé de la Terre
En passant assez près du Système solaire, une étoile va modifier les mouvements des géantes et en retour celles-ci vont modifier les cycles de Milankovitch et rendre de plus en plus incertains - au fur et à mesure que l'on recherche dans le passé - les effets sur le climat par le calcul.
Nathan Kaib explique ainsi dans un communiqué du Planetary Science Institute exposant son travail avec Sean Raymond que « les archives géologiques montrent que les changements dans l'excentricité orbitale de la Terre accompagnent les fluctuations du climat terrestre. Si nous voulons mieux rechercher les causes des anciennes anomaliesanomalies climatiques, il est important d'avoir une idée de ce à quoi ressemblait l'orbite de la Terre au cours de ces épisodes.
Un exemple d'un tel épisode est le maximum thermique Paléocène-Éocène il y a 56 millions d'années, où la température de la Terre a augmenté de 5 à 8 degrés centigrades. Il a déjà été proposé que l'excentricité orbitale de la Terre était particulièrement élevée lors de cet événement, mais nos résultats montrent que les étoiles qui passent rendent très incertaines les prévisions détaillées de l'évolution orbitale passée de la Terre à ce moment-là, et qu'un spectrespectre plus large de comportements orbitaux est possible qu'on ne le pensait auparavant ».
Il s'agit de simulations prédisant l'évolution orbitale passée de la Terre sous l'influence des autres planètes, de 5 des plus gros astéroïdes et de Pluton. Cent simulations sont exécutées à droite et à gauche. L'orbite terrestre dans chaque simulation est échantillonnée tous les 1 000 ans sur des périodes de 300 000 ans. La série d'échantillons de chaque simulation a une couleur unique, mais toutes les couleurs se superposent presque les unes aux autres pendant la première moitié de l'animation. Parmi les 100 simulations, la seule différence est que les positions de départ des planètes diffèrent de manière aléatoire de moins de 2 cm. Les simulations du côté gauche sont soumises au passage de l'étoile semblable au Soleil HD 7977 il y a 2,8 millions d'années dans le passé, alors que les simulations du côté droit ne le sont pas. HD 7977 est supposé se situer à moins de 4 000 UA du Soleil. Il existe une grande incertitude quant à la distance d’approche la plus proche de cette étoile. La distance d'approche que nous utilisons a une probabilité de 5 % (dans les limites des incertitudes d'observation actuelles), et des distances d'approche nettement plus grandes sont plus probables. Cependant, cette rencontre illustre le rôle que les passages stellaires peuvent jouer dans la modification de l'évolution orbitale à long terme de la Terre et des autres planètes. © Nathan Kaib
Les étoiles, le chaos et les archives sédimentaires
Nathan Kaib et Sean Raymond ont notamment réalisé une simulation que l'on voit sur la vidéo ci-dessus. Elle montre l'évolution dans le passé de l'excentricité de l'orbite de la Terre, c'est-à-dire la caractéristique de l'orbite qui en fait un cercle ou une ellipse plus ou moins allongée, ainsi que l'évolution angulaire du périhéliepérihélie de la Terre (on a ce que l'on appelle un espace de configurationespace de configuration des paramètres où le rayon d'un cercle donné exprime l'excentricité, 0 pour un cercle, donc au centre, et un point sur ce cercle l'angle de l'orientation du périhélie de la Terre dans son plan orbital).
La vidéo montre en fait deux cas, celui où l'étoile semblable au Soleil HD 7977 est passée près du Système solaire il y a 2,8 millions d'années et le cas où l'on ne tient pas compte de son effet sur les géantes du Système solaire. Dans le premier cas, pendant un certain temps on ne voit pas les effets, puis ils deviennent de plus en plus importants comme le montre l'allongement des barres donnant l'incertitude sur l'état de l'orbite de la Terre, ils deviennent plus importants que les incertitudes dans le cas sans passage d'une étoile proche du Soleil.
Les deux chercheurs estiment que l'influence déjà seulement de HD 7977 peut modifier les prédictions des simulations sur l'orbite de la Terre au-delà d'environ 50 millions d'années dans le passé.
Pour plus de détails sur la mécanique céleste de la Terre, le chaos et le climat la présentation de Jacques Laskar, astronome à l’Observatoire de Paris, directeur de recherche au CNRS, membre du Bureau des Longitudes et de l’Académie des sciences, est très intéressante. En prolongeant les travaux de Laplace et de Lagrange par des calculs analytiques sur ordinateur, il a mis en évidence le mouvement chaotique des planètes du Système solaire. Il a aussi montré que l’axe de rotation de Mars est chaotique et que l’axe de la Terre doit sa stabilité à la présence de la Lune. © Festival d'Astronomie de Fleurance