Les sursauts gamma longs sont causés par l'effondrement gravitationnel d'une étoile contenant des dizaines de masses solaires en fin de vie et qui explose en hypernova en formant un trou noir. L'explosion s'accompagne de l'émission de puissants jets de particules chargées, entraînant des explosions de rayons gamma qui peuvent libérer plus d’énergie en quelques secondes que notre Soleil n’en émettra pendant toute sa vie. Toutefois, on n'arrivait pas à comprendre la formation de ces jets avec la théorie standard s'appliquant notamment aux quasars. Cela vient de changer !
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On sait qu'à la fin des années 1960, les satellites militaires mis en orbite par les États-Unis faisaient la découverte de sursauts gamma, en anglais des gamma-ray bursts ou GRB. Ces satellites avaient pour mission de détecter des explosions nucléaires interdites dans ou hors de l'atmosphèreatmosphère. Mais rapidement, les scientifiques en charge des satellites Vela comprirent que ces événements étaient cosmiques et pas du tout d'origine humaine. Des années plus tard, leur découverte fut déclassifiée, ce qui allait laisser perplexe la communauté des astrophysiciensastrophysiciens.
En effet, comme Futura l'a expliqué dans un précédent article dont nous reprenons en partie le contenu, l'énergie libérée était colossale, incompréhensible... jusqu'au moment où quelqu'un a proposé d'admettre que ces GRB n'étaient pas des émissions de rayonnement gamma selon une sorte de sphère de lumière, mais selon des jets focalisés. L'énergie libérée était bien moindre quoique toujours gigantesque, mais cette fois-ci compréhensible dans le cadre de l'astrophysiqueastrophysique connue.
On s'aperçut aussi que l'on pouvait diviser les GRB en deux classes : les courts, durant moins de deux secondes, et les longs, durant souvent une dizaine de secondes. Dans le premier cas, il devait probablement s'agir de collisions d'étoiles à neutronsétoiles à neutrons, donnant ce que l'on a appelé par la suite des kilonovae, des explosions plus fortes que des novaenovae mais plus faibles que des supernovaesupernovae.
Une très belle vue d'artiste de l'explosion d'une hypernova avec la formation d'un trou noir dans l'étoile génitrice. Ces images de synthèse illustrent le modèle d'hypernova, qui doit rendre compte de la majorité des sursauts gamma longs. Avant l'explosion d'une étoile très massive, un trou noir se forme à la place de son cœur en avalant ensuite le reste de l'étoile. Comme il se forme aussi un disque d'accrétion avec des jets de particules, on les voit émerger de la surface de l'étoile et se propager dans le milieu interstellaire en créant une onde de choc. Des émissions de photons gamma s'y produisent alors. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Desy, Science Communication Lab
Les sursauts longs devaient, eux, être produits par des étoiles très massives en rotation rapide qui en s'effondrant gravitationnellement formaient un trou noir en rotation de Kerr dans leur cœur, trou noir produisant un disque d'accrétiondisque d'accrétion durant quelques dizaines de secondes et générant de puissants jets de matièrematière à travers l'enveloppe de l'étoile qui explose en supernova qualifiée parfois d'hypernovahypernova. C'est ce qui a aussi été appelé en anglais le modèle du collapsar, contraction des termes anglais collapse (effondrementeffondrement) et star (étoile), officiellement « étoile implosante » en français, bien que ce nom ne soit guère utilisé en pratique.
Le saviez-vous ?
C'est au début des années 1960 que le mathématicien néo-zélandais Roy Kerr a fait la découverte d’une solution particulière des équations de la relativité générale d’Einstein, qui ouvre la voie à une explication détaillée du mécanisme de production de l’énergie lumineuse des quasars. Au cours de la décennie qui va suivre, notamment grâce aux travaux de Roger Penrose et Brandon Carter, on va comprendre que la solution de Kerr décrit tous les trous noirs en rotation.
Comme l’accrétion de matière sur un astre très compact doit libérer une quantité plus importante d’énergie pour une quantité de matière donnée, notamment de l’hydrogène par des réactions de fusion thermonucléaire, on pouvait penser qu’un trou noir de Kerr supermassif accrétant de la matière pouvait, d’une façon ou d’une autre, produire l’extraordinaire quantité d’énergie expliquant la luminosité des quasars. Des modèles de disques d'accrétion entourant des trous noirs vont donc être construits, notamment par Kip Thorne et Igor Novikov en 1973 et également à la même époque par Nikolai Shakura et Rashid Sunyaev.
Du trou noir de Kerr au mécanisme de Blandford-Znajek
Ces jets ne se produisent pas seulement avec une hypernova ou simplement un trou noir stellairetrou noir stellaire arrachant par ses forces de maréeforces de marée de la matière à une étoile compagne mais aussi avec les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs produisant l'énergie alimentant les prodigieux rayonnements des noyaux actifs des galaxiesnoyaux actifs des galaxies que sont les quasarsquasars. Les chercheurs ont bien entendu essayé de comprendre en détail ces jets et la luminositéluminosité prodigieuse de ces astresastres de la taille tout au plus du Système solaireSystème solaire mais rayonnant comme une galaxie entière.
Or, en 1977, deux jeunes astrophysiciens relativistes alors à l'université de Cambridge, Roger Blandford et Roman Znajek, vont faire un bond de géant sur la problématique de la luminosité des quasars. Roger Penrose avait déjà montré à la fin des années 1960 qu’il était possible d’extraire de l’énergie en ralentissant la rotation d’un trou noir, et donc en puisant dans son énergie cinétique de rotation. Les deux chercheurs vont construire un scénario plus élaboré que celui de Penrose, mais basé sur la même idée, et qui sera ensuite connu comme le processus dit de Blandford-Znajek (BZ). Il va s'imposer pour expliquer non seulement la luminosité des quasars, mais aussi l'existence de jets de matière souvent associés et que l'on peut détecter par exemple lorsqu'ils produisent deux sources radio aux extrémités de ces jets, quand ils entrent en collision avec le milieu intergalactique.
Roger Blandford nous parle des trous noirs supermassifs et de leurs jets dans cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Quanta Magazine
Voyons de quoi il en retourne plus en détail. Lorsque de la matière forme un disque d'accrétion, elle tombe en spirale vers le corps attracteur, tournant d'autant plus vite qu'elle s'en approche. Elle est initialement sous forme d'un gazgaz. Or ce gaz est visqueux, ce qui veut dire qu'en raison des différences de vitessevitesse entre deux anneaux concentriques de matière dans le disque, il va y avoir des forces de frottement qui vont chauffer le gaz et en fait, en dissipant de l'énergie, permettent au gaz de tomber vers le corps central. Sans viscositéviscosité, le gaz se contenterait de rester en orbite.
Formidablement chauffé, le disque de matière autour d'un trou noir va donc s'ioniser, des courants électriquescourants électriques et des champs magnétiqueschamps magnétiques vont naître dans le plasma formé. Il existe toute une théorie de ces phénomènes en espace-tempsespace-temps courbe. Blandford et Znajek l'ont utilisée pour décrire ce qui se passait en raison des propriétés de la métrique de l'espace-temps de Kerr, comme disent les spécialistes dans leur jargon.
Autour de l'horizon sphérique du trou noir existe alors une zone en forme d'ellipsoïde de rotation, appelée l'ergosphère. Un corps en chute libre radialement sera contraint d'avoir une composante de rotation supplémentaire en pénétrant dans cette région. C'est aussi vrai pour les lignes de champs magnétiques générées par le disque, de sorte que tout se passe au final comme si l'on avait un aimantaimant en rotation et l'équivalent d'une dynamodynamo produisant des différences de potentiel.
Deux conséquences essentielles en découlent. Tout d'abord ces différences vont accélérer des particules chargées presque à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière et enfin, la rotation du trou noir va tordre les lignes de champs magnétiques et certaines vont former une sorte de tube torsadé suivant l'axe de rotation du trou noir et le long duquel les particules chargées vont s'élever. Les jets des noyaux actifs de galaxies peuvent s'étendre sur des années-lumièreannées-lumière comme le montre bien le cas de la galaxie M87.
Un champ magnétique problématique
Tout cela est bel et bon mais comme l'explique en début d'un article récemment publié dans The Astrophysical Journal Letters, Ore Gottlieb, chercheur au Center for Computational Astrophysics (CCA) du Flatiron Institute à New York et ses collègues Brian Metzger, Jared Goldberg, Matteo Cantiello et Mathieu Renzo, « les jets relativistes provenant d'un trou noir de Kerrtrou noir de Kerr (BH) suite à l'effondrement du noyau d'une étoile massive (« collapsar ») constituent un modèle de premier plan pour les sursauts gamma (GRB). Cependant, les deux ingrédients clés d'un jet propulsé par Blandford-Znajek (rotation rapide et champ magnétique puissant) semblent s'exclure mutuellement. Les champs puissants dans le noyau de l'étoile génitrice transportent le moment angulairemoment angulaire vers l'extérieur plus rapidement, ralentissant le noyau avant l'effondrement ».
Il y avait donc une énigme mais les chercheurs pensent en avoir maintenant la solution, solution qu'ils ont obtenue avec une nouvelle idée qu'ils ont mise à l'épreuve en l'implémentant sur de nouvelles simulations sur ordinateursordinateurs.
Mais avant d'expliquer en quoi consiste cette solution, des compléments de prolégomènes s'imposent.
Qu'est-ce qu'une étoile à neutrons ? Quelle différence entre ces étoiles et notre Soleil ? Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA, nous explique que les étoiles à neutrons rayonnent très peu en lumière visible, contrairement à notre Soleil. Aussi, les étoiles à neutrons ont des tailles beaucoup plus petites que celle du Soleil : une étoile à neutrons a un diamètre compris entre 10 et 15 kilomètres, contre 1,4 million de km pour le Soleil. Ce sont également des objets compacts qui contiennent une quantité importante de matière dans un volume très petit. Étudier ces étoiles permet de tester à une échelle différente les théories de physique nucléaire. © CEA Recherche
Tout d'abord, il faut se rappeler que les étoiles possèdent un champ magnétique et en vertu d'une loi de la physiquephysique de ce champ que l'on appelle la conservation du flux, lorsqu'une étoile s'effondre pour donner une étoile à neutrons ou un trou noir, cette loi implique une augmentation de l'intensité du champ magnétique et il n'est donc pas étonnant de constater que les étoiles à neutrons ont de puissants champs magnétiques.
Mais que se passe-t-il quand l'effondrement d'une étoile la conduit à passer à l'intérieur de l'horizon des événementshorizon des événements qui se forme parce que l'étoile va devenir un trou noir ? La réponse a commencé à être trouvée pendant les années 1960 par Leonid Ozernoy et le futur prix Nobel de physique Vitaly Ginsburg. Le trou noir formé se débarrasse rapidement du champ magnétique de son étoile génitrice, c'est un exemple de ce que l'on appelle le No hair theorem en physique des trous noirs ou encore en français le théorème de la calvitie.
Impossible donc d'avoir un puissant champ magnétique directement avec le trou noir d'un collapsar.
La solution de l'énigme, une étoile à neutrons transitoire
Toutefois, avec le mécanisme de BZ, un puissant champ magnétique existe dans un disque d'accrétion autour d'un trou noir. Sauf qu'avec une étoile en cours d'effondrement, le puissant champ impliqué par la loi de la conservation du flux fait perdre à l'étoile sa rotation. Et sans rotation rapide, un trou noir nouveau-né ne peut pas former de disque d'accrétion
Or, comme le précise Ore Gottlieb dans un communiqué du Flatiron Institute :
« Il semble que cela soit mutuellement exclusif. Il faut deux choses pour que des jets se forment : un champ magnétique puissant et un disque d'accrétion. Mais un champ magnétique acquis par une telle compression ne formera pas de disque d'accrétion, et si vous réduisez le magnétismemagnétisme au point où le disque peut se former, il n'est pas assez puissant pour produire les jets ».
On peut couper le nœudnœud gordien en se souvenant qu'avant de former un trou noir, l'effondrement d'une étoile massive peut produire une étape intermédiaire sous la forme d'une étoile à neutrons transitoire. Si suffisamment de matière tombe pendant le processus de formation d'une hypernova sur cet astre compact, sa massemasse va en effet dépasser la fameuse limite d'Oppenheimer-Volkoff cousine de celle de Chandrasekhar pour une naine blanchenaine blanche, et l'effondrement va se poursuivre pour donner un trou noir.
Mais la grande surprise des nouvelles simulations faisant intervenir cette étape avec une étoile à neutrons, c’est que, malgré sa courte durée de vie, elle va s’entourer d’un disque d’accrétion qui lui est bien fortement magnétisé.
Le trou noir et son environnement héritent donc bien précocement des propriétés nécessaires pour produire les jets nécessaires à l'explication des sursauts gamma longs.