L'apparition de la vie est-elle un processus universel comme l'apparition des exoplanètes ? Nous ne le savons pas, mais pour tenter de répondre à cette question les planétologues cherchent à comprendre comment des molécules organiques prébiotiques, comme celles que l'on trouve dans certaines météorites, auraient pu se former dans le disque protoplanétaire du Système solaire.


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    Lorsque les planétologues font des simulations numériquessimulations numériques pour comprendre la formation des planètes, ils cherchent aussi à comprendre comment la vie est devenue possible sur Terre et comment elle pourrait l'être ailleurs. Il ne s'agit donc pas seulement de résoudre des problèmes de mécanique céleste, mais aussi des problèmes de cosmochimie. Parmi les énigmes à résoudre, il y a bien sûr celle de l'origine de l'eau des océans, mais se pose aussi la question de l'origine des molécules organiques d'une chimie prébiotiqueprébiotique dans les océans de la Terre primitive. Ces molécules ont-elles été synthétisées dans l'atmosphèreatmosphère terrestre selon le scénario exploré par la fameuse expérience de Miller ? Dans les sources hydrothermales des océans de l'HadéenHadéen et de l'ArchéenArchéen ?

    On pense que des macromolécules organiques qui auraient pu rendre la Terre propice à la vie sont arrivées sur Terre avec des comètes, mais aussi avec le bombardement de petits corps célestes dont la nature est proche de celle que l'on connaît dans des chondrites carbonées, comme celle de la météoritemétéorite tombée près de la petite ville de Murchison en Australie en 1969. Dans cette chondrite carbonée, les cosmochimistes de l'époque et leurs successeurs ont dénombré plus de 70 acides aminésacides aminés. Ils y ont ainsi découvert, sous forme de traces, l'alaninealanine, la glycineglycine, la valinevaline, la leucineleucine, l'isoleucineisoleucine, la prolineproline, l'acide aspartiqueacide aspartique et l'acide glutamiqueacide glutamique, toutes présentes dans les protéinesprotéines de la vie terrestre.

    Bien mieux, des purinespurines et des pyrimidines ont également été trouvées dans la météorite de Murchison. Or, ces molécules sont les bases de l'ADNADN et de l'ARNARN qui constituent le matériel génétiquematériel génétique de tous les êtres vivants que porteporte la Terre.


    Sean Raymond, astrophysicien au Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux, nous parle de la formation du Système solaire selon le scénario standard par accrétion de planétésimaux donnant des embryons planétaires dans un disque protoplanétaire. © Ideas in Science

    On aimerait bien en savoir plus sur ce qui s'est passé à ce moment-là, par exemple pour savoir si la chimie prébiotique dans notre Système solaireSystème solaire était unique, ce qui - comme le pense Jean-Pierre Bibring - ferait de la Terre un cas rare dans l'UniversUnivers, ou si au contraire elle était représentative d'un phénomène universel dans les disques protoplanétairesdisques protoplanétaires où se forment des exoplanètesexoplanètes et que l'on observe en grand nombre dans la Voie lactéeVoie lactée, illustrant le fameux scénario dit de Kant-Laplace pour la cosmogonie planétaire.

    Or, tout récemment, une équipe internationale dirigée par des chercheurs de la TU Delft et de l'Université de Leyde aux Pays-Bas en collaboration avec leurs collègues de l'Université de Berne a conduit des simulations numériques basées sur l'observation et une modélisationmodélisation pour trouver une explication à la façon dont des macromolécules peuvent se former en peu de temps dans les disques de gazgaz et de poussière autour des jeunes étoilesétoiles. Ils ont publié leurs résultats dans la revue Nature Astronomy.

    Des poussières glacées piégées et irradiées

    On cherche à percer depuis longtemps la nature des processus exacts qui font passer de grains de poussière silicatés et carbonés enveloppés de glaces à des blocs rocheux dépassant le mètre dans les disques protoplanétaires et comment il est possible d'expliquer l'existence des molécules organiques, dont certaines sont très grosses, dans les chondrites carbonées issues de l'agglomération des grains de poussière.

    Dans le modèle considéré par les chercheurs, ils tiennent comptent de l'hypothèse de l'existence de « pièges à poussière » expliquant comment des concentrations de ces poussières glacées vont pouvoir former des blocs rocheux de plus d'un mètre, ces pièges expliquant comment justement franchir la « barrière du mètre » dans les premiers modèles cosmogoniques qui n'arrivaient pas à faire croître les blocs rocheux au-delà de cette taille. On a depuis des années des indications de l'existence de ces pièges qui posséderaient notamment aussi des processus de mélanges conduisant la poussière glacée à ne pas rester stationnaire, mais à se déplacer de haut en bas dans les disques protoplanétaires.

    Des observations dans l'espace et des expériences en laboratoire montrent aussi que le rayonnement ultravioletultraviolet des jeunes étoiles influe sur la chimie prébiotique dans les glaces des poussières. Elles ont montré que des molécules très complexes de plusieurs centaines d'atomesatomes peuvent être formées par irradiationirradiation.

    Qu'allait-on voir dans les simulations tenant compte de la combinaison des pièges à poussière avec du rayonnement UV intense ?


    Cette représentation d’artiste montre le disque planétaire autour de l’étoile IRS 48, également connue sous le nom d’Oph-IRS 48. Ce disque comprend une région dans sa partie sud qui piège des grains de poussière de la taille d’un millimètre qui peuvent se rassembler et se développer en objets de la taille d’un kilomètre comme des comètes, des astéroïdes et potentiellement même des planètes. Ce « piège à poussière » est également un réservoir de glace, avec des couches de glace, riches en molécules complexes, qui s’accumulent autour des grains de poussière. La chaleur de l’étoile IRS 48 est capable de sublimer la glace en gaz, libérant les molécules piégées et les rendant détectables. L’animation à la fin montre deux des molécules détectées dans le système IRS 48 : le méthanol et l’éther diméthylique, ce dernier étant les plus grosses molécules jamais identifiées dans un disque planétaire. © ESO/L. Calçada

    Des macromolécules organiques qui naissent en quelques décennies

    On peut trouver la réponse dans un communiqué de l'Université technique de Delft qui explique que le modèle a montré que dans les bonnes conditions, la formation de macromolécules est possible en quelques décennies seulement. Niels Ligterink, auteur principal de l'article de Nature et qui travaillait auparavant à l'Université de Berne en Suisse y déclare : « Nous espérions bien sûr ce résultat, mais ce fut une belle surprise qu'il soit si évident. J'espère que les collègues prêteront davantage attention à l'effet des radiations intenses sur les processus chimiques complexes. La plupart des chercheurs se concentrent sur des molécules organiques relativement petites, de quelques dizaines d'atomes, alors que les chondrites contiennent principalement de grosses macromolécules. »

    Sa collègue Nienke van der Marel, co-auteure de l'étude (elle et ses collègues ont été les premiers à démontrer de manière convaincante l’existence de pièges à poussière mentionne le communiqué)), y ajoute : « C'est vraiment super de pouvoir désormais utiliser un modèle basé sur l'observation pour expliquer comment de grosses molécules peuvent se former. Notre recherche est une combinaison unique d'astrochimie, d'observations avec Alma, de travaux en laboratoire, d'évolution de la poussière et d'étude des météorites de notre Système solaire ».

    Le communiqué se conclut en expliquant qu'« à l'avenir, les chercheurs prévoient d'étudier comment différents types de pièges à poussière réagissent différemment aux radiations et aux flux de poussière en mouvementmouvement. Cela leur permettra d'en savoir plus sur la probabilité de vie autour de différents types d'exoplanètes et d'étoiles ».