Chaque planète du Système solaire en orbite autour du Soleil possède des points de Lagrange dont le plus célèbre dans le cas de la Terre est L2, où se trouve en orbite le télescope James-Webb. Or, en L4 et L5 doit pouvoir se trouver aussi l'équivalent des astéroïdes que l'on appelle troyens, comme dans le cas de Jupiter. Les astronomes ont longtemps eu les mains vides en partant à leur recherche, mais aujourd'hui un deuxième troyen pour la Terre a enfin été découvert.
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Le grand mathématicien Henri Poincaré pensait avoir montré il y a un peu plus d'un siècle qu'il n'était pas possible de trouver une solution analytique générale décrivant les orbites de trois corps, contrairement au cas avec deux corps complètement résolu par Newton avec des fonctions élémentaires. Il fallait donc en rester aux techniques d'intégration numériquenumérique des équations différentielles de ces prédécesseurs.
En fait, il se trompait comme l'a montré dès le début du XXe siècle, le mathématicienmathématicien Karl Frithiof Sundman. La solution générale existe mais lorsque l'on veut l'utiliser, les calculs nécessaires sont fort longs et lents à exécuter. L'arrivée des ordinateursordinateurs après la Seconde Guerre mondiale va en outre changer la donne en permettant aux méthodes d'intégrations numériques de montrer leur puissance, comme le prix Nobel Richard Feynman le montre bien dans son cours de physique de première année.
Il y avait déjà de toute façon des solutions analytiques exactes mais particulières au problème des trois corps dont la plus connue est bien sûr celle de Joseph Lagrange. Dès le XVIIIe siècle, il avait montré qu'il existait toujours pour deux corps, par exemple le Soleil et la Terre, une série de cinq points appelés depuis « points de Lagrange », où un troisième petit corps pouvait se trouver dans un état d'équilibre et d'immobilité relative par rapport aux deux autres corps.
Certains de ces points sont stables, comme L4 et L5, c'est-à-dire que si le troisième s'écarte un peu de ces points il subira une force tendant à l'y maintenir, alors que d'autres, comme L2, sont instables.
C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on a envoyé vers le point L2 de la Terre et du Soleil plusieurs célèbres satellites d'observation comme PlanckPlanck et aujourd'hui le James-Webb, comme l'explique la vidéo du Cnes ci-dessous à ce sujet.
Vous connaissez peut-être les L5 sur Terre, mais connaissez-vous les cinq points L dans l'espace ? Ce sont les points de Lagrange et ils sont bien utiles pour positionner certains satellites... ou des télescopes spatiaux comme Webb. The space to be en fait ! On vous explique tout cela grâce à cette vidéo. © Cnes
Des troyens partout dans le Système solaire
Les points de Lagrange ne sont théoriques ni pour l'astronautiqueastronautique ni pour l'astronomie car on sait depuis longtemps que les points de Lagrange L4 et L5 du système Soleil-JupiterJupiter ont piégé au cours de l'histoire du Système solaireSystème solaire de nombreux petits corps célestes, des astéroïdesastéroïdes que l'on a appelés des troyenstroyens et qui se trouvent sur l'orbite de Jupiter à 60° en avant ou en arrière.
En fait, le premier astéroïde troyenastéroïde troyen fut découvert en 1906 par Max WolfMax Wolf justement à proximité de Jupiter, en L4. Il précédait la géante gazeusegéante gazeuse de 60° sur son orbite, illustrant pour la première fois les prédictions faites par Lagrange en 1772. On en connaît aujourd'hui plusieurs milliers associés à Jupiter et quelques dizaines au total pour VénusVénus, Mars, UranusUranus et NeptuneNeptune.
En théorie, la Terre devait en posséder aussi mais la chasse aux troyens de notre Planète bleue n'est en rien évidente paradoxalement, malgré la proximité de L4 et L5 pour le système Soleil-Terre. De fait, comme l'expliquait Futura dans le précédent article ci-dessous, ce n'est qu'en 2011 que le premier corps de ce genre a été découvert : 2010 TK7.
Comme l'explique un communiqué de l'ESAESA, on ne pouvait espérer détecter des troyens de la Terre qu'à l'occasion de petites fenêtresfenêtres d'observation juste avant le lever ou après le coucher du Soleil, lorsque l'un des points de Lagrange culmine à l'horizon tandis que le Soleil est caché en dessous. Or ces fenêtres sont courtes, ne permettent pas de longues observations et surtout, malheureusement, obligent à pointer des télescopestélescopes à des angles proches de l'horizon où les conditions d'observation sont les plus mauvaises.
Images de drone du télescope SOAR à Cerro Pachón au Chili, qui fait partie de l'Observatoire interaméricain de Cerro Tololo, un programme du NOIRLab de la NSF. Le télescope Gemini Sud et l'observatoire Vera C.-Rubin sont visibles en arrière-plan. © CTIO, NOIRLab, SOAR, NSF, AURA, J. P. Burgos
De futures clés de la colonisation du Système solaire ?
Mais, aujourd'hui, des membres du NOIRLab (National Optical-Infrared Astronomy Research Laboratory) et deux publications en accès libre dans les célèbres journaux Nature Communications et The Astrophysical Journal Letters confirment l'existence en L4 d'un deuxième astéroïde troyen pour la Terre qui avait initialement été détecté le 12 décembre 2020 avec les instruments de Pan-STARRS1 à Hawaï.
Observé de plus près en particulier à l'aide du télescope SOAR (SouthernSouthern Astrophysical Research) de 4,1 mètres sur le Cerro Pachón au Chili, le troyen 2020 XL5, avec sa taille de plus d'un kilomètre, est environ trois fois plus grand que 2010 TK7.
La meilleure détermination de ses paramètres orbitaux ne laisse plus de doute sur sa nature. Les observations montrent aussi qu'il s'agit probablement d'un astéroïde de type C, donc de ceux qui constituent environ 75 % des astéroïdes du Système solaire. Ils sont très sombres et on pense qu'ils sont chimiquement et minéralogiquement similaires aux météoritesmétéorites chondriteschondrites carbonées. Il s'agit donc de mémoire de la composition chimique du Système solaire primitif.
2020 XL5 étant en quelque sorte à portée de main, il pourrait faire l'objet de missions, peut-être habitées, potentiellement très bavardes sur la cosmogonie du Système solaire. Si d'autres troyens dans son genre existent, ils pourraient servir de base où exploiter des matériaux nécessaires à la constructionconstruction des colonies spatiales auxquelles rêve Jeff Bezos.
Les calculs de mécanique céleste indiquent cependant que 2020 XL5 ne va pas rester éternellement en L4. Environ 4.000 ans tout de même avant que la combinaison des perturbations gravitationnelles des autres planètes du Système solaire ne l'en déloge.
Le grand mathématicien Lagrange a changé la face des mathématiques et de la physique en posant les bases du calcul variationnel et de la mécanique analytique. Ses travaux en mécanique céleste sont fondamentaux, mais Lagrange avait aussi commencé à défricher le territoire où Évariste Galois découvrira la théorie des groupes. © Institut Henri Poincaré, YouTube
En bref : premier astéroïde troyen pour la Terre
Article de Jean-Baptiste FeldmannJean-Baptiste Feldmann, publié le 30/07/2011
On soupçonnait leur existence autour de la Terre comme pour d'autres planètes du Système solaire. Le premier astéroïde troyen autour de notre planète s'appelle 2010 TK7.
Depuis la découverte en 1906 du premier astéroïde troyen à proximité de Jupiter, les astronomesastronomes n'avaient pas encore pu en dénicher autour de la Terre. Ces corps célestes placés aux points de Lagrange L4 et L5 (60 degrés en avance ou en retard sur l'orbite de leur planète) sont pourtant légion dans le Système solaire. On en dénombre au moins 4.000 autour de Jupiter (dont Patroclus et Ménoetius), 4 pour SaturneSaturne (2 pour Téthys et 2 pour DionéDioné), 5 pour Mars et 7 pour Neptune. Les scientifiques n'en avaient pas encore trouvé autour de la Terre car ces astéroïdes sont assez petits et surtout proches du Soleil quand on les cherche depuis notre planète.
C'est en épluchant les données acquises au cours de la mission Wise, ce télescope en orbite qui a cartographié le ciel en infrarougeinfrarouge pendant un peu plus d'un an, que les astronomes ont découvert un astéroïde troyen au point de Lagrange L4. Cet objet surnommé provisoirement 2010 TK7 mesure environ 300 mètres de diamètre et se trouve à 80 millions de kilomètres de notre planète. Sa découverte a été confirmée par des images réalisées au télescope Canada-France-Hawaï.