La mission Gaia contribue en quelque sorte à cartographier la Voie lactée en étudiant notamment les positions et les vitesses de plus d'un milliard d'étoiles. Elle permet de découvrir des trésors cachés, comme le montre la détection non seulement du plus lourd trou noir stellaire connu mais aussi d'un des plus proches du Soleil, dans un système binaire. Son étude peut nous permettre de percer certains secrets de la naissance des trous noirs.

En 1964, un compteur Geiger s'est retrouvé à bord d'une fusée-sonde lancée depuis White Sands Missile Range au Nouveau-Mexique. Hors de l'atmosphère, le détecteur met en évidence plusieurs sources de rayons X sur la voûte céleste dont l'une est particulièrement intense dans la constellation du Cygne. Baptisée Cygnus X1, elle va devenir au début des années 1970 le premier candidat sérieux au titre de trou noir.

On pense toujours aujourd'hui que l'astre compact à environ 7 000 années-lumière du Soleil et qui orbite clairement autour d'une étoile en lui arrachant du gaz qui vient alimenter un disque d'accrétion autour de lui, disque chauffé au point d'émettre des rayons X, est bien un trou noir et qu'il s'agit même d'un trou noir stellaire. C'est-à-dire que selon la théorie déjà développée par Oppenheimer et Snyder il provient de l'effondrement gravitationnel d'une étoile ; l'origine des trous noirs supermassifs par contre, comme celui au cœur de la Voie lactée, est nettement moins claire.

On a depuis détecté d'autres candidats au titre de trous noirs stellaires dans notre Galaxie, notamment là aussi sous forme d'un système binaire avec une étoile alimentant un disque d'accrétion autour du trou noir. Ils contiennent généralement environ 10 masses solaires.

Remarquablement, aujourd'hui, une équipe d'astronomes utilisant les dernières données prises par le satellite d'astrométrie Gaia de l'Agence spatiale européenne (ESA) vient de publier un article dans Astronomy & Astrophysics dans lequel elle annonce la découverte d'un trou noir stellaire et sans l'aide des rayons X. Comme on peut le constater à la lecture de l'article portant le titre Discovery of a dormant 33 solar-mass black hole in pre-release Gaia astrometry, il s'agit d'un trou noir stellaire à la masse record de 33 masses solaires et c'est le deuxième plus proche trou noir du Système solaire connu actuellement avec une distance au Soleil d'environ 2 000 années-lumière dans la constellation de l'Aigle. Il semble pour le moment qu'il s'agisse d'un « trou noir dormant » c'est à dire d'un trou noir qui ne se signale pas par des émissions de rayons X ou d'autres type de rayonnement électromagnétique car il n'accrète pas de matière.

Comme les données du Very Large Telescope (VLT) de l'Observatoire européen austral et d'autres observatoires au sol ont permis de vérifier la masse du trou noir, la découverte est aussi annoncée dans un communiqué de l'ESO où on peut lire également plusieurs commentaires des chercheurs impliqués.

Les trous noirs sont parmi les objets les plus opaques de l'Univers. Heureusement, ils sont cependant parmi les plus attractifs, et c'est par leur pouvoir d'attraction démesuré que nous pouvons les détecter. Les trous noirs géants sont les ogres les plus monstrueux du zoo cosmique, mais ils ne sont pas des armes de destruction massive. Les jets de matière qu'ils produisent auraient contribué à allumer les premières étoiles et à former les premières galaxies. Hubert Reeves et Jean-Pierre Luminet, spécialistes en cosmologie contemporaine, répondent à toutes vos questions. Pour en savoir plus, visitez le site Du big bang au vivant. © Groupe ECP, YouTube

Des rayons X des trous noirs aux mouvements de Gaia

« Personne ne s'attendait à trouver un trou noir de grande masse tapi à proximité, non détecté jusqu'à présent. C'est le genre de découverte que l'on ne fait qu'une fois dans sa vie de chercheur », explique ainsi Pasquale Panuzzo, membre de la collaboration Gaia et astronome à l'Observatoire de Paris au CNRS.

Sa collègue Elisabetta Caffau, co-auteur de l'article et également membre de la collaboration Gaia à l'Observatoire de Paris-CNRS précise : « Nous avons pris la décision exceptionnelle de publier cet article basé sur des données préliminaires avant la publication prochaine des données Gaia, en raison de la nature unique de cette découverte. » Les données de Gaia trahissant notamment l'existence de l'astre compact qui a été baptisé Gaia BH3, ou BH3 en abrégé (trou noir se dit Black Hole, en anglais), ne devaient en effet être rendues publiques qu'en 2025 au plus tôt (incidemment, le trou noir le plus proche connu à ce jour a aussi été débusqué par Gaia, il s'agit de BH1) il s'agira du quatrième catalogue de données de Gaia, c'est à dire le Data Release 4 (DR4).

Qu'est-ce qui a bien pu motiver une telle décision ? Le communiqué de l'ESO en donne les raisons.

La masse de BH3 est déjà atypique, puisque pas dans la moyenne des masses de trous noirs stellaires observés dans la Voie lactée comme on l'a vu. Elle a été déterminée comme dans le cas de certaines exoplanètes par la méthode des vitesses radiales. En effet, Gaia voit en fait le mouvement de l'étoile compagne de BH3 qui oscille sous l'effet de sa gravité comme le fait une étoile en raison de la présence d'une exoplanète. Il suffit de détecter les décalages spectraux par effet Doppler alternativement vers le rouge et vers le bleu quand l'étoile s'éloigne ou se rapproche de Gaia pour en tirer la masse du corps perturbateur, fut-il invisible comme c'est le cas avec BH3.


Des astronomes ont découvert le trou noir stellaire le plus massif de notre Galaxie, grâce au mouvement d'oscillation qu'il induit sur une étoile compagne. Ce mouvement a été mesuré pendant plusieurs années par la mission Gaia de l'Agence spatiale européenne. Cette vidéo résume la découverte. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ESA/ESO/Gaia/DPAC, CC BY-SA 3.0 IGO

Un test de la théorie de la naissance des trous noirs stellaires massifs

Sa masse record interroge les processus d'effondrement gravitationnel donnant un trou noir. Selon la théorie en vigueur, il provient d'une étoile d'au moins 10 masses solaires, instable en fin de vie et qui explose en supernova. On ne modélise pas encore bien combien de la masse initiale de l'étoile est éjecté par instabilité et bien sûr au moment de l'explosion, de sorte que la masse du trou noir résiduelle est incertaine.

La théorie nous dit toutefois aussi qu'une étoile contenant peu d'éléments lourds doit tendre à former des trous noirs massifs. Les astrophysiciens ont donc utilisé des données provenant notamment du spectrographe Uves (Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph) du VLT pour avoir une idée de la composition chimique de l'atmosphère de l'étoile hôte de BH3 et donc sa composition.

Il se trouve que l'on a toutes les raisons de penser que des étoiles dans un système binaire naissent à partir d'un même nuage de matière dont toutes les deux héritent de la composition chimique. L'étoile génitrice de BH3 devait donc avoir la même composition initiale que son étoile compagne.

De facto, les membres de la collaboration Gaia ont montré que cette étoile était pauvre en éléments lourds et avait donc une faible métallicité, comme disent les astrophysiciens dans leur jargon (pour eux les « métaux » sont les éléments plus lourds que le lithium).


BH3 faisait-il partie d'un amas globulaire ou d'une petite galaxies avalé par la Voie lactée ? Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ESA/Gaia/DPAC, CC BY-SA 3.0 IGO

Cela conforte l'hypothèse que les masses anormalement élevées là aussi de plusieurs des trous noirs en collision émetteurs des ondes gravitationnelles détectées par Ligo et Virgo et qui avaient surpris les astrophysiciens pourraient être expliqués par le même scénario avec des étoiles anciennes, formées au début de l'histoire du cosmos observable lorsque la nucléosynthèse stellaire n'avait pas encore produit beaucoup des éléments lourds dont on mesure les abondances dans la Voie lactée aujourd'hui.

Un communiqué de l’ESA explique également que la découverte de Gaia BH3 est remarquable à un autre titre. En effet, l'étoile autour de Gaia BH3 se trouve à environ 16 fois la distance Soleil-Terre de son compagnon, ce qui est plutôt rare et il s'agit d'une ancienne étoile géante, âgée d'environ 11 milliards d'années et qui s'est donc formée au cours des deux premiers milliards d'années après le Big Bang, au moment où la Voie lactée a commencé à s'assembler. Or le mouvement du système binaire dans notre Galaxie est aussi atypique car il se déplace dans une direction inverse au courant des étoiles du disque galactique.

Comme le précise un article du journal CNRS, le système binaire appartient à une structure nommée ED-2, récemment découverte par Gaia, qui semble issue des restes d'un amas globulaire capturé puis déchiré par les forces de marée de la Voie lactée il y a environ 8 milliards d'années. Ce qui fait dire à Pasquale Panuzzo « C'est véritablement une licorne ! Ça ne ressemble à rien de ce que nous connaissons. Nous avons eu de la chance de la trouver ».


Jean-Pierre Luminet, auteur de l'ouvrage « Les trous noirs en 100 questions » paru aux éditions Tallandier, a donné cette conférence à la librairie le Divan (Paris 15), le 10 septembre 2022. Elle porte sur cet ouvrage. © Ideas in Science

Le système binaire avec BH3 apparaît donc comme un laboratoire pour apprendre des choses nouvelles sur les étoiles binaires et les trous noirs stellaires, comme l'explique la conclusion du communiqué de l'ESO. « D'autres observations de ce système pourraient permettre d'en savoir plus sur son histoire et sur le trou noir lui-même. L'instrument Gravity de l'interféromètre du VLT de l'ESO, par exemple, pourrait aider les astronomes à déterminer si ce trou noir attire de la matière de son environnement et à mieux comprendre cet objet passionnant. »