On sait produire de l'antimatière en laboratoire mais toujours une quantité égale de matière est aussi produite. Comment comprendre alors que l'on ne voit que très majoritairement de la matière dans le cosmos observable ? Il existe plusieurs théories à ce sujet dont l'une vient peut-être de recevoir un nouveau soutien d'une possible composition anormale en hélium des plus anciennes galaxies.


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    Au cours des années 1920, la révolution de la physique quantique s'est produite incroyablement vite et en s'accélérant. L'un de ses plus géniaux contributeurs, le Britannique Paul DiracPaul Dirac, n'était cependant pas satisfait par l'équation proposée pour décrire quantiquement, en accord avec la théorie de la relativité restreinte, des particules de matière comme les électrons. Il proposa donc une autre équation relativiste généralisant l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger d'un électron qu'il avait découvert en 1928. C'est un succès remarquable, l'équation décrit finement le spectrespectre des atomesatomes d'hydrogènehydrogène et elle prédit automatiquement l'existence d'un spinspin, un moment cinétiquemoment cinétique analogue à celui d'une toupie en rotation pour les électrons.

    Mais l'équation de Dirac avait aussi de curieuses solutions avec des énergiesénergies négatives embarrassantes, du jamais vu expérimentalement. Confiant dans la beauté de son équation, Dirac finit par en déduire qu'il existe pour chaque particule de matière chargée un double avec une charge de signe opposée, une antiparticuleantiparticule d'antimatière comme on l'appelle aujourd'hui.


    C’est à tout juste 26 ans, en 1928, que Paul Dirac formule l’équation qui porte son nom. Il lui a fallu une année entière pour y parvenir ! Dans ce 9e épisode des équations Clefs de la physique, découvrez l’histoire de l’équation de Dirac qui permit de prédire l’existence de l’antimatière… Une véritable révolution ! © CEA Recherche

    Une équation qui décrit la création de matière

    En fait, Dirac se trompait en partie, son équation n'était pas la généralisation relativiste de l'équation de Schrödinger pour un électron (et encore moins une généralisation relativiste de l'équation de Schrödinger en général) mais bien plutôt une nouvelle équation de champ qui s'ajoutait à celles déjà connues décrivant l'électromagnétismeélectromagnétisme. C'est en appliquant à cette équation des règles de quantificationquantification similaire à celles des atomes -- et qui, déjà appliquées à des champs électromagnétiqueschamps électromagnétiques, impliquaient aussi un spectre discret en niveaux d'énergie comme pour les atomes, en l'occurrence des quanta de lumièrelumière, les photonsphotons -- que l'on pouvait vraiment comprendre son équation et ses solutions à énergies négatives.

    Mais, par conséquent, on pouvait en déduire que des processus de création de particules de matière, analogues aux processus de création des photons, devaient exister. Le positronpositron, l'antiparticule de l'électron, fut découvert en 1932 dans les rayons cosmiquesrayons cosmiques par Carl Anderson et l'antiprotonantiproton dans des expériences en accélérateur par Emilio Segrè et ses collègues en 1955.

    Depuis, la théorie et les expériences sont claires, on ne peut créer des particules chargées que par paires, une particule et une antiparticule. Quand la théorie du Big Bang a été accréditée à partir de 1965, il est devenu rapidement clair aussi qu'autant de matière que d'antimatièreantimatière aurait dû exister. Or, là aussi, la théorie et l'expérience montrent qu'une particule et son antiparticule en contact s'annihilent pour ne donner que des photons.

    Au bout du compte, il faudrait en conclure que nous ne devrions pas exister et que l'UniversUnivers observable ne devrait être rempli que des photons du rayonnement fossilerayonnement fossile, photons produits par la disparition conjointe de la matière et de l'antimatière.

    Bien évidemment, ce n'est pas le cas, mais où est donc passé l'antimatière manquante qui devrait être en quantité égale à la matière, et pourquoi l'annihilation prédite ne s'est pas produite ? C'est la fameuse énigme de l'antimatière cosmologique manquante.


    Yves Sacquin, physicien au CEA, explique ce qu'est l'antimatière. À chaque particule de matière correspond une antiparticule symétrique. Les antiparticules n'existent pas dans la nature car, lorsqu'elles rencontrent leur particule symétrique, elles s'annihilent pour ne donner que des radiations. Le modèle du Big Bang prévoit qu'il se soit créé au tout début autant de matière que d'antimatière. Or, seule la matière est observable dans l'Univers. Où est passée l'antimatière ? C'est pour élucider ce mystère que la recherche fondamentale s'intéresse à l'étude de l'antimatière et à sa création pour essayer de voir si elle n'aurait pas des propriétés différentes des propriétés symétriques de la matière. Une vidéo co-réalisée avec L'Esprit Sorcier. © CEA Recherche

    Un excès d'antineutrinos qui explique un défaut d'hélium

    Il existe plusieurs solutions possibles. On pourrait par exemple imager qu'une sorte d'antigravité aurait repoussé les particules de matière et d'antimatière dans deux mondes disjoints avant qu'elles ne s'annihilent.

    On pourrait imaginer encore un effet d'une autre nouvelle physique qui produirait plus de matière que d'antimatière. Les photons du rayonnement fossile indiqueraient alors qu'il existait une fraction de plus de particules de matière d'environ un milliardième, la matière connue ne serait donc qu'un infime vestige de ce qui existait au moment du Big BangBig Bang et du carnage de particules et d'antiparticules ayant produit les grains de lumière du rayonnement fossile.

    Ce dernier scénario est le plus privilégié et les théoriciens ont ainsi produit dès les années 1970 des modèles dits de baryogénèse expliquant pourquoi il devait exister plus de protonsprotons et de neutronsneutrons, des brayons, au moment du Big Bang, que leurs antiparticules. Des scénarios dits de leptogénèse (l'électron et ses cousins lourds comme le muonmuon font partie de la famille des leptonsleptons), avec des neutrinos notamment, ont aussi été produits. On peut en avoir des exemples dans des articles disponibles sur arXiv.

    Tout récemment, Anne-Katherine Burns, une doctorante dans le domaine des astroparticulesastroparticules à l'University of California, à Irvine, aux USA, a fait savoir via un article du média en ligne The Conversation qu'elle et ses collègues avaient trouvé des indices supplémentaires en faveur de certains modèles de leptogénèse avec des neutrinosneutrinos.

    Ces modèles impliquent que certains types de neutrinos ont dû être produits en quantité non égale à celle de leurs antiparticules. Au cours des premières secondes et minutes du Big Bang, une asymétrie dans le nombre de neutrinos par rapport aux antineutrinos peut alors changer les abondances de l'héliumhélium par rapport à l'hydrogène dans le cadre de ce que l'on appelle la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale.


    Les protons, les neutrons, les atomes, d'où vient la matière ? Découvrez en animation-vidéo comment la matière est apparue il y a environ 13,7 milliards d'années. Des premiers noyaux d'hydrogène, encore appelés protons, aux noyaux plus lourds tels que le fer, différentes phases de l'histoire de l'Univers sont à l'origine de la création des éléments naturels présents sur Terre. Une animation-vidéo co-réalisée avec L'Esprit Sorcier. © CEA Recherche

    L'hélium cosmologique, une sonde des particules de l'infiniment petit

    C'est ce qu'explique Anne-Katherine Burns quand elle dit : « Les physiciensphysiciens pensent qu'une seconde seulement après le Big Bang, les noyaux d'éléments légers comme l'hydrogène et l'hélium ont commencé à se former. Ce processus est connu sous le nom de nucléosynthèse du Big Bang. Les noyaux formés étaient composés d'environ 75 % de noyaux d'hydrogène et de 24 % de noyaux d'hélium, plus de petites quantités de noyaux plus lourds. La théorie la plus largement acceptée par la communauté des physiciens sur la formation de ces noyaux nous dit que les neutrinos et les antineutrinos ont joué un rôle fondamental dans la création, en particulier, des noyaux d'hélium. La création d'hélium dans l'univers primitif s'est déroulée en deux étapes. Premièrement, les neutrons et les protons se sont convertis de l'un à l'autre dans une série de processus impliquant des neutrinos et des antineutrinos. Lorsque l'univers s'est refroidi, ces processus se sont arrêtés et le rapport protons/neutrons a été établi ».

    Burns et ses collègues se sont donc servis d’observations inédites et plus fines des abondances d'hélium dans des galaxiesgalaxies lointaines et anciennes sous le regard des instruments du télescopetélescope japonais Subaru, à Hawaï. La dizaine de galaxies étudiée semble contenir moins d'hélium que ne le prédit le modèle standardmodèle standard de la nucléosynthèse primordiale.

    L'anomalieanomalie est pour le moment faible, encore assez loin des 5 sigmas, comme disent les chercheurs dans leur jargon, nécessaires pour clamer une découverte et qui impliquent qu'il y a seulement une chance sur un million environ pour qu'une fluctuation dans une mesure mime un effet qui ne soit pas dû au hasard.

    Il reste donc beaucoup de travail à faire mais clairement, c'est un sujet de recherche sur lequel il faut garder un œilœil.

    On peut s'en convaincre en se rappelant de l'histoire suivante il y a des années avec les défunts astrophysiciensastrophysiciens David Schramm et Gary Steigman qui, à partir des données de la nucléosynthèse primordiale de l'hélium connues, en avaient déduit qu'il ne devait exister que trois familles de neutrinos légers dans l'Univers.

    D'abord un peu sceptique, la communauté scientifique dut se rendre à l'évidence en 1989 au CernCern lorsque le LEP, avec des collisions d'électrons et de positrons et en étudiant la désintégration du bosonboson Z de la théorie électrofaible, vérifia qu'il n'existait en effet que trois familles de neutrinos légers.