Depuis une décennie, les mesures plus précises et solides de la fameuse constante de Hubble, permettant de déterminer notamment les distances des galaxies et de sonder une possible nouvelle physique en rapport avec l'énergie noire, donnaient des résultats de plus en plus divergents selon les méthodes utilisées. Les cosmologistes avaient fini par parler au sujet de ce problème de la « tension de Hubble ». Le débat à ce sujet vient de rebondir grâce à de nouvelles mesures rendues possibles avec le télescope spatial James-Webb.


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    Cela fait des années que l'on parle régulièrement au premier plan de l'actualité des développements de la cosmologie de ce qui est appelé la « tension de Hubble », et que certains se demandent si elle ne représente pas une crise du modèle cosmologique standard avec matière et énergie noire, suspectant même une crise de la physique fondamentale.

    Cette tension est en effet potentiellement la manifestation de la nature de l'énergie noire affectant l'expansion de l'espace observable qu'elle semble accélérer depuis un peu plus de 5 milliards d'années. Or le destin du cosmos dépend justement de la nature précise de l’énergie noire.

    Futura avait déjà consacré un long article à cette célèbre tension à l’occasion des 20 ans de Futura et pour un édito de Françoise Combes. Depuis quelques mois, un groupe de chercheurs menés par la cosmologiste de l'université de Chicago Wendy Freedman avait commencé à expliquer que selon des analyses concernant des observations faites avec le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb effectuées par elle et ses collègues il n'y avait peut-être pas finalement de « tension de Hubble », et donc encore moins de nouvelle physique pointant le bout de son neznez.

    Avait-on finalement été confronté à l'équivalent de l'affaire des neutrinos qui semblaient dépasser la vitesse de la lumière, c'est-à-dire à la mise en évidence d'une source d'erreur ayant résisté pendant un temps à la sagacité et la rigueur des chercheurs ?


    Le prix Nobel de physique Adam Riess nous parle de la tension de Hubble. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NASA's Goddard Space Flight Center

    Un conflit entre les supernovae SN Ia et le rayonnement fossile

    Ce qui est certain, c'est que Wendy Freedman et ses collègues viennent de faire savoir plus précisément de quoi il en était en soumettant un long article au réputé The Astrophysical Journal, article que l'on peut consulter en accès libre sur arXiv. L'annonce était faite dans un communiqué de l'université de Chicago et un article du célèbre Quanta Magazine.

    Mais de quoi parle-tt-on vraiment avec la « tension de Hubble » ?

    Il s'agit du désaccord de plus en plus significatif aux erreurs de mesure près, entre deux méthodes importantes de détermination d'une constante notée H0 qui intervient de façon fondamentale dans la fameuse loi de Hubble-Lemaître permettant de relier la distance d'une galaxiegalaxie à son décalage spectral.

    Cette constante est un paramètre fondamental du modèle cosmologique standard que l'on peut évaluer en mesurant précisément les caractéristiques du rayonnement fossile, ce qui a été fait avec la mission Planckmission Planck. Les « Planckiens », comme on les appelle et dont la regrettée Cécile Renault faisait partie, ont analysé les mesures de Planck avec grand soin, tenant compte de plusieurs sources d'erreurs possibles.

    Le prix Nobel de physique Adam Riess et ses collègues, comme Saul Perlmutter, avaient entrepris de mesurer aussi précisément que possible la constante de Hubbleconstante de Hubble-Lemaître en utilisant le télescope Hubble puis le JWST pour étudier notamment les explosions de supernovaesupernovae SNSN Ia dans des galaxies de plus en plus lointaines. Lui et ses collègues trouvaient une valeur différente. En fait, depuis 10 ans, l'écart se creusait entre ces mesures obtenues par deux méthodes, l'étude du rayonnement fossilerayonnement fossile donnant H0 = 67.4 ± 0.5 km s−1 Mpc−1 et les supernovae H0 = 73.0 ± 1.0 km s−1 Mpc−1.


    Il y a quelques mois, Becky Smethurst, astrophysicienne à l'université d'Oxford (Christ Church) avait parlé de l’équipe de Wendy Freedman qui avait présenté ses nouveaux résultats sur la tension de Hubble pour la première fois lors d'une réunion de l'American Physical Society. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Dr. Becky

    La mesure des distances, une clé de l'astronomie

    Il peut s'agir d'une erreur dans ce que l'on appelle l'échelle des distances cosmiques. Cette échelle se construit en mettant bout à bout plusieurs méthodes de détermination des distances qui s'appuient l'une sur l'autre. Mais cela veut dire que chaque méthode ajoute ses erreurs à la précédente et qu'il se produit alors ce que l'on appelle en science le phénomène de propagation des erreurs.

    En gros, on commence par mesurer des distances d'étoilesétoiles proches du SoleilSoleil dans la Voie lactéeVoie lactée en utilisant la méthode de la parallaxeparallaxe.

    Comme l'explique Michel Serres dans le deuxième épisode de Tours du monde, tours du ciel, célèbre documentaire de la fin des années 1980, l'astronomie scientifique et la géométrie se sont étroitement développées l'une par l'autre dans les mains des savants grecs de l'Antiquité. C'est le mathématicienmathématicien et astronomeastronome Hipparque, peut-être le fondateur de la trigonométrietrigonométrie, qui a semble-t-il utilisé pour la première fois la méthode dite de la parallaxe pour mesurer les distances des planètes dans le Système solaireSystème solaire. Mais c'est CopernicCopernic qui le premier a eu l'idée de transposer la méthode à l'échelle des étoiles. Les tentatives en ce sens restèrent vaines jusqu'au début du XIXe siècle, lorsque Friedrich Bessel réussit enfin, en 1838, à mesurer la parallaxe de 61 Cygni.

    La méthode de la parallaxe, illustrée ici, ne permettait pas de faire des mesures de distance précises au-delà de quelques centaines d'années-lumière. Hubble permet maintenant d'estimer des distances de plusieurs milliers d'années-lumière sans problème. © Nasa, ESA, A. Feild
    La méthode de la parallaxe, illustrée ici, ne permettait pas de faire des mesures de distance précises au-delà de quelques centaines d'années-lumière. Hubble permet maintenant d'estimer des distances de plusieurs milliers d'années-lumière sans problème. © Nasa, ESA, A. Feild

    La méthode est simple : il suffit de mesurer le changement de position apparent d'une étoile sur la sphère céleste au cours de l'année. Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessus, la simple mesure de l'angle p, la parallaxe, à deux positions sur l'orbiteorbite terrestre formant une base triangulaire, permet de connaître la distance de l'étoile à notre Système solaire, si l'on connaît la distance moyenne Terre-Soleil, la fameuse unité astronomiqueunité astronomique (UA).

    Toutefois, cette méthode ne fonctionne bien que pour des étoiles relativement proches, comme Alpha du Centaure ou Tau Ceti. Elle devient de moins en moins précise avec la distance et de plus en plus difficile à mesurer, car p devient de plus en plus petit. C'est pourquoi on se sert de la méthode de la parallaxe pour calculer la distance des étoiles variablesétoiles variables particulières que sont les céphéides. On peut relier la magnitude absoluemagnitude absolue de ces étoiles à la variation périodique de leur luminositéluminosité. En mesurant leur luminosité apparente, on peut en déduire leur distance.

    Avec la méthode de la parallaxe, on calibre la méthode de mesure des distances basée sur les céphéides, ce qui permet d'évaluer des distances dans toute la Voie lactée et au-delà. Pour les galaxies lointaines, les céphéides servent à leur tour à calibrer d'autres « chandelles standardschandelles standards », comme on dit en astronomie.

    Une vue d'artiste du concept d'échelle des distances déterminée avec des chandelles standards sous forme de supernovae SN Ia dans les galaxies spirales. On peut aussi utiliser des règles étalons sous la forme d'astres dont on connaît la taille, comme certaines galaxies. © Nasa, JPL–Caltech
    Une vue d'artiste du concept d'échelle des distances déterminée avec des chandelles standards sous forme de supernovae SN Ia dans les galaxies spirales. On peut aussi utiliser des règles étalons sous la forme d'astres dont on connaît la taille, comme certaines galaxies. © Nasa, JPL–Caltech

    Ainsi, via ce que l'on appelle la loi de Tully-Fisher, il est possible de connaître la luminosité intrinsèque des galaxies spiralesgalaxies spirales qui vont alors jouer dans le royaume des galaxies le même rôle que les céphéides.

    On ne peut pas se servir très loin des céphéides pour deux raisons, d'abord elles ne sont pas assez brillantes et enfin, il faut pouvoir atteindre une résolutionrésolution suffisante avec un télescope pour distinguer une céphéide dans une lointaine galaxie.

    On peut finalement se servir de la loi de TF pour calibrer des mesures de distance à l'échelle cosmologique au moyen des explosions de supernovae SN Ia. Ce sont des explosions de naines blanchesnaines blanches dont la luminosité ne doit pas beaucoup varier. Comme ces explosions sont très lumineuses, elles permettent de sonder des distances sur plusieurs milliards d'années-lumièreannées-lumière, étant attendu que plus une « chandelle standard » est loin moins elle est brillante, ce qui permet de déterminer une distance en comparant luminosité apparente et luminosité absolue.

    En mesurant un décalage spectral, on en déduit ensuite la valeur de la constante de Hubble-Lemaître.

    Quelques méthodes d'estimation des distances en astronomie sont présentées ici. Elles prennent appui les unes sur les autres. On commence par estimer avec un radar des distances de planètes dans le Système solaire. La taille de l'orbite terrestre permet alors d'appliquer la méthode de la parallaxe pour mesurer les distances de céphéides à quelques milliers d'années-lumière du Soleil. Les céphéides sont ensuite employées pour estimer les distances entre les galaxies jusqu'à environ une centaine de millions d'années-lumière. La loi de Tully-Fisher et les supernovae SN Ia prennent ensuite le relais pour des distances de l'ordre du milliard d'années-lumière. © <em>Open University</em>
    Quelques méthodes d'estimation des distances en astronomie sont présentées ici. Elles prennent appui les unes sur les autres. On commence par estimer avec un radar des distances de planètes dans le Système solaire. La taille de l'orbite terrestre permet alors d'appliquer la méthode de la parallaxe pour mesurer les distances de céphéides à quelques milliers d'années-lumière du Soleil. Les céphéides sont ensuite employées pour estimer les distances entre les galaxies jusqu'à environ une centaine de millions d'années-lumière. La loi de Tully-Fisher et les supernovae SN Ia prennent ensuite le relais pour des distances de l'ordre du milliard d'années-lumière. © Open University

    Trois types d'astres, les céphéides, les étoiles carbonées et des géantes rouges

    Les rappels et prolégomènes nécessaires étant faits, on peut maintenant revenir aux travaux de Wendy Freedman. Le communiqué de  l'université de Chicago que les cosmologistes ont mesuré la distance de dix galaxies proches et ont mesuré une nouvelle valeur pour le taux d'expansion de l'UniversUnivers à l'heure actuelle avec le JWST, obtenant pour H0 une valeur d'environ 70 kilomètres par seconde par mégaparsec, parfaitement compatible cette fois-ci avec l'estimation donnée à partir de l'étude du rayonnement fossile (67,4 kilomètres par seconde par mégaparsec), aux erreurs de mesure près.

    Ce qui fait dire à Wendy Freedman : « Sur la base de ces nouvelles données du JWST et en utilisant trois méthodes indépendantes, nous ne trouvons pas de preuve solidesolide de l'existence d'une tension de Hubble. Au contraire, il semble que notre modèle cosmologique standard pour expliquer l'évolution de l'Univers se maintient ».

    Dans chaque galaxie étudiée, Wendy Freedman et ses collègues ont utilisé une céphéide et une étoile carbonée (étoile de type C), une étoile de la branche asymptotique des géantesbranche asymptotique des géantes (en anglais, asymptotic giant branch ou AGB) qui est une région du diagramme de Hertzsprung-Russelldiagramme de Hertzsprung-Russell où se trouvent ces astresastres qui ressemblent à des géantes rougesgéantes rouges lumineuses, dont l'atmosphèreatmosphère contient plus de carbonecarbone que d'oxygèneoxygène. Ces étoiles carbonées sont dans une phase avancée de l'évolution des étoiles de faible massemasse à moyenne (10 fois celle du Soleil au plus) pendant laquelle celles-ci fusionnent l'héliumhélium en carbone et en oxygène dans une coquille située juste au-dessus de leur cœur inerte de C-O. Elles sont plusieurs milliers de fois plus lumineuses et quelques centaines de fois plus grosses que le Soleil.

    Elles ont des couleurscouleurs et des luminosités constantes dans le spectrespectre de lumière dans le proche infrarougeinfrarouge que peut étudier le JWST. On peut donc s'en servir comme chandelle standard pourvu qu'on puisse en détecter une avec un instrument de pouvoir de résolution suffisant dans l'infrarouge, ce qui est le cas avec le James-Webb. C'est ce que l'on appelle la méthode JAGB (J-region Asymptotic Giant Branch) pour la détermination des distances.

    La pointe de la branche des géantes rouges (TRGB) sur le diagramme de Hertzsprung-Russell (H-R) se trouve en haut de la branche des <em>Red Giant</em>. Le Soleil se trouve, lui, sur la séquence principale des étoiles (<em>Main Sequence</em>). Les températures sont en kelvins et les luminosités en unité de luminosité solaire. © Taylor Hoyt
    La pointe de la branche des géantes rouges (TRGB) sur le diagramme de Hertzsprung-Russell (H-R) se trouve en haut de la branche des Red Giant. Le Soleil se trouve, lui, sur la séquence principale des étoiles (Main Sequence). Les températures sont en kelvins et les luminosités en unité de luminosité solaire. © Taylor Hoyt

    La troisième méthode utilisée est celle se basant sur le sommet de la branche des géantes rouges, généralement désignée dans la littérature par son équivalent anglophone Tip of the Red Giant Branch, en abrégé TRGB.

    Là aussi, il s'agit d'étoiles particulières avec une luminosité intrinsèque bien définie et relativement stable, observées dans le diagramme empirique de Hertzsprung-Russell (H-R), ou diagramme couleur-magnitude (CMD), qui code des informations sur les luminosités (magnitudes) et les températures (couleurs) des objets astronomiques.

    Remarquablement, pour chaque galaxie, les trois méthodes déterminent simultanément des valeurs de H0 compatibles et quand on les combine, on obtient donc finalement la nouvelle valeur de H0 qui n'est plus en tension avec celle fournie par le rayonnement fossile.

    Portrait de Françoise Combes, médaille d'or 2020 du CNRS. © CNRS
    Portrait de Françoise Combes, médaille d'or 2020 du CNRS. © CNRS

    Les réflexions de Françoise Combes

    Nous avons bien sûr demandé à Françoise CombesFrançoise Combes son avis au sujet de l'article de Wendy Freedman et ses collègues. Elle nous a répondu alors qu'elle était à la 32e assemblée générale de l'Union astronomique internationaleUnion astronomique internationale qui se tenait du 6 au 15 août 2024 au Cap, en Afrique du Sud. Titulaire de la chaire « Galaxies et cosmologie » au Collège de France et Vice-présidente de l'Académie des sciences pour 2023-2024, Françoise Combes nous a confié que bien entendu elle avait lu avec grand intérêt cet article sur arXivarXiv.

    Pour elle, il faut encore garder la tête froide.

    « Apparemment, les céphéides donnent toujours une tension, et le Tip-RGB et les JAGB pas tellement. Il n'y aurait plus de tension ?

    Il faut être prudent, car ces deux autres traceurs sont réputés pour être moins bons que les céphéides, donc peut-être faut-il attendre un peu, en tout cas on peut en faire part, tout en prenant des précautions... Il vaudrait mieux attendre confirmation. »