On ne présente plus Van Gogh mais après le Da Vinci Code y aurait-il un « Van Gogh Code » à déchiffrer dans les peintures de Vincent montrant des ciels étoilés ? Était-il inspiré par les découvertes de l'astronomie de son temps vulgarisées en France par Camille Flammarion ? Bien placé au point de convergence de l'art et de la science, l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet a mené son enquête pour le savoir en produisant un ouvrage qui s'adresse avant tout à ceux que Vincent Van Gogh passionne, mais avec quelques touches d'astronomie.
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« Je déclare ne pas en savoir quoi que ce soit. Mais toujours la vue des étoiles me fait rêver. »
« J'ai un besoin terrible de religion, alors je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles. »
Ce sont deux citations célèbres de Vincent Van Gogh extraites des fameuses lettres à Théo Van Gogh, son frère.
Peut-on les rapprocher du contenu du Timée, l'ouvrage où se trouve exposé le mythe de l'Atlantide et où Platon (au sujet duquel Alfred North Whitehead affirmait au début du XXe siècle que toute la pensée occidentale ne constituait en réalité qu'une série d'annotations à l'œuvre du fondateur de l'Académie) rapporte que si l'Homme dispose de la vue c'est « afin qu'en examinant dans le ciel les cercles de l'intelligenceintelligence éternelle, nous apprenions à conduire ceux de notre esprit, qui, malgré le désordre de leurs mouvements, sont de même nature que ces autres cercles bien ordonnés, et qu'instruits par ce spectacle à donner à nos pensées la direction la plus régulière que comporte notre nature, à l'image des cercles divins qui ne s'écartent point de leur route, nous réglions ceux qui s'en écartent en nous » ?
La vision artistique et scientifique de l'astronomie
Certes, il est bien connu que dans un autre ouvrage, La République, Platon voulait chasser les poètes de sa Cité. Mais ce serait oublier bien vite d'une part que Platon lui-même travaillait ses textes comme un écrivain, utilisant des mythes, mais aussi que dans la formation des philosophes à la tête de sa ville idéale, comme chez son ami et peut-être maître à l'égal de Socrate, le pythagoricien Archytas de Tarente, la géométrie, l'arithmétique, la musique et l'astronomie sont liées au sein de la philosophie. Elles participent des idées de beauté, d'harmonie, de mesure et de raison et sont considérées comme ayant un intérêt intrinsèque, en elles-mêmes, par-delà toute application pratique possible, même si elles donnent les clés d'une connaissance du monde.
Les idées n'y sont pas seulement des concepts mais aussi des visions, des émotions, des états de conscience dont le dialecticien platonicien saisit l'unité et la croissance organique conjointe dans la trajectoire d'un philosophe platonicien.
Il n'y a donc guère de doute que dès cette époque, on avait compris chez les esprits les plus avancés qu'il existait une connexion profonde dans une région de la conscience où esthétique, voire mystique, et science rationnelle ne sont que des faces d'une même pièce. On ne peut s'empêcher de s'interroger d'ailleurs sur les soupçons de l'existence d'un enseignement illuminatif non écrit de Platon dans son école.
Et finalement, n'est-ce pas la raison du succès de la célèbre série Cosmos de Carl Sagan, où l'astronomie, les sciences, des images, des dessins et la musique de Vangelis se combinent, échos modernes sans doute des visions de Platon de ce point de vue-là ?
Extrait du documentaire « Vincent Van Gogh, l'évangéliste » de Valérie Manuel et Annie Zorz (2000) avec Jean-Pierre Luminet et Pascal Bonafoux. Musique : Henri Dutilleux. On constate que Jean-Pierre Luminet s'interrogeait depuis un moment déjà sur les œuvres de Van Gogh et leurs rapports avec l'astronomie. © Jean-Pierre Luminet
Les Nuits étoilées de Vincent Van Gogh
Dès lors, on ne sera pas étonné non plus par la publication, il y a quelque temps déjà cette année, d'un ouvrage que Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet consacre à Vincent Van Gogh, aux éditions Seghers, après celui consacré aux histoires extraordinaires et insolites d'astronomes et celui intitulé Les trous noirs en 100 questions. Les lecteurs de Futura savent que Jean-Pierre Luminet alimente le blogblog que Futura a mis à sa disposition, « Luminesciences », en y parlant de science et de poésie, d'astronomie et de musique, d'histoire et de philosophie.
Pour un philosophe platonicien ou un artiste-ingénieur de la Renaissance comme l'était Léonard de Vinci, ce mélange des genres est parfaitement normal et il n'est pas surprenant que Jean-Pierre Luminet, bien qu'astrophysicienastrophysicien ayant publié en octobre 2020, aux éditions Odile Jacob, un ouvrage consacré aux théories de la gravitation quantiquegravitation quantique, L'écume de l'espace-temps, ait aussi publié de la poésie et soit également dessinateur et sculpteur, mais aussi musicien comme le montre son livre Du piano aux étoiles, une autobiographie musicale, paru le 7 octobre 2021 chez Le Passeur Éditeur.
Il n'est pas question des trous noirs vus par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope ou des univers chiffonnés dans « Les Nuits étoilées de Vincent Van Gogh », l'ouvrage qui a été publié aux éditions Seghers. Le mieux pour en présenter le contenu est sans doute de reprendre les commentaires de la maison d'édition à son sujet ainsi que l'interview que Jean-Pierre Luminet a donnée à Laurence Honnorat sur sa célèbre chaîne YouTubeYouTube : Ideas in Science.
« Le 20 février 1888, âgé de 35 ans, Vincent Van Gogh, l'homme du nord, s'installe à Arles. C'est l'hiverhiver, mais il découvre la lumièrelumière provençale, éclatante de jour comme de nuit. Stupéfait par la limpidité du firmament, ce passionné d'astronomie se laisse gagner par un projet nouveau : peindre le ciel. Et même s'il est intimidé par le sujet, il veut surtout peindre un ciel étoilé. Parce que "La nuit est encore plus richement colorée que le jour", écrit-il. Certains de ses plus grands chefs-d'œuvre naîtront de ce projet : TerrasseTerrasse de café le soir à Arles, La nuit étoilée sur le Rhône, La nuit étoilée de Saint-Rémy-de-Provence...
Les étoiles sont-elles, dans ces toiles, disposées au hasard ou bien correspondent-elles à une configuration réelle du ciel nocturnenocturne ? Cette question qui anime l'écrivain et astrophysicien passionné des arts qu'est Jean-Pierre Luminet n'est pas seulement une affaire de curiosité biographique, cela touche aussi à la vision fondamentale du peintre. Van Gogh a toujours mis en avant son désir de faire preuve d'un certain réalismeréalisme dans la transposition picturale "Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place... de peindre la chose immédiatement", écrit-il dans une autre lettre. Ce débat (faut-il peindre d'après nature ou imagination) est si sérieux qu'il a provoqué la brouille entre Gauguin et Van Gogh (et la mutilation de l'oreille et crise de folie qui ont suivi chez ce dernier).
Entre biographie, histoire de l'art, science et poésie, se déplaçant sur les lieux précis où Van Gogh a peint, consultant les travaux de certains prédécesseurs (le plus souvent pour les contredire), et recourant à des logicielslogiciels de reconstitution astronomique, Jean-Pierre Luminet a mené l'enquête. À force de recoupements, il a pu établir que les portions de ciel représentées dans les tableaux correspondent toujours à une réalité. Mais il lui arrive aussi de rendre les choses plus complexes... pour des raisons purement artistiques. Ainsi Van Gogh, comme l'établit avec une fascinante sagacité Jean-Pierre Luminet, opère parfois des montages, ou mêle observation précise, imagination, mémoire... En cela aussi, il a bouleversé les canons et annoncé les évolutions futures de son art (vers le cubisme, le surréalisme, l'abstraction). Ce n'est pas le moindre mérite de ce passionnant petit livre que de démontrer cela. »
Jean-Pierre Luminet interviewé par Laurence Honnorat. © Ideas in Science