Nous avons profité des débats au Sénat et à l'Assemblée concernant le budget 2025 pour interviewer le porte-parole du Commandement de l'espace. Cette rencontre nous a permis d'explorer les programmes spatiaux militaires et de comprendre comment la France s'efforce d'adapter sa stratégie spatiale face aux défis actuels, en consolidant ses capacités et en se préparant à un environnement spatial de plus en plus compétitif et contesté.
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Dans un contexte géopolitique de plus en plus complexe et incertain, la France renforce sa stratégie spatiale militaire à travers des investissements significatifs et des programmes innovants. Lors d'une récente interview avec le porteporte-parole du Commandement de l'espace (CDE), nous avons exploré et les objectifs et les enjeux des programmes militaires en lien avec le budget 2025, conformément avec la Loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM). Cette loi prévoit une enveloppe de 6 milliards d'euros visant à accroître les capacités d'observation, d'écoute, de télécommunications et de maîtrise de l'espace, tout en assurant l'autonomieautonomie stratégique du pays.
L'engagement de la France en faveur de la modernisation de ses capacités spatiales
Au cœur de cette démarche se trouve le programme Ares (Action et RésilienceRésilience Spatiale), qui promeut une approche intégrée pour renforcer la surveillance spatiale, améliorer le commandement et développer des capacités d'action dans l'espace. Au cours de notre discussion, nous avons analysé les programmes en cours et l'évolution des dynamiques géopolitiques, mettant en évidence la montée en puissance de nouveaux acteurs comme la Chine et les Émirats arabes unis, ainsi que l'apparition de diverses menaces. Nous avons également examiné le rôle croissant des acteurs privés, illustré par les développements récents liés au conflit en Ukraine.
Cette interview met en lumière l'engagement de la France à s'adapter aux évolutions technologiques et aux risques émergents, tout en œuvrant à la création de partenariats internationaux pour garantir une réponse collective et efficace face aux enjeux contemporains du domaine spatial. Ainsi, une vision résiliente et interconnectée est essentielle pour protéger les intérêts nationaux dans un espace devenu un véritable théâtre de compétition stratégique.
Futura : Quels sont les programmes spatiaux « militaires » prévus dans le budget 2025 ?
Commandement de l'espace : La loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM) s'inscrit dans la continuité des efforts précédents en consolidant les ressources allouées à la défense. Elle prévoit un budget de 6 milliards d'euros destiné à relever les défis identifiés par la Stratégie spatiale de défense (SSDSSD), face à une conflictualité croissante dans le domaine spatial, tout en garantissant notre autonomie stratégique. Cette loi vise non seulement à renforcer l'appui spatial aux opérations militaires, en matière d'observation, d'écoute et de télécommunications, mais aussi à développer des capacités de maîtrise de l'espace et à contractualiser des services commerciaux qui viendront compléter nos missions.
Au cœur de cette initiative se trouve le programme Ares (Action et Résilience Spatiale), qui repose sur un triptyque stratégique : « surveillance et connaissance de l'espace, outil de commandement et de contrôle (C2), et action dans l'espace ». L'engagement financier de 6 milliards d'euros permettra de consolider ces trois piliers fondamentaux, avec une mise en œuvre prévue dans le nouveau bâtiment du Commandement de l'espace (CDE) à Toulouse, dont la livraison est prévue avant la fin de l'année 2025.
“Le programme Ares repose sur un triptyque stratégique : « surveillance et connaissance de l’espace, outil de commandement et de contrôle (C2), et action dans l’espace »”
Futura : Il est question de poursuivre le renouvellement des capacités spatiales militaires et de préparer de nouvelles compétences pour l’avenir
Commandement de l'espace : Oui. Cela inclut notamment la consolidation de l'appui spatial aux opérations avec le lancement de CSO-3 en 2025, suivi du programme IrisIris à compter de 2030. Les travaux se poursuivront également pour le développement du successeur de Ceres, baptisé Celeste, ainsi que pour la préparation de Syracuse V d'ici la fin de la LPM. En parallèle, l'accent sera mis sur le renforcement de notre capacité d'action dans l'espace, notamment à travers le développement, l'expérimentation et la démonstration de technologies permettant l'aveuglement ou la perturbation de satellites à partir de la surface terrestre, avec pour objectif d'atteindre des résultats avant la fin de la décennie.
Futura : Quel est l'état d'avancement des programmes Yoda, Flamhe, Bloomlase, et quelles sont les perspectives après Syracuse ?
Yoda : un des objectifs du CDE est de se doter rapidement de satellites patrouilleurs-guetteurs en orbite géostationnaire, en mesure de défendre nos capacités spatiales. L'enjeu est donc de lancer au plus vite ce démonstrateurdémonstrateur, afin que les opérateurs militaires bénéficient du savoir-faire essentiel à la mise en œuvre de ces moyens de défense active à l'horizon 2030 du programme Egide, première capacité opérationnelle.
Syracuse : la LPM nous permet d'anticiper le futur renouvellement des capacités spatiales militaires de télécommunications. Les travaux portés sur Syracuse V sont encore préliminaires car Syracuse IV n'en est qu'au début de sa phase opérationnelle.
Flamhe : cette étude technologique en cours vise à développer un sous-système laser directement positionné sur les satellites de types « patrouilleurs-guetteurs » afin qu'il puisse riposter de manière active à des actions hostiles, visant toute capacité orbitale et patrimoniale française, dans le respect du droit international.
Etoile : l'étude technologique Bloomlase est intégrée dans le cadre plus large de l'étude générique Etoile. En cours, elle vise à développer des capacités d'action vers l'espace, depuis la surface terrestre ou maritime.
Futura : L’intérêt d'un avion spatial dronisé est-il toujours d'actualité ?
Commandement de l'espace : Un niveau de conflictualité croissant dans l'espace exo-atmosphérique avec des événements susceptibles de gêner, contraindre, voire menacer notre liberté d'accès et d'action, confèrent a priori un intérêt opérationnel aux avions spatiaux dronisés. Les États-Unis et la Chine disposent d'ores et déjà de tels avions spatiaux et conduisent des missions de plus en plus longues.
Les projets industriels sont suivis avec intérêt, mais les études menées sur l’intérêt opérationnel des avions spatiaux n'ont pour le moment pas abouti à des conclusions définitives.
Futura : Quelles sont les analyses du Commandement de l'espace concernant la situation géopolitique actuelle dans le domaine spatial ?
Commandement de l'espace : Le domaine spatial est actuellement le théâtre de nombreuses recompositions géopolitiques qui redéfinissent les relations internationales et influencent les stratégies des États. En premier lieu, l'affirmation de la Chine comme puissance leader dans ce secteur marque un tournant significatif. La Chine ne se contente plus d'être un acteur parmi d'autres ; elle entend imposer son modèle et sa vision d'une gouvernance spatiale, suscitant des préoccupations au sein des nations occidentales.
Parallèlement, le désengagement de la Russie des grands programmes internationaux de coopération scientifique soulève des inquiétudes quant à l'avenir de la collaboration dans l'espace. Cette situation résulte non seulement de tensions diplomatiques, mais aussi d'une volonté de la Russie de privilégier ses propres intérêts stratégiques.
L'émergenceémergence de nouvelles puissances spatiales telles que les Émirats arabes unis et la Corée du Sud illustre également l'évolution du paysage spatial, où des pays traditionnellement moins dominants se positionnent activement sur la scène internationale. Ces nations investissent massivement dans leurs capacités spatiales et développent des programmes ambitieux, renforçant ainsi leur influence géopolitique.
Dans ce contexte, plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ont publié des stratégies spatiales nationales. Ces initiatives visent à clarifier leurs objectifs et à renforcer leur coopération pour faire face aux défis croissants. Toutefois, cette dynamique s'accompagne d'une modification des équilibres et des relations de coopération au sein de l'Europe. Certains partenaires traditionnels pourraient voir leur rôle redéfini, tandis que de nouveaux acteurs émergent, modifiant ainsi les alliances et les collaborations.
Retour sur les enjeux de l’exercice spatial militaire français « AsterX » au Cnes à Toulouse. © Armée de l'Air et de l'Espace, YouTube
Futura : La guerre en Ukraine a mis en avant le rôle d’acteurs privés comme Starlink. Qu’en pensez-vous ?
Commandement de l'espace : Effectivement, la guerre en Ukraine a également renforcé le rôle d'acteurs commerciaux comme SpaceXSpaceX et sa constellation Starlink, illustrant leur importance au niveau stratégique, tactique et opératif. Aujourd'hui, les États peuvent se tourner vers un large éventail de fournisseurs satellitaires privés, offrant des services dans les domaines de l'internetinternet, des télécommunications, de l'imagerie optique, radar et infrarougeinfrarouge.
Ces différentes mutations ont engendré de nouveaux risques, en particulier concernant les débris et la congestion des orbites, ainsi qu'une augmentation des menaces. Ces évolutions ont conduit à reconnaître l'espace extra-atmosphérique comme un milieu spécifique, comme l'atteste la « Revue stratégique de défense et de sécurité » de 2017, qui a abouti à la publication de la « stratégie spatiale de défense » en 2019.
Futura : Quelles sont les caractéristiques et les enjeux qui font de l'espace un théâtre de compétition et de contestation dans le contexte actuel ?
Commandement de l'espace : Désormais considéré comme un théâtre de compétition et de contestation, l'espace est souvent qualifié de zone grise, caractérisée par plusieurs éléments :
- la dualité des activités ;
- l'absence de frontières ;
- la difficulté à détecter et attribuer des actions suspectes ;
- un cadre juridique libéral et l'absence de mécanismes de régulation efficaces, face à la montée en puissance de nouveaux acteurs.
Ces caractéristiques favorisent l'émergence de stratégies hybrideshybrides et le développement de menaces à l'encontre des moyens spatiaux, qui peuvent être soit réversiblesréversibles (guerre électronique, cyberattaquescyberattaques, armes à énergieénergie dirigée), soit irréversibles (destruction d'orbitales, utilisation d'armes cinétiques, destruction des sites de contrôle au sol, impulsion électromagnétique diffusée en altitude).
Ainsi, la grille de lecture de la conflictualité moderne, articulée autour des notions de « compétition, contestation et affrontement » s'applique parfaitement au domaine spatial. Par ailleurs, depuis les années 2010, une profonde mutation a affecté le secteur spatial, désormais désigné sous le terme de « New SpaceNew Space ». Initialement très institutionnel, ce secteur a évolué vers une économie largement dominée par des acteurs privés, avec l'arrivée en force de nouveaux acteurs du numériquenumérique traditionnellement externes à ce domaine. Ces bouleversements ont été rendus possibles grâce à la miniaturisation des composants et à une réduction significative des coûts de lancement. Cette transformation a entraîné une forte augmentation du nombre de satellites lancés chaque année ainsi que celui des lancements eux-mêmes.
Futura : Quelles sont les conséquences de ces analyses sur la stratégie spatiale de défense de la France ?
Pour tenir compte de l'accélération de la conflictualité « vers, dans et depuis l'espace », et assurer la protection de ses intérêts nationaux, la France s'est dotée d'une stratégie spatiale de défense (SSD) en juillet 2019.
Les axes d'effort de cette SSD sont une nouvelle gouvernance avec la création du CDE comme élément intégrateur du spatial au sein des armées et l'élargissement des coopérations internationales. Face à des compétiteurs et une dualité marquée, les partenariats revêtent une importance centrale. Ces coopérations sont un élément essentiel de notre efficacité opérationnelle puisqu'elles permettent d'apporter des réponses coordonnées et collectives aux évolutions et enjeux présents et futurs.
“Il est essentiel d'évoluer vers une architecture du système spatial militaire plus adaptée aux défis actuels.”
Futura : Cette stratégie spatiale vise aussi à renforcer la résilience des capacités militaires de la France...
Commandement de l'espace : Oui. Il est essentiel d'évoluer vers une architecture du système spatial militaire plus adaptée aux défis actuels. Cette évolution repose sur une distribution réfléchie des systèmes spatiaux, permettant de distinguer entre les solutions les plus performantes et celles qui, bien que complémentaires, répondent aux besoins les moins sensibles. Cette approche est non seulement nécessaire pour renforcer notre capacité opérationnelle, mais elle est également la seule option compatible avec l'impératif de maîtrise des coûts de nos programmes.
Par ailleurs, il est devenu indispensable d'accroître le recours aux services commerciaux. En diversifiant les accès à l'espace, cette démarche offre une flexibilité accrue et renforce notre résilience face aux risques et aux menaces potentielles. L'intégration de ces services commerciaux dans notre stratégie permettra de répondre de manière plus réactive et efficace aux besoins changeants du domaine spatial, tout en optimisant les ressources disponibles. En somme, l'adoption d'une approche distribuée et diversifiée dans la gestion des capacités spatiales est cruciale pour assurer la sécurité et la pérennité des intérêts nationaux de la France.