L'Agence spatiale européenne vient d'obtenir un budget de 16,9 milliards d'euros pour les trois ans à venir. C'est plus de 16 % d'augmentation par rapport à 2019. Comment les programmes européens servent-ils à la Planète et à l'Europe ? Futura fait le point avec Josef Aschbacher, directeur de l'ESA. 


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    Ces 22 et 23 novembre, l'Agence spatiale européenne tenait son Conseil ministériel à Paris, centre des décisions pour voter et négocier les budgets des différents programmes. L'enveloppe totale attribuée à l'agence augmente de 16 % par rapport à 2019, avec un total de 16,9 milliards d'euros. Un record ! cependant pas tout à fait à la hauteur des folles espérances de son directeur général, Josef Aschbacher, qui souhaitait une augmentation de 25 %. Le patron de l'ESA poursuit son programme phare pour l'ESA : Future Earth Observation, l'imagerie satellite au service de l'observation de la Planète. Tous les programmes de l'ESA voient leurs moyens augmentés. C'est historique, mais néanmoins indispensable pour suivre le changement du monde spatial d'aujourd'hui.

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    Futura : Quelles sont les prochaines initiatives de l'ESA pour mieux connaître les effets du réchauffement climatiqueréchauffement climatique ?

    Josef Aschbacher : Je commencerais par dire qu'il y a 40 millions d’observations qui sont faites chaque jour pour documenter les prévisions météométéo, dont 95 % par satellite. Les prévisions climatiques sont très liées à la météo dans le sens où nous utilisons les mêmes modèles terrestres, mais à différentes échelles de temps. En d'autres termes, nous n'aurions pas de connaissance précise du changement climatique sans observation satellite.

    Pas de connaissance précise du changement climatique sans observation satellite

    L'autre grande mission liée au climatclimat est d'aider les populations à en anticiper les conséquences afin de pouvoir agir. Nous travaillons sur un projet de simulation de Terre jumelle numériquenumérique (projet Digital Twin Earth) qui simulera les effets ressentis avec la hausse de la température, du niveau de la mer, de la déforestationdéforestation, etc. Les observations satellitaires, couplées à des modèles et des calculs hautement performants, nous permettront de mixer ces simulations. Cela fait partie de nos demandes de financement auprès du Conseil ministériel.

    Image du site Futura Sciences
      

    La sécheresse record de cet été 2022 vue de l'espace. L'observation satellite est indispensable pour comprendre ces événements à grande échelle. © ESA, Copernicus Sentinel

    Concernant l'observation satellitaire, quelle est la suite pour l'ESA dans le cadre du programme Copernicus ?

    Josef Aschbacher : Je connais personnellement très bien le programme car j'étais en charge de sa mise en place, côté ESA. Je tiens à dire que l'Europe peut être très fière des efforts conjoints des États membres, de la Commission européenne et de l'ESA, pour mettre en place l'infrastructure Copernicus et les services affiliésaffiliés. Ce programme d'observation à l'échelle planétaire est un très grand succès.

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    À l'avenir, nous souhaitons intégrer pleinement le « New Space » à ce programme avec, notamment, l'intégration de technologies issues de ce monde. Je prends par exemple le projet Φ-Sat, où une Intelligence artificielleIntelligence artificielle a été testée dans un cubesatcubesat, puis le sera désormais dans un satellite plus gros appelé Chime [Copernicus Hyperspectral Imaging Mission for Environment, ndlr]. Nous achetons également en grande quantité les données traitées par les compagnies du « New Space », ce qui leur permet de survivre. Ainsi, la technologie et les services du « New Space », combinés à la précision des satellites Sentinel, nous permet d'avoir un des meilleurs programmes en matière d'étude de notre Planète.

    Visuel du satellite Chime. © Thales Alenia Space
    Visuel du satellite Chime. © Thales Alenia Space

    Avec Copernicus, les données sont complètement libres d'accès, et ce partout dans le monde ! Quel est le gain pour l'ESA derrière ce partage ?

    Josef Aschbacher : C'est la recette du succès de Copernicus. Notre politique d'accès libre aux données est la raison pour laquelle Copernicus est une référence de l’observation de notre Planète. Certes, tout le monde en profite, mais les entreprises et utilisateurs européens en bénéficient encore plus façon « business class », en accompagnant nos projets tels que Digital TwinDigital Twin Earth, ou d'autres projets de l'ESA liés au climat. Nous possédons ces données, et nous en utilisons les informations pour définir les prochaines générations de satellites d'observation avec de nouveaux instruments plus précis.

    Le programme d'observation de la Terre de l'ESA, Copernicus, se base sur l'utilisation de la gamme de satellites appelés Sentinel. © ESA, Copernicus
    Le programme d'observation de la Terre de l'ESA, Copernicus, se base sur l'utilisation de la gamme de satellites appelés Sentinel. © ESA, Copernicus

    L'étroite collaboration internationale dans les activités spatiales est un véritable succès pour l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne. Comment évoluera l'ESA pour s'adapter aux mutations du spatial ?

    Josef Aschbacher : C'est dans l'ADNADN de l'ESA de s'adapter au changement. En fait, l'ESA est encore meilleure pour s'adapter quand la pression est plus forte ! La beauté de notre système repose sur le fait que 80 % du financement alimente des programmes que nous considérons comme optionnels. Chaque État membre peut décider de financer un programme ou non.

    C’est un vrai challenge, mais j’adore faire ça tous les jours

    Pour convaincre de leur intérêt, les programmes doivent être les plus attractifs possibles et cette compétition à travers l'Europe garantit un excellent retour sur investissement, ce qui place nos programmes parmi les plus rentables au monde. Bien sûr, il y a des discussions pour mettre en commun les intérêts des États membres autour d'un programme. C'est un vrai challenge, mais j'adore faire ça tous les jours.

    L'unicité de l'ESA repose sur le fait qu'elle représente plus d'une vingtaine de pays différents. Comment se cadre tout cela ?

    Josef Aschbacher : C'est très joli à voir car chaque pays membre apporte quelque chose d'unique, avec son expertise ou la technologie qu'il souhaite développer. Nous devons nous assurer que les besoins de la Lettonie correspondent à ceux du Portugal, parfois sur le même projet, parfois sur des projets différents. Cela rend l’agence très puissante car elle repose sur une diversité de populations, de cultures, d'expertises, et des grands pays membres côtoient d'autres plus petits. Tout cela crée des projets uniques et tout aussi robustes.

    Les différents ministres et représentants des États membres de l'ESA en photo de famille pendant le Conseil ministériel. Le prochain aura lieu en 2025. © S. Corvaja, ESA
    Les différents ministres et représentants des États membres de l'ESA en photo de famille pendant le Conseil ministériel. Le prochain aura lieu en 2025. © S. Corvaja, ESA

    Enfin, quelles sont les initiatives de l'ESA pour inciter les jeunes à se lancer dans les métiers de l'espace aujourd'hui ?

    Josef Aschbacher : Nous avons plusieurs programmes pour attirer les jeunes talents et je souhaite vraiment qu'ils restent en Europe, soit au sein de l'ESA, soit en les invitant à créer un projet ou une start-upstart-up. Il est très important pour nous de les garder en Europe à l'heure où la recherche des talents est une vraie compétition internationale. Cela fait partie de mon travail de m'assurer que l'Europe de l'Espace reste attractive, en demeurant une grande puissance spatiale. Nous avons d'ailleurs écrit l’agenda 2025 de sorte que les priorités correspondent aux attentes de la jeune génération : diversité, égalité, durabilité avec notamment la réduction de l'empreinte carbonecarbone de l'ESA de 46,2 % d'ici la fin de la décennie.

    Josef Aschbacher, directeur général de l'ESA. © Daniel Chrétien, Futura
    Josef Aschbacher, directeur général de l'ESA. © Daniel Chrétien, Futura