Falcon, Starship, Starlink, Starshield, Crew Dragon, cargo Dragon, lanceurs, satellites, vaisseaux, réutilisation, hyper-cadence, colonisation de Mars… Difficile aujourd'hui de résumer SpaceX autrement que comme un empire indétrônable. Mais pourrait-il un jour supplanter tout le reste, y compris la Nasa ?
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« On n'est pas dans le même monde » glisse un cadre de la direction du Centre national d'études spatiales (Cnes), l'agence spatiale française. En effet, jamais une entreprise du spatial n'a été aussi puissante. Début décembre, l'entreprise fondée en 2022 a été évaluée à 350 milliards de dollars (336 milliards d'euros), soit deux fois plus qu'il y a un an.
C'est un record pour une entreprise du spatial et tout porteporte à croire que SpaceXSpaceX va continuer de croître de façon exponentielle. SpaceX a réussi à imposer ses standards sur tout l'écosystèmeécosystème. En développant tout en interne, la société est indépendante des autres acteurs, devenus dépassés aux yeuxyeux de beaucoup de monde (ou oldspace), mais qui sont surtout en crise.
Hyper domination des lanceurs
Cette année, la fusée Falcon 9 aura décollé plus de 130 fois, un record dingue qui représente plus de la moitié des lancements dans le monde ! L'année prochaine, SpaceX vise entre 150 et 180 vols. Le Starship a fait des progrès considérables et SpaceX compte en lancer 400 en 4 ans ! Une ambition agressive qui étouffe à la fois toute concurrence et toute initiative.
Avec cette cadence, SpaceX rentabilise la réutilisation de Falcon 9. Plus de la moitié des vols sont pour SpaceX et sa mégaconstellation StarlinkStarlink. Ce soutien interne permet de garder un prix inférieur à celui de tout autre lanceur, et une précieuse disponibilité dans un contexte marqué par des retards généralisés des lanceurs de nouvelle génération (VulcanVulcan, Ariane 6, H-III au Japon), et l'absence des fusées SoyouzSoyouz. Les Européens en ont beaucoup profité.
Enfin, le maintien des vols Transporter (en mode bus spatial qui emporte d'un coup plusieurs dizaines de petits satellites) est l'occasion pour SpaceX de rafler une bonne partie de ce marché aux entreprises qui développent des petits lanceurspetits lanceurs dans l'espoir de devenir concurrents à leur tour. Avec Starship, SpaceX pourrait bien exécuter le même modus operandi pour cette fois-ci faire taire toute concurrence.
Maître des orbites, de la fabrication satellitaire et créateur de tendances
Avec Starlink, SpaceX a fabriqué plus de satellites que n'importe qui dans le monde, et en possède actuellement les deux tiers des 10 000 actifs. Ce processus permet à SpaceX de fabriquer des satellites très low cost. Le Pentagone a montré son intérêt et s'est déjà fait livrer plus d'une centaine de Starshield en orbite (satellites espions pour le NRO). Les Starlink communiquent aujourd'hui entre eux par laserlaser et non plus par radio (meilleur débitdébit), une technique innovante devenue habituelle chez SpaceX du jour au lendemain.
SpaceX a surtout créé un marché qui n'existait pas, la télécommunication depuis l'orbite basse. La demande explose, dopée par l'absence de 5G5G dans certaines régions et par la vulnérabilité des câbles sous-marins dans certaines zones du monde. Starlink compte plus de 5 millions d'utilisateurs particuliers et de nombreux gros clients, comme les compagnies de croisière, ou les compagnies aériennes, avec entre autres United Airlines et AirAir France. SpaceX propose même une connexion directe avec le téléphone (Direct-to-Cell). Ce service est d'ailleurs testé à grande échelle en Nouvelle-Zélande.
Après avoir lancé la mode du lanceur commercial réutilisable, SpaceX a initié celle du satellite « stackable » (compact et plat pour en empiler le plus possible sous la coiffe du lanceur) tout en réactualisant les télécommunications spatiales, avec des dizaines de projets concurrents dans le monde, comme Kuipersat d’Amazon, Guowang et G60 en Chine, ou Iris² en Europe. Cette tendance a alors relancé la question de la surpopulation satellite en orbite. Encore une fois, SpaceX est bon élève en réalisant des manœuvres anticollisions en suivant des marges beaucoup plus strictes que les autres.
Dominer le vol spatial habité
Là aussi, SpaceX s'est imposé avec brio avec ses cargos Dragon pour ravitailler l'ISS, et ses vaisseaux Crew DragonCrew Dragon pour les astronautesastronautes de la NasaNasa. Les vaisseaux sont aujourd'hui aussi vendus au privé pour le tourisme spatialtourisme spatial avec Axiom Space, ou des programmes d'astronautiqueastronautique privée avec Polaris Dawn ou en s'associant avec le constructeur de station spatialestation spatiale privée Vast, en vue de remplacer la station spatiale internationalestation spatiale internationale. D'ailleurs, SpaceX concevra et pilotera le véhicule de désorbitation de l'ISS.
Avec le programme PolarisPolaris, SpaceX a pu s'entraîner à piloter seul ses missions spatiales, et à en gérer la transparence quand quelque chose d'imprévu arrive. SpaceX est devenu la première compagnie à expérimenter une sortie en scaphandre. Si elle le voulait, la compagnie pourrait donc se proposer comme pourvoyeur de missions spatiales, et ainsi remplacer les agences désormais considérées comme obsolètes.
Mars dans le viseur
Sorti depuis longtemps de la case « start-upstart-up », SpaceX est devenu un véritable empire industriel américain, notamment grâce à la vision de son fondateur Elon MuskElon Musk. Il a créé SpaceX pour coloniser Mars. Ce n'est pas juste une figure de stylestyle pour attirer les crédules. Musk y croit profondément, ainsi que toute son équipe. Musk tient d'ailleurs à sonder en personne la foi en son projet de tout candidat à un poste clé chez SpaceX.
L'art du casting est une compétence indéniable chez Musk, comme le témoigne le livre Liftoff d'Eric Berger (journaliste spécialisé chez Ars Technica) sur les débuts de SpaceX. Musk a réussi à capturer au plus tôt les meilleurs qui étaient prêts à tout lui donner. Plus récemment, il a recruté plusieurs anciens directeurs du vol habité de la Nasa. Évidemment, l'idée de travailler pour la colonisation de Mars a séduit plus d'un rêveur.
Incarnation de la conquête spatiale
En annonçant ses projets martiens, Musk a fasciné les amoureux du spatial du monde entier (même en Chine !). Lors des premières sessions de recrutement à Starbase, l'affluence était digne d'un festival. Les jeunes venaient de partout pour travailler sur le Starship, en dépit des révélations sur les conditions de travail extrêmes. Beaucoup se sont aussi servis de leur début de carrière chez SpaceX comme tremplin. Des dizaines d'anciens employés ont fondé leur propre start-up.
Les Américains aiment l'idée de conquérir Mars. Nombreux y croient depuis longtemps. Dans son livre En apesanteurapesanteur (éditions Michel Lafon), l'ancien astronaute français Philippe PerrinPhilippe Perrin raconte qu'à son arrivée dans le 13e groupe d'astronautes de la Nasa en 1990, on leur disait que l'un d'eux foulerait le sol de la Planète rouge. Dans la même culture des dates limites absurdes, Musk propose aujourd'hui une première mission habitée sur Mars d'ici quatre ans.
En ralliant Trump, Musk a tenté de fédérer tous les Américains autour de son projet martien. Et ça a marché en dépit de ses idées jugées suprémacistes, son virage transphobe, sa relation douteuse avec Poutine, et son premier prix de complotiste : il les moquait auparavant, il est aujourd'hui le moteur de leur expansion. Avec Trump au pouvoir, Musk rejoint son équipe gouvernementale, ce qui promet désormais de beaux jours pour SpaceX et la colonisation de Mars.
Remplacer la Nasa ?
L'agence spatiale américaine a revu sa stratégie martienne, mais vise toujours un retour à la LuneLune avant. Dans ce rêve martien géant, la Nasa est le garant du réel et de la sécurité des astronautes. Mais Trump et Musk, avec leur ami Jared Isaacman comme futur directeur, seraient-ils prêts à faire revenir la Nasa dans une ambiance ApolloApollo où la fin justifie tout ?
Quoi qu'il en soit, il a été prévu de museler toute contestation à la Nasa. Une purge des anti-Musk est prévue tandis que le milliardaire auditera l'efficacité budgétaire de l'agence. Cela remet en cause le trop coûteux SLS qui lancera les astronautes des missions Artemis. Mais on peut aussi imaginer qu'aller sur Mars ne devienne plus qu'un service dont l'État serait client, et SpaceX le pourvoyeur tout indiqué. Alors l'utilité même de la Nasa serait remise en cause, à part pour signer les chèques...