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Michel Viso, spécialiste d'exobiologie au Cnes, travaille au sein de l'équipe qui s'occupe de Rosetta et de Philae pour comprendre la composition de la comète Tchouri. © DR
Michel Viso est exobiologiste et spécialiste de la protection planétaire au Centre national d'études spatiales (Cnes). Il a été impliqué dans l'étape récente de la mission Rosetta qui a réussi l'exploit de faire atterrir le robot Philae à la surface du noyau d'une comète.
Comment construit-on une telle mission ? Quel rôle jouent les ingénieurs ? Existe-tt-il une vie ailleurs ? Michel Viso, présent cette semaine à l'IPSA, répond à ces questions avec humour et passion. Il encourage les étudiants à être curieux et nous fait partager sa vision de l'avenir de l'Homme dans l'espace.
Le 4 mars, à l'approche de la Journée de la femme et dans le cadre de la Semaine du vol (du 17 au 28 février), l'IPSA Paris organisera la conférence « Femme de l'air », avec des témoignages de femmes des métiers de l'aéronautique. Majoritairement masculine, cette activité attire depuis toujours de nombreuses femmes. On voit ici Catherine Maunoury à côté de son Extra 300 LP à Auch, en 2011. La directrice du musée de l'Air et de l'espace est aussi une grande pilote de voltige aérienne au palmarès exceptionnel : dix fois championne de France et deux fois championne du monde. © Duch.seb, CC by-sa 3.0
La mission Rosetta est-elle un tournant dans la recherche spatiale ?
Ce n'est pas un véritable tournant car nous utilisons des techniques traditionnelles. C'est en revanche une succession d'exploits. La comète 67P/Churyumov-Gerasimenko (surnommée « Tchouri ») a été découverte en 1969. Nous l'avons depuis revue régulièrement puisqu'elle passe tous les six ans. Elle est devenue la comète cible un peu par hasard, je dirais même par défaut. Premier exploit : la sonde RosettaRosetta a rejoint la comète avec l'assistance gravitationnelle de la Terre et de Mars et après dix ans de voyage et une période longue d'hibernation. En s'approchant, la découverte de la complexité de sa surface nous a fait comprendre qu'atterrir dessus serait un cauchemar ! Le deuxième exploit était bien de faire atterrir le robot Philae sur cet objet totalement inconnu.
Nous avons précédemment rendu visite à la comète de Halley grâce à la sonde européenne Giotto. La mission Stardust de la Nasa a réussi à rapporter sur Terre des échantillons de poussières de la comète Wild 2. C'est tout de même la première fois qu'une sonde atterrit sur un noyau de comète ! Nous avons réussi même si certains systèmes n'ont pas fonctionné correctement. La mission Rosetta deviendra un véritable tournant dans nos connaissances quand nous aurons les résultats de ses instruments et si nous réussissons effectivement à forer le sol de Tchouri. Pour l'instant, Philae n'est pas dans la bonne position : pour simplifier, il a une « patte en l'air » qui empêche la mèche de la foreuse d'atteindre la surface. Philae va probablement se réveiller en mars et nous serons capables de faire une nouvelle séquence expérimentale. Dans tous les cas, la mission scientifique continue jusqu'en décembre 2015 avec les instruments de la sonde Rosetta.
Sur combien d'années s'est étalée cette mission ?
Cette mission est un exemple de transmission du savoir d'une génération à l'autre ! Je crois d'ailleurs que le rôle des institutions académiques, des universités et des écoles, est d'assurer cette continuité. J'aime illustrer la temporalité de Rosetta en m'appuyant sur le parcours d'une étudiante. Quand la mission a été décidée en 1993, elle était âgée de quatre ans. À son lancement en 2004, elle en avait quinze. En 2014, cette étudiante a 25 ans et travaille sur les données de Rosetta en tant que doctorante du Cnes ! C'est une trajectoire assez emblématique des missions spatiales ambitieuses d'aujourd'hui.
Comment se créent les missions spatiales ?
Une mission scientifique, c'est un vaisseau spatial, une orbiteorbite, des instruments, des données et un traitement de ces informations au sol. Les chercheurs commencent par déterminer ce qu'ils souhaitent réaliser, puis les instruments nécessaires qu'il faut souvent inventer. Ils collaborent ensuite avec des ingénieurs, au sein du laboratoire ou dans l'industrie, qui imaginent ces instruments. Petit à petit, le projet se met en place et entre en concurrence avec d'autres.
Pendant la Semaine du vol, les étudiants de l'école mais aussi le grand public peuvent visiter des expositions, assister à des conférences ou encore admirer ce simulateur de vol de Boeing 777, réalisés par des élèves ingénieurs. © IPSA
Quelles sont les prochains projets prévus ?
Les scientifiques européens préparent actuellement la quatrième mission (M4) du programme Cosmic Vision, le programme spatial scientifique de l'Esa pour la décennie 2015-2025. Elle sera sélectionnée courant 2016 pour être lancée en 2025. Ce n'est donc pas pour demain ! Pour ce projet, 31 missions sont en compétition, soit 31 groupes de 20 à 50 personnes qui travaillent à leur élaboration. Au mois de juin 2015, trois d'entre elles seront choisies pour être étudiées en détail. Finalement, un an après il n'en sortira qu'une. Ces propositions se préparent pendant trois ou quatre ans. Celle qui est sélectionnée se construit en cinq à dix ans. Si un observatoire est placé en orbite terrestre, l'accès aux données est rapide. Mais si une sonde est envoyée vers un objet céleste lointain, comme pour la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, il faut attendre souvent de nombreuses années pour commencer à recueillir les données !
Quels genres de profil intéressent la recherche spatiale ?
La recherche scientifique est à la fois une démarche, une tournure d'esprit, de la persévérance et une grande capacité à imaginer l'inimaginable. Les scientifiques utilisent les moyens spatiaux pour répondre aux questions qui se posent dans leur domaine d'étude : les sciences de la Terre et de l'environnement, la physiquephysique, l'astronomie, la planétologie, l'étude du Soleil, l'exobiologie, etc. Cela concerne des chercheurs ou des universitaires. Il existe en France des laboratoires spatiaux, principalement au sein du CNRS ou du CEA. Les scientifiques y travaillent avec des ingénieurs et des techniciens qui contribuent à la conception et la constructionconstruction des instruments. Il faut également gérer ces projets, les contraintes techniques et tous les aspects d'assurance qualité. Nous faisons donc appel à des ingénieurs « qualité », des spécialistes de la thermique, de l'énergétique, de l'optique, de l'informatique et à des ingénieurs d'essais, de tests et de validation.
La recherche spatiale demande un travail d'intégration concret au laboratoire ou dans l'industrie. Elle implique aussi des tâches de conception et d'architecture, réservées aux ingénieurs. Tous les profils sont intéressants et nous avons besoin de tout le monde ! Le Cnes en est un bon exemple : des comptablescomptables gèrent les subventions - car nous n'avons pas de retour financier sur investissement - des juristes s'occupent des accords internationauxaccords internationaux et commerciaux - nos activités de recherche et technologie (R&T) génèrent et valident des concepts innovants et soulèvent des questions quant à la propriété de notre travail et de nos découvertes. Des informaticiens, des gardiens, des réceptionnistes travaillent également au Cnes. La particularité du spatial réside dans son objet, non dans les profils des métiers qui y participent.
Quels rôles jouent les ingénieurs dans le spatial ?
Un vrai rôle ! Nous ne faisons que du prototype et ils réalisent concrètement ce sur quoi nous travaillons. L'ingénieur a une tendance naturelle à faire du nouveau, ce qui est normal. De temps en temps, notre rôle de responsable de programme au Cnes, comme moi, c'est de dire : « attention, ça doit fonctionner dans dix ans sans que ça coûte trop cher, sinon nous ne pourrons pas nous le payer ».
Il faut sans cesse naviguer entre les contraintes budgétaires, les contraintes techniques et les contraintes calendaires. Il faut privilégier l'usage de technologies éprouvées aujourd'hui et non pas de celle qui vient de sortir et qui peut receler des défauts encore ignorés. Une fois qu'un composant est choisi et intégré dans le projet, nous ne pourrons pratiquement plus en changer car nous aurons déjà défini les interfaces mécaniques, électriques... L'innovation se fait à travers les programmes de R&T et sur l'architecture globale de l'instrument qui utilise des composants connus et qualifiés pour l'environnement qu'ils rencontreront.
Comment intègre-t-on la notion d'échec dans le travail ?
Dans le spatial, l'échec est toujours catastrophique ou quasiment. J'ai participé à des missions autour de l'instrument Ibis, dédié à la biologie spatiale. Quatre vols, quatre échecs. Lors du quatrième et dernier vol et après de multiples réparations et mises au point, toute l'équipe est présente à 800 mètres du pas de tir. La fuséefusée décolle, traverse les nuagesnuages puis plus de son ni d'image... Je la vois alors retomber moteurs éteints... Tout le monde se couche et elle explose à 1,5 kilomètres du lieu de lancement. Pour chaque scientifique, un échec est une catastrophe.
Plus jeune, j'étais censé voler comme spationautespationaute et je me préparais pour accompagner un projet développé en coopération avec la Nasa. La géopolitique a finalement fait disparaître l'opportunité de vol et la mission a été arrêtée. Les échecs mettent un point final et douloureux à des années de travail et d'espoir. Pour des missions menées par le secteur public, ils ne sont pas aussi lourds de conséquences que dans le secteur privé où ils peuvent mettre en danger l'économie d'une entreprise. Mais même une déconvenue matérielle reste difficile à vivre. L'échec fait partie du spatial comme de la vie !
Comment imaginez-vous l'avenir de l'exploration spatiale ?
Elle se décline de deux façons : robotique ou habitée. L'exploration robotiquerobotique va d'après moi continuer à se développer, avec des missions de plus en plus ambitieuses techniquement. Nous retournerons sur Titan (le plus grand satellite de SaturneSaturne), nous irons sur EnceladeEncelade (une des luneslunes de Saturne), sur UranusUranus... La Chine et l'Inde participent aussi à cette exploration robotique. Quant à l'exploration habitée, elle est à un tournant depuis dix ans car nous ne savons plus où aller. Retourner sur la Lune ? Les Chinois, et probablement les Indiens, y enverront des Hommes, pour des raisons de « prestige » et également parce que cela tire l'ensemble de l'économie, de l'ingénierie et de l'industrie vers le haut. Cela structure le secteur aérospatial d'un pays et forme des élites intellectuelles.
Retournerons-nous donc sur la Lune ?
Le problème de la Lune, c'est que pendant quatorze jours il fait jour et très chaud, puis pendant les quatorze jours suivants il fait nuit et très froid. Une base permanente sur la Lune ? Pourquoi pas ! Mais où ? Quand ? Comment ? Pour quoi faire ? Sans compter qu'il faut tout amener. Y envoyer des touristes ? C'est cher, risqué et loin. Il n'y a pas d'intérêt scientifique majeur à y retourner. Son exploitation minière ou celle des astéroïdesastéroïdes repose sur des illusions.
Le premier sismomètre PSE déposé sur la Lune par la mission Apollo 11. © Nasa
Tout d'abord, l'exploitation commerciale d'un corps céleste n'est pas légale : le traité de l'ONU, signé en 1967, interdit l'appropriation privée ou publique des objets du cosmoscosmos. Deuxièmement, il n'y a rien ! Pourquoi y a-t-il des mines sur Terre ? Parce qu'il y a eu des écoulements et de la tectonique. Il n'y a rien eu de semblable sur la Lune. Alors oui, il y a de l'uraniumuranium, probablement le même taux que sur notre planète, de l'héliumhélium-3 (qui serait intéressant pour produire de l'énergieénergie)... mais les teneurs sont infinitésimales et les éléments sont dispersés.
Qu'auriez-vous envie de dire à des étudiants ?
Ce que je dis aux jeunes de façon générale : soyez prêts à être surpris ! Ne faites pas de plan de carrière à 20 ans, la structure de l'emploi aujourd'hui ne le permet pas. Deuxièmement, soyez toujours curieux. Pour être capable de s'accommoder d'un monde qui change et dont nous ne pouvons prévoir les évolutions, il faut prendre le meilleur de ce qui peut nous arriver pour se propulser dans l'avenir que l'on veut se tracer soi-même. Cette adaptation se fonde d'abord sur la connaissance, le travail et la culture.
Enfin, la moitié des métiers qui existeront dans quinze ans n'existent pas encore aujourd'hui et nous ne pouvons même pas les définir. Quand on est jeune, on doit être capable de les inventer, de faire sa place. Je crois à la curiosité permanente car elle est le moteur de notre réalisation personnelle. Il faut éviter la routine. Il faut vivre dans le monde avec le concept de « Bob l'éponge » : tout ce qui arrive peut me servir, même si je ne me rappellerai pas de tout. Soyez curieux et cultivés. Soyez studieux et apprenez vos cours même s'ils vous intéressent modérément ! Je fais partie des gens qui se servent tous les jours de ce qu'ils ont appris en prépa : la chimiechimie, la classification, la biochimiebiochimie, la physique... J'essaie de comprendre le monde qui m'entoure et mes interlocuteurs ont généralement la gentillesse de m'écouter, qu'ils soient câbleur, ingénieur, professeur d'université ou prix Nobel !
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Cet texte est un extrait d'un article paru dans le magazine Ionis Mag n° 28