Commencée en juin 2010, l’expérience Mars 500, à forte contribution de l'Agence spatiale européenne, qui consistait à enfermer un équipage de six personnes dans un simulateur spatial, a pris fin en novembre 2011. Futura-Sciences a rencontré l'un de ses membres, le Français Romain Charles, qui nous fait partager son expérience de 520 jours. Un des grands regrets : ne pas avoir pu cuisiner.
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Mise sur pied par l'Agence spatiale européenne (Esa), Roscosmos, l'Académie russe des sciences et pilotée par l'Institut biomédical de Moscou (IBMP), l'expérience Mars 500 avait moins pour but de récréer les véritables conditions d'un voyager aller-retour vers Mars que de savoir si « l'Homme était psychologiquement et physiologiquement capable d'endurer le confinement d'un tel voyage vers Mars ». C'est sur cette question du confinement que la simulation était centrée, toutes les questions opérationnelles, laissées de côté, seront abordées dans des missions futures.
Trois Russes, un Chinois et deux Européens, dont le Français Romain Charles, se sont retrouvés enfermés dans un ensemble de modules totalisant une superficie de 550 m³, installé à l'IBMP. « Nous partions à l'inconnu et nous voulions savoir si notre équipage allait rester uni jusqu'à la fin. » Pour les chercheurs qui surveillaient l'expérience, l'objectif était de voir si « cohabiter avec les mêmes personnes pendant une durée aussi longue pouvait être une source de tensions, de stressstress, voire mener à un état dépressif ».
Sélectionné parmi 6.000 candidats, le Français Romain Charles aura vécu l'expérience unique de Mars 500, un voyage virtuel de 520 jours. Virtuel, certes, mais bien réel pour les chercheurs qui planifient et planchent sur une première mission habitée. Les résultats des expériences scientifiques seront disponibles au printemps 2012. © Esa
Mars 500 : premier bilan d'une mission martienne virtuelle
L'expérience a bien été positive. Les six participants sont ressortis « heureux » de leur confinement et malgré quelques « tensions inévitables, aucune ne s'est installée dans une durée trop longue qui aurait été préjudiciable à la bonne marche du groupe ». Mars 500 apporte d'ores et déjà beaucoup de réponses sur l'aspect humain d'un voyage spatial de longue durée. Plusieurs mois d'analyses des données enregistrées sont maintenant prévus. Pour la petite histoire, on retiendra qu'aussitôt après la fin de l'expérience (le 4 novembre 2011) les six hommes ont été placés en quarantaine. Une nécessité, car ne l'oublions pas, l'équipage a vécu en vase clos pendant 520 jours : « notre système immunitairesystème immunitaire n'a pas été sollicité pendant cette période ».
La première question qui vient à l'esprit est de savoir si l'absence de femmes a été préjudiciable. À les voir sourire à leur sortie on peut penser que non mais Romain Charles apporte une réponse d'une très grande subtilité. S'il ne fait « guère de doute que les femmes peuvent exacerber les conflits ou les apaiser, le fait que notre mission soit un succès démontre que six hommes ensemble, cela fonctionne très bien ».
Cela dit, même si globalement l'expérience s'est très bien passée, les participants ont dû « gérer quelques périodes de lassitude et désamorcer les prémices de conflits ». Rien de grave nous précise-t-il, mais « il serait faux de dire qu'en 520 jours aucune tension n'est survenue entre un ou plusieurs des membres ». Une réponse confirmée par les responsables de la mission qui les surveillaient 24 heures sur 24 et qui n'ont jamais surpris le moindre signe d'une mauvaise relation entre un ou plusieurs des membres de l'équipage. « Nous sommes restés unis malgré de petites tensions qui s'expliquent par nos cultures et éducations différentes. On a toujours réussi à trouver des compromis. »
Malgré cette complicité « qui n'a cessé de se renforcer au fil du temps », notre voyageur immobile a ressenti à certains moments une certaine lassitude. « J'ai eu des périodes de vaguevague à l'âme, surtout pendant le mois de novembre 2010 et lors de la période simulant le vol du retour vers la Terre. » Les périodes les plus difficiles sont apparues en juin 2011, « le point dans le temps qui a marqué la fin de la première année ». En les contactant pour fêter cet anniversaire, proches, chercheurs de l'expérience et autres journalistes « nous ont fait prendre conscience du nombre de jours enfermés et du temps qu'il restait avant de terminer l'expérience ». Regarder si loin dans le temps, « c'est quelque chose que l'on ne faisait pas, on préférait rester dans le présent et vivre semaine après semaine ». Il sera intéressant de voir comment les chercheurs analyseront le fait qu'une date précise ait pu à ce point perturber l'équipage. Un effet collatéralcollatéral surprenant, car après 365 jours d'expérience, il n'en restait plus que 155 (5 mois). Malgré ce qui avait été déjà fait, « en prenant du recul sur la période écoulée, ça été assez difficile de voir ce qu'il nous restait à parcourir ». Concernant la monotonie « je me suis souvenu des conseils d'un ami sous-marinier qui m'avait conseillé de trouver toujours une occupation ». Lecture, photos, vidéos et écriture ont été des passetemps apaisants : « j'ai beaucoup écrit et je me suis intéressé à l'Histoire de l'art ».
« Nous avions quotidiennement un entraînement physique d’une heure qui nous a permis de maintenir de bonnes capacités physiques. » Les exercices physiques étaient assez variés et changeaient régulièrement. © Esa
Si jusqu'à cinq langues pouvaient être parlées dans cet équipage, le langage n'a pas été une barrière et encore moins favorisé l'émergenceémergence de clans. « Il vrai que l'on avait tendance à se rapprocher de ceux qui avaient le même niveau de communication mais on veillait, peut-être inconsciemment, à ce que personne ne se retrouve seul dans son coin. » Cela dit, cette question est un faux problème. Chacun peut comprendre facilement qu'un langage commun à tous les participants d'une mission est nécessaire pour la bonne marche du projet.
Les trois événements les plus marquants selon Romain Charles
Quel que soit le séjour, on garde en mémoire essentiellement les meilleurs souvenirs. Trois ont particulièrement marqué Romain Charles. Le 31 décembre 2010, « je me suis rendu compte que le Nouvel An russe était quelque chose d'énorme, comme si, pour nous Français, on réunissait Noël et le Jour de l'An en même temps ». L'ouverture des modules martiens a également été un « très grand moment ». L'expérience comportait aussi une simulation d'atterrissage et plusieurs sorties sur Mars, à l'intérieur d'un module simulant le sol martien. « Pour nous qui nous nous prenions vraiment au jeu, on a pris conscience que l'on avait atteint notre but. » Dans les modules martiens, « on a découvert des vivres, des vêtements et des objets personnels ». Pour l'équipage, en donnant un surcroît d'activité et de nouvelles tâches à effectuer, cette période de deux semaines a été très exaltante. « On avait aucun mal à se mettre dans la peau de véritables explorateurs martiens. »
Pour Romain Charles, le troisième événement marquant et peut-être son « meilleur souvenir » restera le jour de son second anniversaire dans Mars 500 (juillet 2011). Les autres membres d'équipage m' « ont offert des cadeaux plus personnels, signe que des liens s'étaient tissés et qu'ils me connaissaient un peu mieux. Ça m'avait vraiment touché ».
Durant Mars 500, les repas étaient des « moments à part dans la journée ». © Esa
Eau et nourriture : comment vit-on le rationnement ?
À bord de Mars 500, le repas était devenu un véritable rituel. « C'est bien simple, on parlait tout le temps de nourriture, c'était devenu le sujet de conversation principal. » C'est d'autant plus surprenant que l'équipage n'a pas eu à se plaindre de faim malgré un menu très strict pour les besoins de l'expérience. Les six membres avaient droit à un menu qui se répétait toutes les semaines avec quelques variations possibles. C'est-à-dire qu'ils avaient le choix de remplacer quelques aliments par d'autres. Leur seul regret : les repas « étaient tout prêts, on avait juste à faire bouillir de l'eau pour les plats lyophilisés ». Cette absence de préparation de repas a été vécue comme un véritable manque : « on est resté en quelque sorte... sur notre faim ». On s'en doutait avec le retour des astronautes qui ont séjourné à bord des stations spatialesstations spatiales ISS et MirMir et cela se confirme après Mars 500, dégager du temps pour la préparation du repas est fortement recommandé pour être bien dans son assiette !
Quant à l'eau qui aurait pu être un sujet de préoccupation, malgré des quantités limitées pour estimer les besoins, l'équipage en a dans l'ensemble utilisé très peu : « dès le début, nous nous étions imposé un rythme de douche assez faible de une tous les dix jours. »