En fin d’année, d’importantes décisions seront prises sur l’avenir d’Ariane 5 ME et du programme NGL de remplacement de l’actuelle famille Ariane 5. La réflexion avance et les grandes questions sont désormais posées. Tour d'horizon d’une situation plutôt compliquée.
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Avec l'arrivée en activité opérationnelle du Soyouz ST, du premier vol de Vega et des neuf années de succès ininterrompus d'Ariane 5Ariane 5, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne sort d'un cycle de dix ans, ce qui impose une réflexion pour la suite. « Nous avons lancé des études visant à définir les besoins futurs pour nos clients européens, qui sont essentiellement institutionnels (gouvernements, Union européenne) ou de grands opérateurs de satellites (Eumetsat pour la météorologiemétéorologie, Eutelsat et SES pour les services de communications par satellite) afin de définir la famille de lanceurs qui répondra aux mieux à ses besoins futurs », explique en conférence de presse Jean-Jacques Dordain, directeur général de l'Esa.
Aujourd'hui, avec ses trois lanceurs, l'Europe dispose d'un accès à l'espace pour tous types de missions, quelles que soient les orbites et la masse des satellites à lancer. Seule ombre tableau, malgré sa position de leader sur le marché du lancement de satellite ouvert à la concurrence, le système Ariane 5 continue d'être subventionné chaque année à hauteur de 120 millions d'euros. Un coût qui rend perplexe bon nombre d'États membres de l'Esa. Dans un entretien accordé aux Échos, Jean-Yves Le Gall a justifié ce besoin : « Cette somme représente 20 millions par lanceur si l'on se base sur six tirs d'Ariane par an. Soit 10 % de subvention du coût de production de chaque fuséefusée pour maintenir en capacité des usines qui ont été financées par les États membres ».
Arianespace face à la concurrence
Pour comprendre cette situation, il faut savoir que les gouvernements des pays européens utilisent très peu Arianespace. En effet ils n'ont pratiquement pas de satellites lourds à lancer et, d'autre part, la multitude de satellites scientifiques et d'observation de la Terreobservation de la Terre qu'ils développent ne peuvent pas être lancés par Ariane 5. Un comble que VegaVega et SoyouzSoyouz en Guyane tentent d'effacer. Cette absence de marché institutionnel fait qu'ArianespaceArianespace se tourne sur le marché commercial pour maintenir en activité des pans entiers de l'industrie spatiale européenne, secteur stratégique qui contribue à garantir un accès autonome de l'Europe à l'espace.
Arianespace se trouve en concurrence avec d'autres lanceurs qui ne sont pas financés par leur propre gouvernement, comme le Proton russe ou la Zenith ukrainienne d'ILS et qui n'évoluent pas dans le même univers de coût. C'est pourquoi les clients potentiels ne trouvent pratiquement pas de lanceur Atlas ou DeltaDelta (États-Unis) ni de Longue Marche (Chine), accaparés qu'ils sont par les besoins de leurs propres administrations.
Avec le lanceur du futur, l'Esa abandonne le lancement double (deux satellites) pour mieux répondre aux besoins des gouvernements et institutions européennes. Ce retour au lancement simple à l’aide d’un lanceur modulable, comme le fut la famille Ariane 4, signifie que l’on doit développer un NGL correspondant à la moitié du coût d’Ariane 5. © Esa
Dans ce contexte, l'Esa travaille sur la nouvelle génération de lanceurs (NGL, Next Generation LauncherLauncher)) et la version 12 tonnes d'Ariane 5 (Ariane 5ME) qui doit offrir aux gouvernements et institutions européennes une priorité de lancement et les meilleurs prix du marché. En fin d'année, le Conseil des ministres de l'Esa doit se réunir en Italie pour décider de la poursuite du programme ME et définir ce que sera le lanceur du futur (2025).
Une première indication sera apportée en mars avec la remise du rapport sur les besoins futurs des Européens. Si l'abandon du lancement double ne fait plus guère de doute, la seule question qui se pose aujourd'hui concerne le développement d'un lanceur intermédiaire, en l'occurrence l'Ariane 5ME, avant celui du NGL. Si certains estiment que ce lanceur est en décalage par rapport aux besoins du marché des satellites commerciaux, d'autres y voient l'occasion de développer des capacités qui manquent à l'Europe dans le domaine de l'exploration et de sécuriser la transition entre Ariane 5 et le NGL.
Ariane 5 ME étape obligatoire avant le NGL ?
Pour Astrium, l'industriel en charge du système Ariane 5, il ne fait aucun doute que ce lanceur doit être développé pour se prémunir d'un échec industriel de façon à ce que l'Esa ne réitère pas ses erreurs passées. En effet, « lors du passage d'Ariane 4 à Ariane 5, nous avons refusé de payer l'assurance qu'aurait constitué la coexistence, pendant quelque temps, des deux lanceurs. Les problèmes d'Ariane 5 au démarrage auraient pu tuer l'industrie spatiale européenne » explique François Auque, président d'Astrium. Et d'ajouter : « heureusement qu'on avait un peu d'argent disponible à l'époque pour faire une Ariane 5 transitoire NDLRNDLR : au prix notamment de la suppression de la mission Eddington de recherche d'exoterres]. Ce serait un risque technologique énorme et un risque financier colossal de ne pas faire ce lanceur. » Autre raison invoquée par Astrium, les coûts d'utilisation d'Ariane 5ME. L'industriel part du principe qu'en augmentant les performances d'Ariane 5 de 20 %, par rapport à l'actuelle Ariane 5 ECA et ses 10 tonnes de capacité, on baisse les coûts du lancement d'autant. Seule contrainte, l'obligation de trouver pour chaque vol une charge utile équivalente de plus de 10 tonnes !
Dernier point en faveur d'Ariane 5ME, la moitié du coût de son développement est réutilisable pour n'importe quel autre lanceur du futur. En effet, si cette Ariane ne fait pas l'unanimité en tant que lanceur commercial, l'étage supérieur Vinci et son moteur réallumable cryogénique sont vus comme une priorité pour l'Europe. Ils permettent en effet d'envisager une variété de missions que l'actuelle Ariane 5 ne peut pas réaliser et de les utiliser pour l'exploration.
Autre sujet de préoccupation, l'avenir d'Arianespace. Pour répondre aux réticences des États membre de l'Esa qui s'inquiètent de devoir financer à vie Arianespace, l'Esa a diligenté un examen approfondi des comptes (due diligence) qui doit leur permettre d'avoir pleine connaissance des coûts réels d'Arianespace. D'ores et déjà, il apparaît que le principe du retour industriel qui consiste à fournir à chaque État membre des contrats d'un montant égal à leur contribution au programme est une des raisons des coûts élevés de la production des lanceurs. À l'avenir, il sera nécessaire de sortir de ce schéma qui fige le travail distribué à des sources uniques.