Patrick Michel, spécialiste mondial des astéroïdes, nous explique les enjeux scientifiques de la mission chinoise de retour d'échantillons de l'astéroïde Kamoʻoalewa prévue en 2025. Cet astéroïde est intéressant en raison de son possible lien avec le cratère lunaire Giordano Bruno. Mais pas seulement.
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En 2025, la Chine prévoit de lancer Tianwen-2, une mission ambitieuse de retour d'échantillons de l'astéroïde Kamoʻoalewa, un quasi-satellite de la Terre. C'est-à-dire qu'il co-orbite avec la Terre autour du Soleil, suivant une orbite qui lui est propre, mais qui, depuis notre perspective terrestre, semble tourner autour de notre Planète. En réalité, il s'agit d'un compagnon de la Terre évoluant sur une orbite en résonance de moyen mouvementmoyen mouvement 1:1 avec celle de notre Planète.
Cette mission de retour d'échantillons présente des défis majeurs en raison de la taille réduite de l'astéroïde, mesurant seulement 30 mètres de diamètre, et de sa vitesse de rotationvitesse de rotation de seulement 28 minutes, suggérant une possible structure monolithique et un manque d'informations sur sa forme et sa topographie. Les opérations à proximité de cet astéroïde pour le cartographier et localiser un site de collecte seront complexes. Elles sont nécessaires car actuellement la forme et les caractéristiques de la surface de Kamoʻoalewa restent inconnues. Ne pouvant se poser à l'équateuréquateur du fait de la vitesse de rotation trop élevée de l'astéroïde, la sonde devra cibler les pôles pour récupérer des échantillons. Deux méthodes sont envisagées : le touch-and-go et l'ancrage.
Cette mission, qui est aussi une démonstration technologique, représente un défi majeur et suscite un fort intérêt scientifique du fait qu'un objet de si petite taille à rotation rapide n'a jamais été exploré auparavant.
Ce qui rend l'astéroïde Kamoʻoalewa particulièrement intéressant, « c'est son lien possible avec le cratère lunaire Giordano BrunoGiordano Bruno », nous explique Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Lagrange à l'Observatoire de la Côte d'Azur et co-investigateur de plusieurs missions à destination d'astéroïdes dont certaines ont rapporté des échantillons sur Terre.
D'après des observations récentes depuis la Terre « qui ont révélé que Kamoʻoalewa partage des caractéristiques spectroscopiques similaires à celles du matériau silicaté présent sur la LuneLune, soumis à l'érosion spatiale », il est donc envisageable que cet astéroïde « soit issu de la surface lunaire plutôt que de la ceinture principale des astéroïdes d'où proviennent généralement la plupart des astéroïdes géocroiseursgéocroiseurs ».
Pour vérifier et étayer cette hypothèse, une équipe de scientifiques - à laquelle participe Patrick Michel - a mené une étude basée sur des « simulations numériquessimulations numériques d'impact sur la Lune et de l'évolution des fragments générés ». Ces travaux ont été présentés dans un article publié aujourd'hui dans Nature Astronomy, mettant en lumièrelumière la théorie selon laquelle « l'astéroïde Kamoʻoalewa pourrait être un fragment éjecté du cratère lunaire Giordano Bruno », tient à préciser Patrick Michel, également co-auteur de l'article.
“L’astéroïde Kamoʻoalewa pourrait être un fragment éjecté du cratère lunaire Giordano Bruno”
Cette étude vise à vérifier si la « matièrematière éjectée lors d'un impact lunaire pourrait donner naissance à un astéroïde tel que Kamoʻoalewa ». Les simulations indiquent qu'un impact récent sur la Lune aurait pu « éjecter des fragments sur des orbites héliocentriqueshéliocentriques, certains se retrouvant en résonance 1:1 avec la Terre, conduisant à la présence actuelle de quasi-satellites comme Kamoʻoalewa ». Dit autrement, ces simulations suggèrent que l'astéroïde pourrait être « un fragment éjecté de ce cratère lunaire ».
Les simulations suggèrent également que le cratère lunaire Giordano Bruno, d'un diamètre de 22 kilomètres et d'un âge relativement jeune estimé entre 1 et 10 millions d'années situé à l'extrémité de la face cachée de la Lune, « est le cratère le plus probable à l'origine des fragments produisant des quasi-satellites comme Kamoʻoalewa ».
Cette hypothèse sera testée par la mission Tianwen-2 lorsqu'elle rapportera un échantillon de Kamoʻoalewa sur Terre pour des analyses approfondies en laboratoire. L'analyse de cet échantillon lunaire « revêt une grande valeur scientifique, permettant de mieux comprendre les processus d'éjection lors d'impact sur la Lune, l'érosion spatiale sur notre satellite naturel au cours des derniers millions d'années, ainsi que l'environnement dynamique proche de la Terre ». Ces informations contribueront à affiner les modèles d'impacts, cruciaux pour aborder divers problèmes tels que la datation des cratères et les collisions dans le Système solaireSystème solaire par exemple.
Cette analyse sera aussi intéressante du fait que Kamoʻoalewa est un astéroïde de type S, « similaire à Itokawa pour lequel des échantillons ont déjà été collectés, dont l'origine se trouve dans la ceinture des astéroïdes et dont on pourra comparer les propriétés qui devraient être différentes si les deux objets ne partagent pas la même origine ».