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On se souvient du bruit qu'avait fait en 2017 la découverte du premier astéroïde interstellaire 1I/2017 U11I/2017 U1, rapidement baptisé ‘Oumuamua, un nom d'origine hawaïenne, en partie parce qu'il avait été identifié à l'aide du Pan-STARRS (acronyme de Panoramic Survey Telescope And Rapid Response System), un instrument présent au sommet du Haleakalā à Maui (Hawaï). Le visiteur traversait le Système solaire sur une orbite hyperbolique sans retour et l'évènement rappelait par bien des côtés le roman d'Arthur Clarke, Rendez-vous avec Rama, si bien que l'éventualité, certes improbable, qu'il puisse s'agir d'une sonde interstellaire avait été considérée sérieusement, conduisant les membres du programme Seti à l'écouter.
Les résultats de ces écoutes furent négatifs, comme on pouvait s'y attendre. Mais 'Oumuamua démontrait l'existence de passages au voisinage du Soleil d'astéroïdes formés dans d'autres systèmes planétaires dans la Voie lactée. On pouvait donc envisager d'avoir à portée de main des échantillons de la matièrematière d'un autre système (sans avoir besoin d'espérer l'existence d'une technologie du voyage interstellaire brisant la barrière de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière) lors d'une future mission d'interception du type du projet Lyra du prochain astéroïde extrasolaireextrasolaire traversant notre Système solaire.
L'astéroïde 2015 BZ509 ici photographié par le LBTO se trouve dans le cercle jaune. © Christian Veillet, Large Binocular Telescope Observatory
2015 BZ509, un astéroïde sur une orbite rétrograde
En plus de nous aider à préciser nos modèles cosmogoniques des systèmes planétaires, une telle mission pourrait être révolutionnaire si l'on découvrait qu'elle accréditait la thèse de la panspermiepanspermie. Or, voilà que Fathi Namouni, chercheur CNRS au Laboratoire J.-L. Lagrange (CNRS/Observatoire de la Côte d'Azur/université Nice Sophia-Antipolis) et sa collègue brésilienne Helena Morais, chercheuse à l'Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho (UNESP) de l'État de São Paulo au Brésil, viennent de publier un article dans MNRAS Letters qui ne peut qu'émoustiller encore plus cosmogonistes et exobiologistes.
Les deux spécialistes de la mécanique céleste se sont concentrés sur le cas de l'astéroïde 2015 BZ509, découvert lui aussi il y a quelques années avec Pan-STARRS. On sait peu de chose sur lui, si ce n'est que sa taille est d'environ trois kilomètres mais surtout qu'il est sur une orbite rétrograde proche de celle de JupiterJupiter et de ses astéroïdes troyensastéroïdes troyens. Ce n'est pas la première découverte du genre puisque l'on connaît notamment quelques astéroïdes sur des orbites rétrogrades, mais instables et très elliptiques, entre Jupiter et NeptuneNeptune : les Centaures. Ce sont les seuls qui s'aventurent occasionnellement vers les planètes géantesplanètes géantes et ils n'y séjournent que quelques millions d'années. Les autres astéroïdes qui ont des orbites rétrogrades, se trouvent généralement aux confins du Système solaire.
Ces astéroïdes sur des orbites rétrogrades posent des questions au regard du scénario de la formation du Système solaire, qui explique naturellement pourquoi les planètes tournent toutes dans le même sens, prograde, autour du Soleil. Nées dans un disque protoplanétairedisque protoplanétaire de gazgaz et de poussières en rotation, elles ont donc toutes les raisons de tourner dans le sens initial de ce disque, comme beaucoup de petits corps du Système solaire... mais pas tous. En effet, les perturbations gravitationnelles qu'exercent tous ces corps les uns sur les autres peuvent conduire certains, notamment par des effets de résonancerésonance, comme on dit dans le jargon des mécaniciens célestes, à avoir parfois des orbites étonnantes, par exemple rétrogrades.
Une animation montrant d'année en année les mouvements de Jupiter, des astéroïdes troyens et de 2015 BZ509. © SkyandTelescope
2015 BZ509 a une orbite curieusement stable
Namouni et Morais se sont penchés sur le cas de 2015 BZ509 d'un peu plus près, quand ils ont appris que des simulations numériquessimulations numériques concernant les mouvementsmouvements de ce petit corps céleste extrapolés dans le passé avaient montré que son orbite était stable, malgré et en fait à cause de la présence de Jupiter, depuis au moins un million d'années. On avait des raisons de penser que ce ne pouvait pas être le cas.
Les deux chercheurs ont donc décidé d'y voir plus clair en lançant des simulations capables de remonter aux mouvements passés de 2015 BZ509, il y a plusieurs milliards d'années. Compte tenu des incertitudes sur les paramètres orbitaux de l'objet, ce sont en fait un million d'astéroïdes avec des paramètres orbitaux voisins autorisés par ces incertitudes qui ont été étudiés en utilisant les moyens du MéSOceNtre de calcul intensif SIGAMM (Simulations Intensives en Géophysique, Astronomie, Mécanique et Mathématiques), installé à l'Observatoire de la Côte d'Azur. Le résultat a surpris les chercheurs.
Beaucoup des cas étudiés conduisaient effectivement rapidement à des orbites instables, faisant plonger les astéroïdes dans le Soleil ou les éjectant du Système solaire. Mais 46 orbites étaient stables sur une période de 4,5 milliards d'années, ce qui les faisaient remonter à la naissance du Système solaire.
Or, si tel est bien le cas, les modèles de cosmogonie du Système solaire n'expliquent pas l'existence d'une orbite rétrograde à cette époque, de sorte que l'on est conduit à admettre que 2015 BZ509 a été capturé par le jeune Système solaire et qu'il s'agit donc d'un astéroïde extrasolaire. Comme il est sur une orbite similaire à celle de Jupiter, il pourrait donc facilement être visité et des échantillons pourraient y être prélevés pour un retour sur Terre.
Il est toutefois possible d'imaginer que 2015 BZ509 est bel et bien sur une orbite instable à l'échelle de quelques millions d'années et qu'il proviendrait même, en fait, du fameux nuage cométaire de Oort ou encore du disque des objets épars (scattered disc, en anglais) qui désigne un ensemble d'objets transneptuniens au-delà de la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper (à environ 48 ua), dont l'orbite est fortement excentrique.
Namouni et Morais avancent cependant que si tel était bien le cas, on n'aurait que très peu de chance d'observer précisément aujourd'hui ( si l'on peut dire à l'échelle de temps du Système solaire qui se compte en milliards d'années ) un astreastre comme 2015 BZ509 sur une orbite proche de Jupiter. Selon le communiqué du CNRS annonçant la publication de ce travail, le caractère extrasolaire de 2015 BZ509 serait même démontré.
MOJO: Modeling the Origin of JOvian planets, c'est-à-dire modélisation de l'origine des planètes jovienne, est un projet de recherche qui a donné lieu à une série de vidéos présentant la théorie de l'origine du Système solaire et en particulier des géantes gazeuses par deux spécialistes réputés, Alessandro Morbidelli et Sean Raymond. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Laurence Honnorat
2015 BZ509, un « enfant » d'une sœur du Soleil ?
Tout le monde n'est pas d'accord avec ce raisonnement et c'est notamment le cas d'un autre spécialiste de la mécanique céleste et de la formation du Système solaire, l'astronomeastronome Sean Raymond du Laboratoire d'astrophysiqueastrophysique de Bordeaux. Il est bien connu pour ses travaux sur les migrations planétaires et l'origine de l'eau de la Terre via le fameux scénario du Grand Tack (que l'on pourrait traduire par « Grand virement », tacking en anglais fait référence au virement de bord d'un voilier).
Concernant le travail de Namouni et Morais, Sean Raymond a déclaré à Futura : « Je ne pense pas qu'ils ont fait des choses fausses, mais plutôt qu'ils ont sur-interprété leurs simulations ». Le chercheur précise qu'il « ne voit pas de bonnes raisons de penser que l'orbite de 2015 BZ509 est nécessairement stable depuis le début de la formation du Système solaire et qu'il a une origine extrasolaire. Il est beaucoup plus probable qu'il a été capturé sur son orbite il y a un à cent millions d'années en provenance du nuage de Oortnuage de Oort ou du disque des objets épars. Il est tout à fait possible qu'il soit bel et bien un objet d'origine extrasolaire, mais les calculs concernant les probabilités de capture dans les différents scénarios n'ont pas été faits ».
L'avis de Sean Raymond fait écho à celui d'autres de ses collègues, comme l'astronome l'a signalé à Futura. Ainsi, par exemple, Scott Tremaine, un astrophysicienastrophysicien d'origine canadienne, bien connu pour ses travaux de mécanique céleste concernant les anneaux de Saturneanneaux de Saturne et les mouvements des étoilesétoiles dans les galaxiesgalaxies, pense que l'on ne peut pas exclure que la capture de 2015 BZ509 par le Système solaire soit en fait nettement plus improbable qu'une capture récente en provenance du nuage de Oort ou du disque des objets épars.
En d'autres termes, comme l'avait dit à Futura Sean Raymond, il ne suit pas de façon incontestable des résultats des simulations des mouvements possibles de 2015 BZ509 qu'il s'agit bien d'un corps céleste étranger au Système solaire. Dans cette hypothèse, il aurait été capturé alors que le Soleil lui-même était encore entouré d'étoiles sœurs proches dans un amas ouvert, nées en même temps que lui dans un nuage interstellairenuage interstellaire avant que tous ne se dispersent dans la Voie lactée. 2015 BZ509 aurait alors été éjecté d'un des jeunes systèmes planétaires autour de ces étoiles il y a 4,5 milliards d'années, avant sa capture.
Ce qu’il faut
retenir
- La naissance des planètes et des astéroïdes dans le disque protoplanétaire du Système solaire, il y a 4,5 milliards d'années, implique que ces corps célestes doivent tourner dans le même sens autour du Soleil.
- Des perturbations gravitationnelles ultérieures entre ces corps expliquent cependant pourquoi certains astéroïdes, comme les Centaures, ont des orbites rétrogrades.
- L'astéroïde 2015 BZ509 tourne également en sens inverse mais l'étude de ses mouvements dans le passé à l'aide d'ordinateurs laisse penser que cette caractéristique pourrait s'expliquer par le fait que cet objet s'est formé dans un autre système planétaire et a ensuite été capturé par le nôtre, peu après sa formation.
- L'hypothèse est débattue mais si elle s'avérait exacte, un corps d'un autre Système planétaire serait à portée de mains, contenant peut-être des informations précieuses pour l'exobiologie et la cosmogonie des planètes.