La mobilisation en faveur du projet Ramses à destination d’Apophis a payé. L’Agence spatiale européenne a donné son feu vert à la réalisation de cette mission d’une très grande importance en matière de défense planétaire. Patrick Michel nous explique les grandes lignes de cette mission qui survolera Apophis lors de son passage au plus de la Terre en 2029.


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    En avril 2029, l'astéroïde Apophis, considéré comme potentiellement dangereux pour la Terre, passera à proximité de notre Planète. Pour profiter de cette occasion unique, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne a donné son feu vert à la mission Ramses, conçue pour étudier Apophis avec une proximité exceptionnelle (Rapid Apophis Mission for SpacE Safety, à savoir « mission rapide vers Apophis pour la sécurité spatiale »)). Cette mission, réalisée dans le cadre du programme de sécurité spatiale de l'ESA, permettra de mieux comprendre les caractéristiques physiques de l'astéroïde et d'améliorer nos capacités en matière de défense planétaire.

    L'humanité peut-elle se préparer face à la fin du monde pour potentiellement s'en protéger ? La réponse avec Astropierre dans cet épisode de Futura dans les Étoiles. © Futura

    Pour réduire les délais de développement et de constructionconstruction de la sonde, Ramses sera dérivé de la sonde Hera de l'agence spatiale européenne. Cette sonde doit être lancée en octobre à destination de Dimorphos, la petite lune de l'astéroïde Didymos percutée en 2022 par la mission Dart de la NasaNasa. HeraHera doit réaliser en 2026 une étude détaillée post-impact de l'astéroïde afin d'acquérir les premières briques d'une capacité de protection planétaire. Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur la construction de Ramses. 

    Ramses doit être lancé en avril 2028 pour permettre une arrivée sur Apophis en février 2029, deux mois avant l'approche rapprochée. Il prendra rendez-vous avec l'astéroïde 99942 Apophis et l'accompagnera jusqu'à son survolsurvol de la Terre en 2029. Au plus près de la Terre, l'astéroïde passera à seulement 32 000 kilomètres de la surface de la planète le 13 avril 2029 (en dessous de l'orbite géostationnaireorbite géostationnaire). Rassurez-vous, Apophis manquera la Terre : les astronomesastronomes ont exclu tout risque de collision entre l'astéroïde et notre Planète pendant au moins les 100 prochaines années.

    Au plus près de la Terre, l’astéroïde passera à seulement 32 000 km de la surface de la planète le 13 avril 2029

    À l'aide d'une série d'instruments scientifiques, la sonde effectuera une étude approfondie de la forme, de la surface, de l'orbite, de la rotation et de l'orientation de l'astéroïde, avant et après son passage au plus près de la Terre. Les chercheurs étudieront l'astéroïde au fur et à mesure que la gravitégravité terrestre modifiera ses caractéristiques physiques, ce qui peut révéler de nouvelles informations sur sa composition, sa structure intérieure, sa cohésion, sa massemasse, sa densité et sa porositéporosité. Les données recueillies aideront à évaluer la meilleure stratégie pour écarter un astéroïde dangereux d'une trajectoire de collision avec la Terre. De plus, la mission permettra d'obtenir de nouvelles perspectives scientifiques sur la formation et l'évolution du système solairesystème solaire.

    La parole à Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Lagrange, à l'Observatoire de la Côte d'Azur, responsable scientifique de la mission Hera de l'ESA et co-invesigateur de nombreuses missions à destination d'astéroïdes :

    Futura : La mobilisation en faveur du projet Ramses a porté ses fruits !

    Patrick Michel : Oui, c'est génial ! On va aller voir Apophis ! En tout cas, ce fut un beau combat et une excellente nouvelle. Je remercie les délégations de l'ESA dont la France pour leur soutien. Nous assurons le maintien de l'expertise acquise avec Hera (même plateforme, mêmes équipes) et soutenons une continuité technique et scientifique dans la défense planétaire et l'exploration des petits corps en Europe avec des missions de reconnaissance que nous pouvons développer rapidement grâce à cela !

    Apophis nous offre une opportunité magnifique pour démontrer que nous pouvons développer rapidement des missions en exploitant l'existant. Cela va permettre non seulement de grandes avancées dans nos connaissances, mais garantir une visibilité de l'expertise européenne et française, et des agences impliquées, quand 2 milliards de personnes en Europe et en Afrique verront sa lumièrelumière à l'œilœil nu le 13 Avril 2029, le monde entier ayant aussi connaissance que nous sommes sur place avec une sonde qui renvoie des images de l'astéroïde !

    Nous sommes à deux mois du lancement d'Hera, nous préparons cette magnifique mission mais aussi maintenant la suite avec Ramses, en nous assurant d'impliquer un maximum de jeunes chercheurs. Le défi est grand, mais ça n'est que du bonheur !

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    Futura : Des informations techniques sur le satellite Ramses qui sera dérivé d’Hera en termes de masse, de taille, de charge utile… ?

    Patrick Michel : La masse est à peu près la même, 1 245 kilos au lancement, ainsi que les dimensions. On utilise au maximum l'existant. Il faut seulement un module de propulsion adapté du fait du transfert pour atteindre Apophis plus exigeant. Mais on utilise une approche partiellement single-string, c'est-à-dire en éliminant des redondances pour réduire le temps de développement et le coût. L'idée est vraiment de démontrer qu'en faisant fructifier l'expertise acquise avec Hera et en assurant une certaine continuité, on peut remonter une mission rapidement selon un schéma qui pourra peut-être aussi inspirer le programme scientifique de l'ESA et ses échelles de temps trop longues...

    Futura : Concernant la charge utile, quels instruments sont prévus ?

    Patrick Michel : On a des caméras de navigation en baseline et des charges utiles d'opportunité qui comprennent deux cubesatscubesats avec leurs charges utiles. La Jaxa a déjà proposé de fournir le même imageur thermique que sur Hera. L'Italie semble désireuse de fournir au moins un cubesat, qui pourrait emporter un géophone français pour mesurer la propagation des ondes sismiquesondes sismiques lors des perturbations dues aux forces de maréeforces de marée terrestre.

    Ce serait magnifique car nous avons plusieurs décennies de sismologiesismologie effectuée sur la Terre, la Lune et Mars, mais pas sur les astéroïdes. Ce serait donc une première extraordinaire qui se fait attendre. Il faut pour cela que le cubesat se pose à la surface, comme le cubesat Juventas sur Hera. La mesure de la propagation des ondes structures nous renseignera sur les propriétés de sous-surface d'Apophis et sur les mouvementsmouvements internes. La France est aussi prête à financer avec le Luxembourg un radar basse fréquencefréquence qui sera mis sur un deuxième cubesat, permettant de sonder l'intérieur d'Apophis (et ses possibles changements lors du passage).

    Concernant les charges utiles en général, comme pour la sonde, l'idée est de minimiser le temps de développement nécessaire car il faut lancer dans 4 ans, donc avoir les charges utiles prêtes bien avant, et l'avantage des deux instruments français est que, concernant le radar, c'est le même que sur Hera, et concernant le géophone, une partie de son développement a déjà été financé par notre contrat européen NEO-MAPP du programme H2020.

    D'autres charges utiles sont en cours de discussion, y compris avec nos partenaires internationaux. En plus de la Jaxa, la Nasa est intéressée pour participer, ainsi que l'Agence spatiale coréenne et l'Isro indienne. Ainsi, Ramses est une opportunité merveilleuse pour l'ESA d'avoir le leadership d'une belle mission qui embarque avec elle d'autres agences spatiales majeures.

    Futura : Vous avez récemment déclaré « qu’il reste beaucoup à apprendre sur les astéroïdes ». Selon vous, quelle est la question (ou les questions) prioritaire(s) auxquelles que vous aimeriez que Ramses réponde ?

    Patrick Michel : Ramses va nous dire comment un astéroïde de la taille et du type d'Apophis réagit aux perturbations produites par des forces naturelles, qui sont ici les forces de marée terrestres. Jusqu'à présent, nous avons mesuré la réaction des astéroïdes à des interactions qu'on leur a fait nous-mêmes subir, comme des récoltes d'échantillons et des expériences d'impact.

    Dans le cas d'Apophis, ce qui est extraordinaire est que la nature nous offre pour la première fois l'opportunité de mesurer comment un astéroïde se comporte dans son environnement naturel face aux perturbations produites par des forces qui agissent de temps en temps dans l'histoire de ces petits corps. Cela va nous permettre de mieux comprendre comment cette histoire se construit et comment leurs caractéristiques évoluent au gré des perturbations qu'ils subissent, sachant que jusqu'à maintenant leurs réactions nous ont toujours surpris.

    C'est aussi très important dans le cadre de la défense planétaire car les méthodes de déviation peuvent mettre en œuvre différents types de perturbations et il nous faut avoir une compréhension exhaustive de la réaction de ces petits corps aux perturbations diverses qu'ils subissent.

    Enfin, je dirai que, jusqu'à présent, chaque nouvelle image d'un astéroïde envoyée par une sonde spatiale nous surprend. Il n'y a aucune exception. Pourtant, nous avons des images de nombreux objets. Qu'en sera-t-il d'Apophis? Est-ce que pour la première fois, il aura des caractéristiques qui correspondent à celles attendues, suggérant que nous sommes en train d'être capables de prédire les propriétés de ces petits corps sur la base de ce qu'on en sait depuis le sol, ou est-ce que nous aurons encore des surprises, nous permettant de mesurer la distance qui nous sépare encore de leur bonne compréhension ? C'est aussi une vraie question, et je suis prêt à parier que nous aurons des surprises tant ces petits corps nous défient.

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    Futura : Quelles synergies avec Osiris-Apex sont prévues ?

    Patrick Michel : Je suis aussi membre de l'équipe scientifique d'ApexApex (Osiris-Apex) et la synergiesynergie est désormais en cours d'élaboration. En fait, Apex arrivera un mois après le passage le plus proche d'Apophis près de la Terre quand Ramses sera toujours à proximité. Donc, nous désirons bien nous accorder pour que les deux missions fonctionnent ensemble avec une belle complémentarité. Mais surtout, Ramses va fournir les propriétés initiales d'Apophis et mesurer comment elles changent lors du passage près de la Terre. Apex restera au moins 11 mois après son arrivée et permettra d'étudier les effets à long terme du passage près de la Terre. Ainsi, nous faisons l'inverse de DartDart et Hera.

    Dans ce dernier cas, les Américains arrivaient les premiers, et les Européens mesuraient après les effets. Dans le cas de Ramses et Apex, les Européens arrivent les premiers, et les Américains arrivent après pour mesurer les effets à long terme, puis produire une perturbation additionnelle en actionnant les propulseurspropulseurs de la sonde sur la surface d'Apophis pour voir comment elle réagit.

    Nous offrons ainsi le meilleur de la coopération internationale, en s'organisant ensemble et en conservant un schéma que nous avons déjà mis en œuvre avec Dart et Hera, mais cette fois à l'envers concernant le continent qui fait les premières mesures. C'est vraiment magnifique et réjouissant. Ces aventures sont à la fois scientifiques, techniques et humaines.