La légendaire fusée européenne Ariane 5 reprend du service avec un nouveau succès, presque six mois après le fameux décollage du télescope spatial James-Webb le 25 décembre dernier. Le vol VA257 de ce 22 juin dernier semble anodin, mais en coulisse tout le Centre spatial guyanais se transforme. Ariane 5 s’approche de la retraite, et la nouvelle génération arrive.


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    Une fois de plus Ariane 5Ariane 5 connaît un succès avec la livraison de deux satellites de télécommunication sur une orbite de transfert géostationnaire : Measat-3d (fabriqué par Airbus Space pour la compagnie malaisienne Measat), et Gsat-24 (construit par l'agence spatiale indienne). La fuséefusée a décollé à 18 h 03 heure locale (23 h 03 heure de Paris). À l'exception d'un léger retard, tout s'est déroulé comme prévu pour un vol qui a duré exactement 39 minutes et 57 secondes. C'est un vol de routine pour Ariane 5, sauf que c'est un des derniers.

    Un feu d'artifice qui coupe le ciel, Ariane 5 s'envole. © Daniel Chrétien, Futura Sciences
    Un feu d'artifice qui coupe le ciel, Ariane 5 s'envole. © Daniel Chrétien, Futura Sciences

    L’arrivée des satellites perturbée par les conséquences de la guerre en Ukraine

    La préparation du lancement a débuté le 13 mai au Centre spatial guyanais (CSG). Les opérations ont commencé au Bâtiment d'intégration lanceur (BIL) où les équipes ont joint l'étage principal cryotechnique (EPCEPC) au second étage. Ils ont également ajouté au corps central les deux boosters latéraux, nommés EAPEAP pour Étage d'accélération à poudre.

    Chacun de ces grands morceaux ont été assemblés dans différents sites en Europe. D'ailleurs, les différents éléments de la fusée européenne proviennent d'un peu partout sur le Vieux continent. L'assemblage de l'EPC est réalisé au site des Mureaux, près de Paris. Le second étage est assemblé à Brême en Allemagne, tandis que les EAP proviennent d'Italie. C'est au CSG que l'on produit le carburant. Une fois assemblée, Ariane 5 est transférée le 18 mai du BIL au Bâtiment d'assemblage finalBâtiment d'assemblage final (BAF).

    Measat-3d passe sous coiffe. © Cnes, ESA, Arianespace, Optique Vidéo CSG, JM Guillon
    Measat-3d passe sous coiffe. © Cnes, ESA, Arianespace, Optique Vidéo CSG, JM Guillon

    Les satellites sont arrivés avec un peu de retard. Conséquence de la guerre en Ukraine, la compagnie d'avions-cargos Antonov est en difficulté. Elle transporte habituellement les satellites géostationnairessatellites géostationnaires (très gros) vers le CSG. Faute d'avion disponible, le premier passager, Measat-3d, est venu par bateau depuis la France. Le second, Gsat-24, fabriqué par l'agence spatiale indienne, est arrivé par avion-cargo militaire.

    Arrivés au CSG, les satellites ont été transportés dans un des Ensembles de préparation de charge utile, où l'on s'assure que le voyage ne les a pas impactés. Plusieurs tests sont faits, ainsi que des inspections par les ingénieurs qualité, qui vérifient que toutes les procédures ont été respectées. Enfin, les ergoliers remplissent les réservoirs des satellites de leur carburant. L'opération a lieu au début du mois de juin pour Measat-3d et Gsat-24.

    Arrivée du satellite Gsat-24 à l'aéroport Félix Eboué. Il est arrivé à bord d'un cargo militaire. © Cnes, ESA, Arianespace, Optique Vidéo CSG, S. Martin
    Arrivée du satellite Gsat-24 à l'aéroport Félix Eboué. Il est arrivé à bord d'un cargo militaire. © Cnes, ESA, Arianespace, Optique Vidéo CSG, S. Martin

    Les dernières préparations démesurées

    L'intégration des satellites passagers débute le 8 juin. ArianespaceArianespace utilise l'ingénieux système Sylda - Système de lancement double ariane - pour embarquer deux satellites en même temps. Ce dispositif unique au monde permet de diviser par deux le lourd coût d'un vol Ariane 5, capable de livrer 10 tonnes de charge utile en orbite géostationnaireorbite géostationnaire.

    Le Sylda permet de chevaucher sans le toucher le satellite le moins gros afin d'y poser l'autre. La coiffe d'Ariane 5 est si grande qu'elle peut recouvrir et protéger tout le monde des frottements d'airair lors du décollage. Le 8 juin, Measat-3d (5.648 kilos) est intégré au-dessus du Sylda. Le lendemain, ils sont mis sous la coiffe. Le 13 juin, Gsat-24 est intégré au-dessus du second étage d'Ariane 5. Enfin, le 14 juin, la coiffe contenant le Sylda et Measat-3d est posée au sommet du lanceur, la coque du Sylda encapsulant Gsat-24. Le 16 juin, c'est la répétition générale et le lendemain les dernières inspections permettent de réaliser la revue d'aptitude au lancement, indispensable pour donner le feufeu vert au décollage.

    <em>Human for scale. </em>Il nous faut bien ça pour se rendre compte de la taille d'Ariane 5 ! © Daniel Chrétien, Futura Sciences
    Human for scale. Il nous faut bien ça pour se rendre compte de la taille d'Ariane 5 ! © Daniel Chrétien, Futura Sciences

    Le 21 juin, il fait beau et chaud dès les premières heures du matin. On ouvre la gigantesque porteporte du BAF et Ariane 5 tout entière voit le jour pour la première fois. Pendant quelques heures, la fusée posée sur sa table mobilemobile est roulée vers son pas de tir. C'est une longue opération nécessitant des rails et un simple camion de série pour tracter tout l'ensemble qui pèse 1.400 tonnes !

    Le saviez-vous ?

    Sur les 780 tonnes de masse totale d'Ariane 5 au décollage, la part du carburant est de près de 600 tonnes, soit plus des trois quarts ! Quant à la masse maximale des satellites pouvant être prise à destination de l'orbite géostationnaire, elle est de 10 tonnes, soit 0,012 %.

    La longue attente avant de décoller

    22 juin. La sécurité est renforcée au maximum sur le site. Les gendarmesgendarmes font les contrôles tandis que la Légion étrangère veille à ce qu'aucune intrusion ne vienne perturber la séquence de lancement. Il faut dire qu'avec 500 tonnes de poudre dans les EAP, et près de 200 tonnes d'ergolsergols liquidesliquides dans le corps central, Ariane 5 peut devenir une véritable bombe. En cas d'évacuation, on gare sa voiturevoiture en arrière pour être prêt à partir d'urgence sans manœuvrer. On ne lésine pas avec la sécurité !

    La salle de contrôle Jupiter, le jour J à H-6 heures. Le DDO nous confirme que tout est OK mais qu'il restera toujours la météo à vérifier jusqu'à 20 minutes avant le lancement. © Daniel Chrétien, Futura Sciences
    La salle de contrôle Jupiter, le jour J à H-6 heures. Le DDO nous confirme que tout est OK mais qu'il restera toujours la météo à vérifier jusqu'à 20 minutes avant le lancement. © Daniel Chrétien, Futura Sciences

    C'est le jour J. Le temps reste couvert et la température est plus agréable. On craint que le spectacle soit de courte duréedurée si Ariane 5 disparaît derrière un nuagenuage bas quelques secondes après le décollage. Au centre de contrôle JupiterJupiter, le chrono avance jusqu'à l'heure du lancement. Derrière les nombreux écrans, les employés d'Arianespace suivent tous les paramètres du vol : lanceur, ensemble de lancement, sécurité, sauvegardesauvegarde, communication, météométéo, etc. Les ingénieurs des satellites clients sont là, derrière leurs écrans et suivent la santé de leur précieux satellite. De l'autre côté de la baie vitrée, Arianespace reçoit dans les tribunes ses invités et divers représentants des clients, agences, et autorités.

    Pendant des heures et jusqu'aux dernières minutes avant le décollage, on remplit les réservoirs de l'EPC et de l'étage supérieur d'oxygèneoxygène et d'hydrogènehydrogène liquides. Peu à peu, quand on s'approche du décompte final, la tension monte quand un « rouge » apparaît à l'écran. C'est un problème qui vient de l'ensemble de lancement. Rapidement, le directeur des opérations décide de suspendre le chrono le temps de voir ce qu'il en est. Il reste deux petites heures avant de reporter au lendemain. Le temps est suspendu pendant plusieurs dizaines de minutes, le live sur YouTubeYouTube reste muet. Le soleilsoleil commence à se coucher, mais il nous attend.

    Quelques minutes avant le décollage, Ariane 5 attend. La fumée blanche qui s'échappe montre que les réservoirs d'ergols liquides sont bien sous pression. D'ailleurs le remplissage dure jusqu'à quelques minutes avant l'envol. À droite, le BAF, d'où est roulée Ariane 5 jusqu'au pas de tir à J-1. © Daniel Chrétien, Futura Sciences
    Quelques minutes avant le décollage, Ariane 5 attend. La fumée blanche qui s'échappe montre que les réservoirs d'ergols liquides sont bien sous pression. D'ailleurs le remplissage dure jusqu'à quelques minutes avant l'envol. À droite, le BAF, d'où est roulée Ariane 5 jusqu'au pas de tir à J-1. © Daniel Chrétien, Futura Sciences

    Le rugissement des derniers instants

    Plus de quarante minutes sont passées quand le décompte reprend. Le décollage est alors fixé à 18 h 50 heure locale - 23 h 50 heure métropolitaine. Ariane 5 est alors en pleine connexion avec les éléments pour nous faire du grand spectacle. Le ciel s'est éclairci. Le décompte final commence. Tous les regards sont fixés vers le pas de tir. Ariane 5 décolle. Un soleil s'allume sur le pas de tir. Telle une torche volante, la fusée fend le ciel en deux, traverse rapidement un petit nuage et s'échappe dans la trouée de ciel bleu dans un festival d'ombre et de lumièrelumière. Quelques secondes après le décollage, le son arrive jusqu'à nous et sa puissance résonne dans tout notre corps.

    Ariane 5 coupe le ciel en deux. Le vol a duré 39 minutes et 57 secondes. © Daniel Chrétien, Futura Sciences
    Ariane 5 coupe le ciel en deux. Le vol a duré 39 minutes et 57 secondes. © Daniel Chrétien, Futura Sciences

    Deux minutes et vingt secondes après le décollage, les EAP, ayant fourni le gros de la poussée jusqu'à présent, sont vides. Ils s'éjectent du corps central qui continue sa route, poussé par le moteur Vulcain. Phénomène assez rare en Guyane, on arrive à voir l'éjection depuis le sol. On distingue deux points lumineux tomber de part et d'autre du gros point lumineux. Ils finiront au fond de l'océan Atlantique. Une minute après, Ariane 5 est désormais dans l'espace. Sa coiffe ne sert plus à rien maintenant qu'il n'y a plus de frottements. Les deux morceaux sont éjectés. Encore une fois, on arrive à voir ces nouveaux points depuis le sol. De mémoire d'habitués, c'est la première fois qu'on arrive à voir Ariane 5 aussi longtemps depuis Kourou.

    Alors que le Soleil s'est couché au CSG, le vol se poursuit. À H+8 min 47 s, l'EPC se sépare du second étage. Il finira lui aussi au fond de l'océan. Le second étage prend le relais. À 28 minutes et 40 secondes de vol, le premier satellite passager - Measat-3d - est éjecté. Peu après, le Sylda est éjecté à son tour, libérant Gsat-24. Ce dernier sera enfin séparé de l'étage supérieur à H+39 min 57 s. Peu après, les opérateurs captent les premiers signaux de leur satellite. Mission accomplie, VA257 est un succès pour Ariane 5, un de plus pour le CSG avant de commencer à naviguer en eaux troubles.

    Fait rare en Guyane, le ciel était suffisamment dégagé pour pouvoir regarder depuis Kourou l'éjection des EAP d'Ariane 5, qui a pourtant lieu deux minutes et vingt secondes après le décollage ! © Cnes, ESA Arianespace, Optique Vidéo CSG, P Baudon
    Fait rare en Guyane, le ciel était suffisamment dégagé pour pouvoir regarder depuis Kourou l'éjection des EAP d'Ariane 5, qui a pourtant lieu deux minutes et vingt secondes après le décollage ! © Cnes, ESA Arianespace, Optique Vidéo CSG, P Baudon

    Dernière ligne droite avant la retraite

    Il ne reste plus que quatre vols Ariane 5 avant la retraite. Deux sont prévus cette année, deux autres en 2023, dont le dernier en avril pour la sonde Juice. Une partie du matériel ne sert plus. Aujourd'hui, seule une table de lancement est utilisée, la seconde table reste stockée dehors. « Elle pourrait servir d'appoint en cas d'obsolescence ou d'anomalieanomalie, puis elle sera démantelée », précise Daniel de Chambure, responsable du bureau de l'ESAESA à Kourou. Une partie des bâtiments dédiés à Ariane 5 ne serviront plus. Le démantèlement du BIL est probable. « Il faut savoir qu'une partie de ces bâtiments sont très grands, tout en hauteur, et sont grands consommateurs en énergieénergie et en climatisationclimatisation », rappelle Daniel. Le BAF mesure tout de même 90 mètres de hauteur !

    Les planètes étaient particulièrement bien alignées pour le vol VA257. Les nuages de fumée issues des EAP l'étaient aussi avec le soleil, créant ce tube d'ombre allant toucher un nuage au loin. © Daniel Chrétien, Futura Sciences
    Les planètes étaient particulièrement bien alignées pour le vol VA257. Les nuages de fumée issues des EAP l'étaient aussi avec le soleil, créant ce tube d'ombre allant toucher un nuage au loin. © Daniel Chrétien, Futura Sciences

    Toutes les opérations sur Ariane 5 nécessitent encore aujourd'hui du personnel. Une grande partie d'entre eux sera affectée sur Ariane 6Ariane 6 ou l'est déjà. Car même si Ariane 6 n'a pas encore volé, cela fait plusieurs années qu'elle cohabite avec Ariane 5 au CSG. À ce sujet, Daniel de Chambure sourit : « Moi qui suis encore responsable d'Ariane 5, j'ai un souci. Je dois absolument garder les équipes d'ingénieurs, d'opérateurs et de techniciens sur Ariane 5. » En effet, le site semble manquer de personnel pour assurer sereinement la transition. C'est toute une génération qui part avec Ariane 5. « Il y aura des anciens d'Ariane 5 comme il y a eu les anciens d'Ariane 4 », mentionne Daniel de Chambure. Le personnel du CSG a vu se succéder d'autres lanceurs auparavant. Bruno Gérard, directeur d'Arianespace et d'ArianeGroup à Kourou le rappelle : « C'est toujours le même métier. »

    À noter : plus de 600 entreprises européennes sont impliquées dans la constructionconstruction d'Ariane 5, dont plus de 350 petites et moyennes entreprises.