Des marques de dents dans un morceau de résine de bouleau datant de 10 000 ans. Voilà de quoi est partie une nouvelle étude, qui, de fil en aiguille et grâce à de précises analyses ADN, a réussi à dresser l’étonnant tableau d’une scène de vie au Paléolithique.
au sommaire
Au début des années 1990, des archéologues découvrent sur un site archéologique suédois de nombreux artefacts datant du Mésolithique. Parmi les objets en silex se trouvent 115 petits morceaux de résine d'écorce de bouleau. Trois d'entre eux attirent rapidement l'attention des scientifiques. Ils semblent en effet porter des marques de dents.
Morceau de résine (au centre) montrant des empreintes de dents (moulages sur les côtés), provenant du site de Huseby Klev en Suède. © Verner Alexandersen
On sait que les communautés du milieu du Paléolithique utilisaient cette résine d'arbrearbre pour confectionner une colle, utilisée pour fabriquer et assembler divers outils en boisbois et en pierre. Retrouver des empreintes de dents ou de doigts sur les morceaux de résine n'est donc pas une première, car ce matériau devait être mastiqué pour pouvoir ensuite être utilisé. Mais l'analyse de ces vieux « chewing-gums » datant de 9 700 ans s'est révélée très riche en information !
Les outils et armes étaient assemblés grâce à de la colle provenant de la résine de bouleau. © ExQuisine, Adobe Stock
Des adolescents à l’hygiène bucco-dentaire laissant à désirer !
L'analyse ADNADN des morceaux de résine a en effet permis de reconstruire dans le détail une scène de vie du Paléolithique.
Les échantillons contenaient en effet de très nombreuses traces ADN. Humaines, mais pas seulement ! Les scientifiques ont tout d'abord identifié l'ADN de plusieurs adolescents, garçons et filles, visiblement chargés de mastiquer la résine. Ces traces ADN feraient d'ailleurs partie des plus anciens génomesgénomes humains retrouvés à ce jour en Scandinavie. Mais dans l'échantillon, les chercheurs ont également retrouvé de l'ADN d'autres organismes, notamment des bactériesbactéries. Si certains génomes sont clairement associés aux bactéries vivant naturellement dans la résine, d'autres proviendraient de bactéries vivant habituellement… dans notre bouche !
En soi, ce n'est pas vraiment une surprise, mais les analyses ont révélé des fragments d'ADN de certains pathogènespathogènes, notamment Streptococcus mutans, habituellement impliqué dans les cariescaries dentaires, mais également Haemophilus influenzae b, une bactérie responsable d'otiteotite, de sinusitesinusite ou, plus gravement, de méningitesméningites. Le génome de bactéries responsables d'abcèsabcès a également été découvert, l'ensemble laissant suggérer que les enfants ayant mastiqué la résine devaient souffrir de certaines maladies. Les chercheurs sont toutefois sûrs à 75 % que l'une des jeunes filles devait souffrir de parodontiteparodontite, une maladie inflammatoire d'origine bactérienne qui produit un déchaussement des dents.
Du cerf, de la truite et des noisettes au repas !
L'analyse de la résine permet donc d'avoir un aperçu étonnamment précis de l'état de santé des adolescents et suggère au passage que leur hygiène bucco-dentaire devait être plutôt faible. Mais les résultats ne s'arrêtent pas là. Grâce aux analyses ADN, les chercheurs ont en effet pu déterminer de quoi a été constitué le dernier repas des adolescents. De l'ADN de cerf élaphecerf élaphe, de truitetruite fario et de noisettesnoisettes a en effet été retrouvé ! D'autres résultats laissent cependant les chercheurs encore dubitatifs. C'est le cas de cet ADN de renard, présent en grande quantité dans les morceaux de résine. Les chasseurs-cueilleurs mangeaient-ils de la viande de renard ? C'est possible, bien sûr, mais il serait également envisageable que les adolescents aient mastiqué des tendons et de la fourrure de cet animal dans le but de confectionner des pièces d'habits. Une dernière interprétion reste possible, celle du simple marquage urinaire par l'animal sur les morceaux de résine après qu'ils aient été abandonnés dans la nature...
Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Scientific Reports. Ils révèlent l'incroyable potentiel informatif que peuvent receler certaines découvertes archéologiques.
Un chewing-gum raconte l’histoire de celle qui l’a mâchouillé il y a 5 700 ans
Article de Nathalie MayerNathalie Mayer, publié le 18 décembre 2019
Lorsque vous mâchouillez un chewing-gum, vous y laissez un peu de votre salivesalive. Et c'est aujourd'hui un « chewing-gum » vieux de 5 700 ans que des chercheurs ont analysé. Leurs travaux révèlent non seulement les origines de sa mâchouilleuse, mais aussi la couleur de ses yeuxyeux, les germesgermes que sa bouche hébergeait et la composition de ses repas.
Il a été découvert lors de fouilles archéologiques effectuées par le Museum Lolland-Falster à Syltholm dans le sud du Danemark. Un « chewing-gum » qui a depuis été étudié par des chercheurs de l'Université de Copenhague (Danemark). « Syltholm est vraiment un site unique. Presque tout est scellé dans la boue, du coup, la préservation des restes organiques est phénoménale », explique dans un communiqué un coauteur de l'étude, Theis Jensen, chercheur à l'université de Copenhague.
“Un génome humain ancien et complet récupéré : une première !”
« Pour la première fois, un génome humain ancien et complet a été récupéré sur autre chose que des os ou des dents », explique à l'AFP Hannes Schroeder, également de l'Université de Copenhague. Cette « source très précieuse d'ADN ancien », en particulier pour les périodes où les restes humains se font rares, n'est autre qu'une pâte, noirâtre, obtenue à partir d'écorce de bouleau chauffée, « plus courante qu'on ne le pense, car elle se conserve assez bien ». Son atout : avoir, à la préhistoire, été couramment mâchée. En attestent des empreintes de dents souvent retrouvées sur le brai de bouleau.
Le brai de boulot retrouvé Syltholm dans le sud du Danemark. © Theis Jensen, Université de Copenhague
En étudiant l'ADN humain que le brai de bouleau contenait, les chercheurs ont pu établir que la personne qui l'avait mâché était une femme, probablement aux yeux bleus et dont la peau et les cheveux étaient foncés. Selon l'étude, la machouilleuse était génétiquement plus proche des chasseurs-cueilleurs d’Europe continentale que de ceux de Scandinavie centrale.
Des agents pathogènes, des noisettes et du canard
Par contre, les chercheurs avouent ne pas savoir exactement pourquoi, il y a 5 700 ans, cette femme a malaxé la pâte entre ses dents. Si parfois elle servait de colle -- la mâcher permettait de la rendre malléable avant utilisation --, la pâte a aussi pu être utilisée pour soulager le mal de dents -- car elle possède des vertus antiseptiquesantiseptiques --, servir de brosse à dents, de coupe-faimcoupe-faim ou simplement de chewing-gum.
Une reconstruction artistique du portrait de la femme qui a mâchouillé, il y a 5.700 ans, un « chewing-gum » découvert au Danemark. Les chercheurs l’ont surnommée Lola. © Tom Björklund, Université de Copenhague
Les chercheurs en ont également extrait de l'ADN de microbesmicrobes oraux et de plusieurs agents pathogènes humains. Principalement des espècesespèces sans danger, « mais aussi certaines qui sont potentiellement très pathogènes comme le Streptococcus pneumoniaeStreptococcus pneumoniae qui est la principale cause de pneumoniepneumonie. Nous avons également récupéré l'ADN du virus Epstein-Barr responsable de la mononucléosemononucléose infectieuse ».
« Cela peut nous aider à comprendre comment les agents pathogènes ont évolué et se sont propagés au fil du temps et ce qui les rend particulièrement virulents dans un environnement donné », explique Hannes Schroeder. La « gomme à mâcher » contenait également de l'ADN d'espèces végétales et animales comme celle de la noisette ou du canard laissant supposer qu'ils avaient été mangés peu de temps avant le mâchouillage.
De l'ADN humain de plus de 9 000 ans retrouvé dans des chewing-gums en Suède
Mâché comme un chewing-gum, le brai de bouleau servait de glu pour la fabrication d'outils préhistoriques. L'analyse de l'ADN retrouvé sur des gommes d'un site archéologique suédois suggère qu'hommes, femmes et enfants en mâchaient il y a plus de 9 000 ans. Les résultats viennent d'être publiés dans le journal Communications Biology.
Article de Marie-Céline RayMarie-Céline Ray paru le 18/05/2019
Il y a quelques mois déjà, des chercheurs avaient trouvé de l’ADN dans des gommes fabriquées à partir de brai ou de goudron de boulot et retrouvées sur un site archéologique suédois. © Jorre, Wikimedia Commons, CC by-SA 3.0
Lorsque vous mâchez un chewing-gum, vous y laissez un peu de votre salive et donc, de votre ADN. Imaginez que nos ancêtres aient, eux aussi, mâché des gommes à la Préhistoire : leur ADN y est-il conservé et pour combien de temps ? C'est la question que s'est posé une équipe de chercheurs qui étudiaient des morceaux de gommes préhistoriques trouvées dans un site archéologique : Huseby Klev, à l'ouest de la Suède, où se pratique une technologie lithique venue de l'est.
Dans une fosse mise au jour à la fin des années 1980, des archéologues suédois ont découvert une centaine de ces chewing-gums de couleur sombre, de la taille d'un pouce, criblés de marques de dents. L'analyse chimique de certains de ces morceaux a montré qu'il s'agissait de brai de bouleau, une sorte de colle issue de résine végétale.
Un des anciens chewing-gums de plus de 9.000 ans découverts à Huseby Klev, en Suède. © Natalija Kashuba, Stockholm University
Le saviez-vous ?
La bétuline, ou brai de bouleau, s’obtient par calcination à l'étouffée de l'écorce de l'arbre. Pendant la Préhistoire, ce mastic servait à fixer une pointe de flèche sur du bois ou à réparer des poteries, des vases...
Le brai de bouleau servait à la fabrication d'outils et d'armes mais il était aussi mâché, ce qui pouvait le rendre plus malléable pour ensuite coller de la pierre à de l'os ou du bois. Les chercheurs des universités d'Oslo et de Stockholm ont donc voulu savoir si ces gommes pouvaient encore contenir de l'ADN des personnes qui les avaient mâchées. Leurs résultats, annoncés fin décembre sur le site de prépublication en ligne BioRχiv, viennent de paraître dans le journal Communications Biology.
De l’ADN conservé pendant des millénaires dans des chewing-gums
Les échantillons testés avaient plus de 9 000 ans. L'ADN a été amplifié et les chercheurs ont identifié de l'ADN humain dans trois échantillons. Chaque ADN venait d'un individu différent, deux étaient féminins et un masculin. Au vu de la taille des dents estimée par les marques laissées sur la gomme, les « mâcheurs » étaient des jeunes âgés entre 5 et 18 ans.
Un chewing-gum d’Huseby Klev (au milieu) et les empreintes des dents sur des moulages, à gauche et à droite. La barre représente 50 millimètres. © Kashuba et al., 2018, BioRχiv, photo de Verner Alexandersen
D'autres marques de dents adultes ont été trouvées sur le même site. On peut donc imaginer que des individus de tous âges et des deux sexes mâchaient ces gommes et s'en servaient pour la fabrication d'outils. L'analyse génétiquegénétique a aussi révélé que l'ADN provenait de chasseurs-cueilleurs scandinaves qui chassaient le rennerenne en Suède et en Norvège, au mésolithique.
“C’est passionnant de pouvoir obtenir de l’ADN de quelque chose que les gens ont mâché il y a des milliers d’années”
Cette étude montre qu'il est possible d'étudier des populations anciennes même sans restes humains. Dans Sciencemag, LisaLisa Matisoo-Smith, anthropologue à l'université d'Otago à Dunedin (Nouvelle-Zélande), a déclaré : « C'est passionnant... de pouvoir obtenir de l'ADN de quelque chose que les gens ont mâché il y a des milliers d'années. » Cependant, elle fait remarquer qu'il n'est pas certain que les personnes qui ont mâché les gommes fabriquaient aussi des outils car le brai de bouleau ne provenait pas d'outils.
Peut-être que les gommes analysées n'étaient que de vulgaires « chewing-gums », peut-être aussi étaient-elles mâchées pour leurs vertus thérapeutiques... Mais elles restent des outils d'étude intéressants. Elles pourraient par exemple servir à identifier le microbiomemicrobiome de populations préhistoriques.