Une équipe de chercheurs s’est penchée sur l’année 536, supposée être l’une des plus meurtrières de l’Histoire. En analysant des données portant sur l’intégralité du VIe siècle, les universitaires ont découvert que l’Empire romain d’Orient s’est en réalité grandement étendu à cette période.
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La recherche historique vient parfois bousculer les certitudes les plus ancrées. Bon nombre de faits considérés comme « acquis » ont été révisés à la lumière de nouvelles analyses historiographiques. De récentes recherches s'attardaient sur l'an 536. Pourquoi évoquer et examiner en détail cette année spécifique ? Dans l'imaginaire collectif, elle est considérée comme l'une des pires années connues par la civilisation occidentale et une partie du continent asiatique. Maladies, déclin démographique, transformations de l’Empire romain... Deux chercheurs des universités d'Oxford et de Varsovie viennent toutefois contester cette assertion. Sources à l'appui, ils déclarent dans la revue Klio que plusieurs régions du monde auraient, au contraire, connu un rebond démographique surprenant.
Âge de glace, peste justinienne et éruptions volcaniques
Sur le papier, le VIe siècle pourrait presque sembler apocalyptique. À partir de 536, trois éruptions volcaniques simultanées seraient à l'origine d'un assombrissement de l'atmosphèreatmosphère. L'Europe est alors particulièrement touchée et les températures chutent drastiquement. Les experts estiment une potentielle baisse de 2,5 °C dans plusieurs régions. Dans une étude publiée le 5 novembre dernier, les universitaires affirment que cet hiver volcaniquehiver volcanique a produit un sorte de petit âge glaciaire. Un événement singulier et rare, qu'un long travail de recherches publié en 2016 dévoilait dans Nature. Le refroidissement concernait aussi une partie de l'Asie, engendrant une chute des rendements agricoles notamment.
Les premières heures de l'Empire romain d'Orient voient aussi éclore l'une des premières épidémies de peste, dite de Justinien. Dévastatrice, elle débute en 527 et s'étend autour du bassin méditerranéen pendant plusieurs décennies. Partie d'Égypte, elle touche Constantinople vers 541. Dans une cité grouillante située au carrefour de l'Europe et de l'Asie, des dizaines de milliers de morts sont dénombrés en quelques semaines. La maladie est véhiculée par les rats, porteurs de puces infectées par le bacille de Yersin. Le pourtour méditerranéen est touché dans son intégralité, les rats embarquant à bord de navires marchands. Il faudra presque deux siècles pour que la pestepeste de Justinien disparaisse complètement, bien qu'elle ait atteint son paroxysme au cours du VIe siècle.
La croissance exponentielle de l’Empire romain d’Occident
Certains spécialistes, tels que Lucien Jerphagnon, considèrent que l’Empire romain occidental « meurt » après que Romulus Augustule a été déposé par ses propres troupes en septembre 476. C'est à Byzance que s'établit le nouveau centre du pouvoir politique romain et chrétien. Sa puissance s'étend alors sur une grande partie des provinces contrôlées par Rome, notamment autour de la Méditerranée. Dans un premier temps, la prospérité était de mise avant que les épidémies et les bouleversements climatiques ne viennent affecter trop durement les sujets de l'Empire.
Plusieurs cités et colonies situées dans le Levant et dans le désertdésert du Negev ont connu une expansion démographique et urbaine, tel que démontré par les analyses dirigées par Haggai Olshanetsky et Lev Cosijns. À la fin du VIe siècle, cette croissance s'observe aussi dans plusieurs zones de la Turquie et de l'Afrique du Nord. Le supposé hiver volcanique n'aurait pas eu un impact si important sur l'évolution des populations à travers l'Europe. Concernant la peste de Justinien, les sources primaires attestent bien de la puissance et de la mortalité de l'épidémieépidémie. Mais l'étude insiste sur le fait que les données connues s'étalent sur deux siècles d'histoire. L'Empire romain d'Occident a continué de bâtir sa puissance en s'appuyant sur le commerce entre les continents et en affermissant son contrôle sur le secteur méditerranéen.
De nombreuses controverses et des incertitudes demeurent, mais cette nouvelle thèse constitue une nouvelle étape de l'historiographie de la fin de l'Antiquité.