Les recherches de pointe menées par Annafederica Urbano et son équipe de l'Isae-Supaero ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine de la propulsion spatiale. En se penchant sur les possibilités offertes par la technologie du méthane, indispensable pour les futures missions spatiales, ces travaux font le pari d'apporter des solutions novatrices aux défis majeurs de la propulsion spatiale du futur. Une interview passionnante.


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    Alors qu’Ariane 6 vient de réaliser son premier vol et que se préparent les essais en vol du moteur PrometheusPrometheus destiné à un futur lanceur européen réutilisable, voire à une version améliorée d'Ariane 6, Annafederica Urbano, enseignante-chercheuse spécialisée en propulsion spatiale et systèmes de transport spatial à l'Isae-Supaero, travaille sur les moteurs spatiaux du futur.

    Au sein du département conception et conduite des véhicules aérospatiaux (DCAS)), Annafederica Urbano s'intéresse ainsi à la propulsion liquide et plus particulièrement au méthane, considéré comme le combustible du futur, car « il permet une réduction de coût par rapport à l'hydrogène, tout en conservant des performances satisfaisantes ».

    Annafederica Urbano et son équipe se concentrent sur la modélisation des moteurs de fuséefusée de nouvelle génération, réutilisables et à poussée variable, utilisant le méthane comme combustible, l'utilisation des algorithmes d'intelligence artificielle et des données issues de simulations numériquessimulations numériques pour le développement, ainsi que l'étude du comportement des fluides stockés à des températures très basses dans les réservoirs des lanceurs. Le but de ces recherches est aussi d'accroître l'utilisation de la simulation dans la conception des chambres de combustionchambres de combustion des moteurs afin de réduire les délais de développement et de diminuer les besoins en tests physiquesphysiques sur bancs d'essai.

    Premier vol d'Ariane 6. Alors que les moteurs cryogéniques du nouveau lanceur européen utilisent actuellement un mélange d'oxygène et d'hydrogène liquides pour le Vulcain de l'étage principal et le Vinci de l'étage supérieur, la prochaine génération de propulsion cryogénique utilisera le méthane comme ergol. © ESA, M. Pédoussaut
    Premier vol d'Ariane 6. Alors que les moteurs cryogéniques du nouveau lanceur européen utilisent actuellement un mélange d'oxygène et d'hydrogène liquides pour le Vulcain de l'étage principal et le Vinci de l'étage supérieur, la prochaine génération de propulsion cryogénique utilisera le méthane comme ergol. © ESA, M. Pédoussaut

    Du méthane comme combustible

    L'utilisation du méthane comme combustible représente une véritable innovation par rapport aux ergolsergols traditionnellement utilisés par les lanceurs européens. Bien que l'impulsion spécifiqueimpulsion spécifique du méthane soit inférieure à celle de l'hydrogène liquide, sa densité permet de réduire la taille du réservoir ou d'emporter plus de carburant dans un espace donné, ce qui favorise la réutilisabilité des moteurs.

    La contrainte, sa combustion, engendre des phénomènes encore mal compris. « Notre objectif est de modéliser et comprendre les phénomènes complexes à l'œuvre dans les moteurs de fusée, afin d'améliorer les outils de conception. Dans une décennie, nous serons ainsi capables de concevoir des moteurs de fusée grâce à la simulation numérique, soutenue par des expériences pratiques », explique la chercheuse.

    Ces recherches se situent à un « niveau de maturité technologique (TRL) bas ». Elles explorent des « conditions extrêmes d'utilisation de fluides cryogéniques et des problèmes d'évaporation à haute pressionpression qui ne se limitent pas seulement aux moteurs de fusées », tient-elle à ajouter. Elles soulèvent des « questions scientifiques plus vastes et aux implications diverses mais stratégiques en lien au transport et à la production d'énergieénergie (utilisation de l'hydrogène dans l'aéronautique, refroidissement de centrales nucléairescentrales nucléaires...) » qui pourraient conduire au « développement de technologies avancées en matièrematière de stockage, d'isolation thermiqueisolation thermique et de contrôle des fluides ».

    La vision d'ArianeGroup pour l'activité spatiale en orbite à l'horizon 2030_2050. © ArianeGroup
    La vision d'ArianeGroup pour l'activité spatiale en orbite à l'horizon 2030_2050. © ArianeGroup

    Répondre aux besoins des futures missions spatiales

    L'intérêt pour la propulsion au méthane trouve également sa justification dans les futures missions spatiales envisagées en orbiteorbite basse, telles que « les vols de point à point à travers l'espace, les services en orbite avec des véhicules de transfert et de logistique, ainsi que le ravitaillement en orbite ». Ces déplacements dans l'espace et les diverses manœuvres orbitalesorbitales requises « impliqueront des variations de poussée des moteurs et des réallumages, susceptibles d'engendrer des phénomènes physiques encore mal compris et pas maîtrisés, incluant des instabilités de combustion caractérisées par des oscillations de pression dans la chambre de combustion qui peuvent mener à l'échec de la mission ».

    Quant aux missions de ravitaillement, elles « soulèvent des défis complexes associés au transfert d'ergols cryogéniques. La difficulté consiste à maintenir liquides ces fluides en limitant leur perte. En effet, afin de limiter l'augmentation de pression dans les réservoirs, le liquide évaporé doit être éventé et est donc perdu ! ».

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    Les travaux d'Annafederica Urbano, se concentrent sur la compréhension de ces phénomènes physiques liés à l'utilisation du méthane dans des « conditions extrêmes difficiles à caractérister, notamment en ce qui concerne sa combustion avec l'oxygèneoxygène à haute pression et le comportement des liquides dans différents régimes à basse et haute pression, ainsi que leur transition de phasetransition de phase dans les composants des fusées ».

    Il faut savoir que ces deux ergols sont stockés à des températures très basses (-161 °C pour le méthane et -183 °C pour l'oxygène). Ces températures pourraient poser des « défis lors de missions spatiales prolongées, en particulier pour les étages supérieurs des lanceurs ». Il sera crucial de « maintenir ces températures basses tout en minimisant la massemasse des réservoirs ». La conception des réservoirs jouera donc un « rôle essentiel pour contrôler et limiter l'évaporation des ergols ».

    Ces études permettront « d'augmenter notre compréhension de ces phénomènes physiques, de permettre leur bonne modélisation et donc d'améliorer la conception des moteurs et des réservoirs des étages supérieurs », conclut-elle.