Le Sommet spatial européen à Séville a conclu des accords pour assurer l'avenir des lanceurs Ariane 6 et Vega, tout en mettant fin au monopole d'ArianeGroup. Ainsi, il a été demandé à l’ESA d’encourager, de stimuler la compétition industrielle et de soutenir les projets européens de petits lanceurs privés. Parmi ces projets, découvrons la start-up Pangea Aerospace et son moteur réutilisable à propulsion aerospike. Les explications de Marie-Laure Gouzy, directrice France de Pangea Aerospace.
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Dans le domaine de l'accès à l'espace, le Sommet du spatial européen à Séville, qui s'est tenu les 6 et 7 novembre, a conclu des accords visant à assurer l'avenir des lanceurs Ariane 6 et VegaVega, tout en exprimant la volonté de mettre fin au monopole d'ArianeGroup sur les lanceurs européens. Cela s'accompagne du soutien à la nouvelle génération de petits lanceurspetits lanceurs privés issus de la révolution du New Space.
Les familles Ariane 6Ariane 6 et Vega (C & E) bénéficieront d'un soutien financier concret, avec 340 millions d'euros alloués à Ariane 6 et 21 millions d'euros à Vega. De plus, il est prévu de garantir quatre lancements institutionnels par an pour Ariane 6 et trois pour Vega. Pour les projets de petits lanceurs, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) envisage une aide pouvant atteindre 150 millions d'euros, principalement pour ceux faisant le choix de systèmes de propulsion innovants à haute efficacité et bas coût, et privilégiant l'innovation environnementale et les ruptures technologiques, dont la réutilisabilité.
Après avoir découvert le moteur Prometheus d’ArianeGroup et le moteur Navier du lanceur Zéphyr de Latitude, découvrons aujourd'hui le moteur Arcos de Pangea Aerospace. Fondée en 2018, cette start-upstart-up franco-espagnole se distingue par le développement d'un moteur réutilisablemoteur réutilisable employant la combustion aerospike et des ergols verts.
Des technologies de propulsion pionnières en Europe
Baptisé Arcos, ce moteur présente plusieurs attraits majeurs dont celui d'être le premier moteur-fuséefusée à tuyère aerospike au monde, fabriqué en impression 3Dimpression 3D et utilisant des ergols verts. Sa réutilisabilité constitue aussi un attrait très fort. En 2021, Pangea Aerospace a réussi à démontrer son fonctionnement sur l'ensemble du domaine de vol, avec la capacité d'être réutilisé pour 10 autres vols. Récemment, le moteur a franchi avec succès la campagne de tests de ses composants sur le site de l'agence spatiale allemandeagence spatiale allemande (DLR). Ces essais marquent une étape cruciale vers la validation complète du moteur, impliquant la validation de technologies de propulsion pionnières dans l'industrie spatiale européenne.
- Validation de la conception des chambres de combustionchambres de combustion du moteur aerospike. La chambre bi-matièrematière, la première de ce type en Europe, est réalisée à l'aide de techniques de fabrication additive et fonctionne avec du biométhanebiométhane et de l'oxygèneoxygène liquidesliquides, et est refroidie par de l'oxygène liquide. Ces chambres sont de conception modulaire, ce qui permet d'adapter facilement le moteur aux besoins du client en matière de poussée.
- Validation de la conception de deux types de têtes d'injection imprimées en 3D, développée en collaboration avec l'Agence spatiale européenne et le CDTI (Center of Technological Development and Innovation - Espagne), dans le cadre du projet Itan (test d'injecteurs pour les tuyères Aerospike) financé par l'ESA. Ces injecteurs ont la particularité d'être fabriqués en une seule pièce afin de faciliter l'inspection et la remise en état du moteur après le vol, ouvrant ainsi la voie à des véhicules spatiaux rapidement réutilisables, à moindre coût.
Pangea Aerospace ouvre la voie à une propulsion spatiale verte
La combinaison de technologies comme la réutilisabilité, les propergolspropergols verts et la fabrication additive promet de révolutionner la façon d'accéder à l'espace. La possibilité de fabriquer des composants par impression 3D améliore l'efficacité de la production en permettant une plus grande flexibilité dans la maintenance et la remise à neuf des moteurs, un aspect crucial pour parvenir à la réutilisabilité. Par ailleurs, l'utilisation de propergols verts comme le methalox (bio-méthane et oxygène liquides) souligne l'engagement de Pangea en faveur de la durabilitédurabilité et de la réduction de l'empreinte environnementale dans l'exploration spatiale. Ce moteur génère principalement des émissionsémissions de vapeur d'eau, ce qui réduit son impact environnemental de 50 % par rapport aux moteurs conventionnels, plus polluants, qui utilisent du kérosènekérosène. En outre, il consomme 15 % de carburant en moins et permet de transporter jusqu'à 50 % de charge utile en plus par rapport aux autres systèmes standards.
La parole à Marie-Laure Gouzy, directrice France de Pangea Aerospace.
Futura : Quelle analyse faites-vous du marché des petits lanceurs et de l’avenir de votre moteur ?
Marie-Laure Gouzy : Le marché du spatial explose, tous les États et toutes les organisations veulent un accès souverain à l'espace pour conserver ou gagner en compétitivité et en puissance géostratégique. Deux-mille-cinq-cents satellites seront lancés par an au cours de la prochaine décennie, nous devons également tenir compte du fait que SpaceXSpaceX perturbe le secteur et oblige tout le monde à réagir. Dans ce contexte, il n'est pas facile pour les petits lanceurs d'être compétitifs face à SpaceX ou d'autres compagnies bénéficiant d'apports de capitaux bien plus importants qu'en Europe. C'est là que notre proposition entre en jeu : des moteurs réutilisables très performants, avec le meilleur rapport performance/coût, qui permettent aux opérateurs de lancement d'accroître leurs bénéfices, d'augmenter la cadence de lancement et de réduire de manière significative l'impact sur l'environnement. Nous développons une solution de propulsion évolutive et facile à intégrer dans la plupart des lanceurs grâce à sa conception modulaire et à son anneau d'interface réglable.
“Nous développons une solution de propulsion évolutive et facile à intégrer dans la plupart des lanceurs grâce à sa conception modulaire”
Futura : C’est-à-dire ? Votre moteur n’est pas destiné à un seul lanceur ?
Marie-Laure Gouzy : Effectivement. Nous proposons notre solution de propulsion évolutive sur la base d'un modèle de service pay-per-flight. Notre objectif est de mettre ces blocs technologiques au service des intégrateurs de lanceurs pour renforcer leur compétitivité, en fournissant des systèmes de propulsion plus efficaces tout en minimisant les coûts.
Futura : Pouvez-vous décrire brièvement le principe de votre moteur à tuyère aerospike ?
Marie-Laure Gouzy : Les moteurs aerospike sont très efficaces car ils fonctionnent de manière optimale tout au long de la trajectoire de la fusée. Les moteurs de fusée classiques sont conçus pour ne fonctionner de manière optimale qu'à une certaine altitude, de sorte qu'il faut des moteurs différents pour les différents étages. La géométrie de l'aerospike crée une tuyère virtuelle qui se dilate naturellement avec l'altitude, ce qui permet à un tel moteur de fonctionner aux limites de la physiquephysique à toutes les altitudes. Il s'agit d'un changement radical. Par rapport à l'augmentation typique de 1 % pour laquelle les grandes institutions dépensent des centaines de millions, notre moteur aerospike a un gain d'efficacité de 15 %. Cette valeur est corrélée à la charge utile et aux coûts, ce qui accroît considérablement la rentabilité des lanceurs.
Futura : Quels sont les points durs, les sauts technologiques ?
Marie-Laure Gouzy : Le refroidissement du moteur est un des défis les plus importants qui impacte fortement le coût et le temps nécessaire à la fabrication d'un aerospike. Nous avons relevé ce défi en introduisant plusieurs technologies. Un double système de refroidissement régénératif qui utilise les ergols cryogéniques pour refroidir le moteur ainsi que des techniques de fabrication avancées, essentielles pour créer les canaux de refroidissement complexes dont le moteur a besoin. Ces techniques permettent également d'optimiser le processus de fabrication, d'économiser de l'énergieénergie, de le rendre plus rapide et d'en réduire le coût. Enfin, notre moteur est conçu pour être réutilisé dix fois et, comme il utilise du méthane, il ne laisse pas de suiesuie dans les canaux de refroidissement, ce qui facilite la remise à neuf, augmente la cadence des lancements et réduit encore et toujours les coûts.
Futura : À quand un premier vol ?
Marie-Laure Gouzy : Notre premier vol de qualification est prévu en 2026 et nous sommes confiants quant à sa réussite.
Futura : Un moteur annoncé comme « vert », mais à quel coût ? Sera-t-il compétitif ?
Marie-Laure Gouzy : Dans notre cas, le « moteur vert » est directement lié à la compétitivité. Tout d'abord, parce que nous sommes convaincus qu'aujourd'hui nous devons créer des solutions conformes aux objectifs de durabilité d'Europe 2030 et concevoir les moteurs de la prochaine décennie dans cette optique.
Ensuite, les avantages de l'aerospike en matière de performances nous permettent d'utiliser moins d'ergols pour amener la même charge utile en orbiteorbite, ce qui rend notre solution plus compétitive et plus respectueuse de l'environnement. Nous avons décidé d'utiliser du méthalox, qui est la meilleure option si l'on considère les performances et l'impact sur l'environnement. Ses émissions sont principalement constituées de vapeur d'eau, et non de suie, de composés sulfurés ou d'aluminiumaluminium. En outre, nous avons décidé d'utiliser du bio-méthane, en utilisant le méthane que nous produisons déjà sur Terre, ce qui contribue à réduire l'empreinte carbonecarbone de notre produit.
“Les avantages de l'aerospike en matière de performances nous permettent d'utiliser moins d'ergols pour amener la même charge utile en orbite”
Notre moteur est également conçu pour être réutilisé au moins dix fois, ce qui améliore la compétitivité en réduisant les coûts et contribue au développement durabledéveloppement durable en éliminant le besoin d'un nouveau moteur à chaque vol et en augmentant les cycles de vie des sous-systèmes.
Notre proposition a été conçue dès le départ pour être non seulement une option durable mais aussi une option compétitive, très axée sur l'optimisation des coûts et l'amélioration des performances, visant le meilleur rapport performance/coût.
Futura : Quelles sont les performances visées en matière de poussée, de capacité de lancement (charge utile) ?
Marie-Laure Gouzy : Nous développons actuellement Arcos, un moteur d'une poussée de 300 kN destiné essentiellement aux lanceurs de petite taille. En matière de capacité de charge utile, cela correspond à 450 kilos. Comme notre moteur est 15 % plus efficace que les moteurs conventionnels, nous pouvons atteindre une augmentation de 40 % de la rentabilité du lanceur en fonction de sa configuration et de son type.
Futura : Quels marchés visez-vous ?
Marie-Laure Gouzy : Avec le développement actuel de l'Arcos 300 kN, nous ciblons le marché des fabricants des mini-lanceurs. Mais les tendances en matière d'évolution des charges utiles conduiront rapidement le marché vers des lanceurs plus lourds avec des besoins en capacité de charge utile de plus d'une tonne. Nous savons adapter la poussée de nos moteurs pour répondre à l'ensemble de la demande.
Le modèle pay-per-flight que nous mettons en œuvre nous permet d'offrir des services et de la maintenance ainsi que des ventes directes aussi bien aux entreprises privées qu'à des institutionnels ou États.
Futura : Quel est le potentiel d’évolution de votre moteur ?
Marie-Laure Gouzy : Nous avons conçu Arcos en utilisant une géométrie modulaire. Nous avons choisi d'utiliser un clustercluster de chambres de combustion réparties autour de la tuyère centrale. Ce choix très audacieux ajouté aux briques technologiques que nous avons développées dans le cadre de projets financés par l'ESA nous permet de moduler facilement les capacités de poussée du moteur en fonction du nombre de chambres de combustion et de leur poussée. Par ailleurs, nous avons déjà fourni au Cnes une étude de faisabilité pour un moteur aérospatial de 1 MN, démontrant les capacités de montée en puissance d'Arcos. Nous prévoyons déjà une possibilité d'avoir trois types de moteur, Arcos-S (petit), Arcos-M (medium) et Arcos-L (grand), pour répondre à toutes les classes de lanceurs.
Futura : Enfin, quel sera le premier lanceur à l’utiliser ?
Marie-Laure Gouzy : Nous avons déjà signé un mémorandum avec Tehiru, le micro-lanceur américano-israélien, pour leur fournir des moteurs aerospike pour leurs futurs lanceurs. Cet accord garantira à Tehiru un accès prioritaire aux tout premiers moteurs fabriqués par Pangea. Les premiers échanges commerciaux devraient avoir lieu en 2025 avec un volumevolume de vol estimé à 50 jusqu'en 2030.
Nous voulons être considérés comme des fournisseurs de moteurs « agnostiques », comme le sont SafranSafran ou Roll Royce pour les intégrateurs aéronautiques que sont Airbus ou Boeing. Nous avons conçu notre moteur pour qu'il soit facile à intégrer dans n'importe quel lanceur, afin de pouvoir répondre à la plus grande demande possible.