Le transport spatial traverse une période de mutation profonde qui contraint les opérateurs de lancements historiques à bien plus de réactivité qu’auparavant. Dans ce contexte, le Cnes et ArianeGroup réfléchissent à la génération des lanceurs qui succéderont à la famille Ariane 6. De façon à identifier les besoins et les moyens technologiques pour y répondre, ils ont créé ArianeWorks. Les explications de Jérôme Vila, fondateur et responsable d’ArianeWorks.
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À l'ère du New Space, le secteur du transport spatial traverse une période de mutation qui s'explique à la fois par des évolutions technologiques majeures et par l'arrivée de nouveaux acteurs ambitionnant de changer profondément les activités en orbite, comme la façon d'accéder à l'espace. Leader historique des lancements spatiaux commerciaux et instrument essentiel de l'Europe « puissance spatiale », Ariane - qui fêtera ses 40 ans cette année - se trouve à un tournant de son histoire et s'organise pour relever ces nouveaux défis.
Sur le plan commercial, l'opérateur européen ArianespaceArianespace doit faire face à une concurrence qui se renforce aux États-Unis, avec SpaceX, Blue Origin, ou Ula qui a décidé de revenir sur les marchés de lancements de satellites, et s'affaiblit côté russe. Les missiles russes reconvertis en lanceurs devraient sortir du marché et les lanceurs Proton et SoyouzSoyouz, qui restent des valeurs sûres, sont néanmoins en perte de vitesse en raison d'un potentiel d'amélioration de la compétitivité limité. Quant aux lanceurs chinois, les règles Itar les empêchent de concurrencer efficacement Arianespace, même si les offres « clés en main », avec lanceur + satellite made in China, progressent.
Dans le même temps, l'enjeu stratégique des activités spatiales pour les prochaines décennies s'affirme plus nettement, donnant lieu à une nouvelle forme de rivalité entre grandes puissances : les États-Unis créent une Space Force et affichent leur volonté de domination du secteur, l'Inde teste des capacités antisatellites, la Chine déploie des innovations technologiques impressionnantes avec, par exemple, les premiers satellites à communication quantique... La position de l'Europe est en question.
C'est dans ce contexte et pour redynamiser le modèle spatial européen, que le Cnes et ArianeGroup ont créé ArianeWorks dont l'« objectif est d'accélérer les cycles d'innovation et la préparation des futures générations de lanceurs européens » nous explique Jérôme Vila, fondateur et responsable d'ArianeWorks, auparavant sous-directeur au Cnes en charge des futures fuséesfusées. Il est nécessaire d'identifier les « besoins à l'horizon d'une dizaine d'années », voir comment y répondre en passant en revue une multitude de « solutions de transport spatial qui pourraient succéder à l'actuelle famille Ariane 6 », et surtout expérimenter très vite en « développant une culture de la prise de risque maîtrisée qui, encore trop souvent absente, ralentit la concrétisation de nouvelles idées ». Au sein d'ArianeWorks, une équipe pluridisciplinaire, expérimentée et audacieuse explore et teste avec une grande liberté les « pistes de technologies et solutions prometteuses pouvant radicalement améliorer, en termes de performances, de coûts ou de services, ce qui se fait aujourd'hui ».
La réutilisabilité au programme d’ArianeWorks
Concrètement, le premier projet confié à ArianeWorks est un « démonstrateurdémonstrateur de premier étage réutilisableétage réutilisable, modulaire et à très bas coût baptisé Themis, basé sur le moteur oxygène liquideliquide-méthane Promotheus ». Équipé de ce moteur de nouvelle génération développé par ArianeGroup (10 fois moins coûteux que le Vulcain d'Ariane 5Ariane 5 !), capitalisant sur les technologies mises au point pour le véhicule réutilisable Callisto (Cnes, DLRDLR et Jaxa) dont le vol de démonstration est prévu en 2020, Themis est une capacité clé préfigurant des améliorations d’Ariane 6 à l'horizon 2025 ou les éléments constitutifs d'Ariane Next, la « famille de lanceurs qui pourrait succéder à Ariane 6Ariane 6 à la fin de la décennie 2020 ».
Au-delà de la démonstration technologique, l'idée est d'« évaluer plusieurs utilisations possibles de Themis ». Plusieurs scénarios sont à l'étude. À partir de cet étage, ArianeWorks envisage de dériver une « capacité réutilisable de lancement pour des expériences de microgravitémicrogravité ou des petits satellites ». Themis pourrait aussi donner naissance à de « nouveaux boostersboosters pour augmenter la performance d'Ariane 6 ». À la différence des actuels boosters, les P120 qui fonctionnent avec un carburant solidesolide, le booster Themis utiliserait du carburant liquide. Autre voie à l'étude, « adapter Themis pour remplacer l'étage principal d'Ariane 6 » avec l'objectif de rester dans une gamme de « performance similaire mais avec une compétitivité renforcée ». Enfin, Themis pourrait donner naissance à une « nouvelle architecture de lanceur simple et sobre », couvrant un spectrespectre large de missions avec seulement deux étages et une seule filière technologique de propulsion.
Au-delà d'Ariane Next, le Cnes se projette également sur un horizon plus lointain avec Ariane Ultimate, un concept prospectif guère envisagé avant l'horizon 2040, mais qui « marquera une véritable rupture technologique sur la propulsion, et par ricochet d'architecture des lanceurs ».
Ariane Next : à quoi ressemblera le successeur d'Ariane 6 ?
Article de Rémy DecourtRémy Decourt, publié le 21/06/2017
Alors qu'ArianeGroup s'apprête, d'ici la fin de l'année, à mettre en production les premières Ariane 6, l'Onera réfléchit déjà à la conception d'une Ariane 7. Son directeur espace, Jean-Claude Traineau, nous explique les voies qui sont explorées.
L'Onera, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, contribue à l'effort français et européen d'une capacité autonome d'accès à l'espace. Expert technique dans de nombreux domaines pour améliorer le fonctionnement des lanceurs spatiaux, le centre français de recherche aérospatiale, en lien étroit avec le Cnes (le Centre national d'études spatiales), investit également dans la préparation des lanceurs du futur. Plusieurs voies sont explorées telles que les lanceurs semi-réutilisables ou réutilisables.
Ariane 6 n'a pas encore volé que déjà l'ESA, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, et le Cnes travaillent sur les évolutions de ce lanceur. Comme nous l'explique Stéphane Israël, président exécutif d'Arianespace, des équipes « d'ArianeGroup, en partenariat avec le Cnes et le DLR, préparent d'ores et déjà les évolutions du lanceur Ariane 6 à travers le développement d'une nouvelle famille de moteurs à bas coût LOXLOX-Méthane, baptisée PrometheusPrometheus. Dix fois moins cher que l'actuel moteur Vulcain, Prometheus pourra équiper à terme une Ariane Néo encore plus compétitive, et potentiellement réutilisable, si le modèle de mission accessible à ce lanceur le justifie ».
Au-delà d'Ariane Néo, il est question d'Ariane Next. Ce nom de code ne « désigne pas un futur lanceur, mais toutes les initiatives autour desquelles nous travaillons avec nos partenaires, notamment ArianeGroup », nous expliquait en février Jean-Marc Astorg, le directeur des lanceurs au Cnes. L'Onera qui accompagne le Cnes depuis le programme du lanceur Diamant a également « quelques idées sur ce que pourrait être ce futur lanceur », souligne Jean-Claude Traineau, son directeur espace.
Des lanceurs capables de s'adapter à l'évolution du marché
En raison des incertitudes sur l'évolution future du marché des lancements de satellites ouverts à la concurrence et des satellites institutionnels et gouvernementaux, il est trop tôt pour se faire une idée précise de ce que pourrait être ce lanceur du futur en termes de « performances, d'étagement et de missions ». À cela s'ajoute que le durcissement de la concurrence d’Ariane pousse les directions des lanceurs de l'ESA et du Cnes à réfléchir à comment faire mieux, plus vite, moins cher et plus fiable et cela, alors qu'Ariane 6 représente déjà un gain significatif, de l'ordre de 50 %, par rapport à Ariane 5.
À ce jour, « bien qu'il n'y a pas de concept privilégié pour remplacer Ariane 6 », deux hypothèses de travail sont sur la table, précisait alors Jean-Marc Astorg. Un lanceur entièrement nouveau, « capable d'une cadence de lancement très élevée » ou bien une version modernisée et améliorée d'Ariane 6 « pour répondre à un besoin de surcroît de performance », précise Jean-Claude Traineau.
Rendre l’étage principal d’un lanceur capable d’un retour à sa base de lancement
Dans ce contexte, en concertation avec le Cnes et ArianeGroup, l'Onera travaille sur « différentes configurations de lanceur avec des étages réutilisables » dont en premier lieu, l'étage principal. Les études portent sur des « solutions d'étagement avec le retour de l'étage principal à la verticale ou à l'horizontale ». Pour l'instant il n'est pas question de développement, mais d'études de « pré-dimensionnement de façon à identifier des points durs et de faisabilité ». Trois solutions sont envisagées :
- Le mode Toss-Back qu'utilise SpaceXSpaceX pour récupérer l'étage principal du Falcon 9. Cette manœuvre consiste à « réaliser un demi-tour, une marche arrière et un rallumage du moteur ». Dans cette configuration, l'étage utilise la « propulsion fusée pour fournir les impulsions permettant le retour au sol, le freinage en phase atmosphérique et l'atterrissage à la verticale ».
- Le mode Fly Back qui permet à un « étage doté de petites ailes de retourner se poser à l'horizontale d'où il a décollé ». L'Onera travaille sur un étage utilisant une « propulsion aérobieaérobie obtenue par le biais de quatre turboréacteursturboréacteurs situés dans le neznez de l'étage ».
- Le mode GliderGlider dans lequel l'étage utilise également la « propulsion fusée pour freiner et initier la phase de retour qui s'effectue par un vol planévol plané, au moyen de surfaces portantes additionnelles et un atterrissage à l'horizontale ».
Des solutions plus innovantes sont aussi à l'étude comme, et c'est un exemple, un « étage principal avec une propulsion aérobie », c'est-à-dire que la propulsion utilise pour le retour vers le pas de tir l'oxygène de l'airair pour alimenter la combustioncombustion. Un lanceur de ce type a comme principal intérêt que les « quantités d'oxygène à embarquer sont fortement réduites par rapport à un lanceur à propulsion chimique » et aussi qu'il « permet d'optimiser le profil de mission au prix, il est vrai, d'une complexité accrue ».
Ariane Next : à quoi ressemblera le successeur d’Ariane 6 ?
Article de Rémy Decourt paru le 21/02/2017
Alors que le premier vol du futur Ariane 6 est prévu en 2020, l'ESA et le Cnes travaillent déjà sur Ariane Next, un lanceur, ou plutôt une famille de lanceurs, qui prendra sa succession à l'horizon 2030. Ruptures technologiques, baisses des coûts, augmentation des rythmes de tirs... : plusieurs pistes sont explorées, comme nous l'explique Jean-Marc Astorg, le directeur des lanceurs au Cnes.
Ariane 6 n'a pas encore volé que déjà l'Agence spatiale européenne et le Cnes travaillent sur les évolutions de ce lanceur. Nom de code : Ariane Next. « Il ne désigne pas un futur lanceur mais toutes les initiatives autour desquelles nous travaillons avec nos partenaires, notamment Airbus SafranSafran LaunchersLaunchers », nous explique Jean-Marc Astorg, le directeur des lanceurs au Cnes. Et des idées pour imaginer le système de lancement chargé de succéder à Ariane 6, les ingénieurs du Cnes n'en manquent pas.
« Ariane Next pourrait marquer une rupture technologique et économique. » Une vraie différence par rapport à Ariane 6, dont la conception et le développement sont guidés par le souci de réduire les coûts de constructionconstruction et d'utilisation, ce qui explique pourquoi les choix architecturaux de ce lanceur sont moins centrés sur de nouvelles technologies que sur l'utilisation et l'adaptation de technologies existantes. Avec Ariane Next, le Cnes veut « réduire le coût d'un facteur deux, comme nous le faisons aujourd'hui avec Ariane 6 par rapport à Ariane 5 ». Il se donne comme objectif de réduire à « seulement cinq ans la duréedurée de développement de ce futur lanceur » et vise une entrée en service « dès le début de la décennie 2030 si le marché l'exige ».
Un lifting d'Ariane 6 serait-il suffisant ?
À quoi ressemblera ce futur lanceur ? Difficile d'apporter une réponse aujourd'hui en raison des incertitudes sur l'évolution future du marché des lancements de satellites ouverts à la concurrence et des satellites institutionnels et gouvernementaux. Deux hypothèses de travail sont sur la table. Un lanceur entièrement nouveau, « capable d'une cadence de lancement très élevée » ou bien une version modernisée et améliorée d'Ariane 6 « pour répondre à un besoin de surcroît de performance ».
Dans l'option basse, Ariane Next ne serait qu'une évolution. « Pour ces deux ou trois prochaines décennies, on estime que la famille Ariane 6 est suffisante pour répondre aux besoins des opérateurs de satellites et des États membres de l'Union européenne ». Un lifting d'Ariane 6, voire une version évoluée, suffiraient alors pour apporter une meilleure performance. Ce scénario envisage l'ajout de deux propulseurspropulseurs d'appoints à la version 64, « de façon à porter sa capacité de lancement à 13 tonnes en orbite de transfertorbite de transfert géostationnaire, contre 10,5 tonnes pour la version AR6-64 ». Le remplacement du moteur Vulcain 2.1 par le Prometheus ainsi qu'une version améliorée du Vinci, le moteur de l'étage supérieur d'Ariane 6, pour le rendre moins cher à produire, sont deux autres options à l'étude.
Cependant, si les constellationsconstellations de satellites venaient à se généraliser, le marché imposerait des solutions différentes. « Un nouveau lanceur sera nécessaire pour répondre à ce "boum" des lancements avec une cadence élevée et inédite de 50 tirs par an contre de plus ou moins 12 tirs chaque année depuis le Centre spatial guyanais. »
Le déploiement de constellations de satellites pourrait changer la donne ?
La constellation OneWeb et ses 900 satellites sont un cas d'école. Si Soyouz, commercialisé par Arianespace, a été choisi pour la presque totalité de son déploiement, ce n'est pas seulement pour la raison du coût. Du temps de l'ex-URSS, les Soviétiques réalisaient un lancement toutes les semaines. « Ils ont toute l'infrastructure industrielle et logistique qui permet de le faire et ni Ariane 5 ni Ariane 6 ne sont capables, en l'état, d'une telle cadence de lancement. » En apportant une certaine flexibilité sur le plan industriel et en s'inspirant de ce qui est déjà mis en œuvre pour Ariane 6, robotisation et travail à la chaîne, « Ariane 6 pourrait être capable de répondre aux besoins de lancement de nouvelles constellations mais aussi à des baisses de production si le marché commercial se contractait ».
Cela dit, cette incertitude sur l'avenir du marché des satellites n'empêche pas le Cnes de travailler sur « ce lanceur du futur qui sera au moins partiellement réutilisable ». Pour cela, l'organisme est engagé avec Airbus Safran Launchers dans la réalisation du moteur Prometheus. « Il sera réutilisable dix fois, reviendra moins cher que le moteur Vulcain d'Ariane et fera appel à la fabrication additive ». Ce moteur, d'une poussée d'environ 100 tonnes, fonctionnera « avec de l'oxygène liquide et un ergolergol à base d'hydrocarburehydrocarbure, très certainement du méthane ». Il s'agit d'un carburant différent du Vulcain d’Ariane 5 et d'Ariane 6 qui utilise oxygène et hydrogènehydrogène liquides. « Bien qu'il soit conçu pour voler cinq fois », Prometheus ne sera pas forcément récupéré après chaque lancement. « Seules les missions qui nous laisseront une marge de performance suffisante nous permettront de ramener au sol l'étage et le moteur ». L'objectif est de réaliser un prototype de Prometheus qui puisse être testé avant la fin de la décennie.
Mais cette future Ariane pourrait être aussi entièrement réutilisable. « C'est une réflexion en cours au Cnes. » L'idée est donc de réutiliser également l'étage supérieur. « Non pas en le faisant revenir au sol comme l'étage principal et Prometheus, mais en le stationnant en orbite basse afin de l'utiliser pour le transport de satellites jusqu'à l'orbite géostationnaireorbite géostationnaire. » Un scénario très innovant qui fera appel à de nouvelles technologies. « Trois aspects compliqués, liés à la question du carburant en orbite, sont déjà à considérer. » Pour que cet étage réalise plusieurs missions, c'est-à-dire de trois à cinq allers et retours, « il devra être ravitaillé en carburant, ce qui nécessite une solution de stockage ». Quant à l'intérêt et la viabilité économique de cette solution, « nous devrons tenir compte que ces trajets allers et retours vers un garagegarage en orbite basse coûtent aussi du carburant ».
Enfin, pour tester ces choix technologiques, le Cnes prévoit de réaliser un prototype de lanceur réutilisable haut d'une quinzaine de mètres. Baptisé CallistoCallisto, il s'apparentera au Grasshopper de SpaceX. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Ce qu’il faut
retenir
- Le Cnes et ArianeGroup travaillent à la préparation des futures générations de lanceurs européens.
- Ils ont créé ArianeWorks. Le but est d'identifier les besoins à l'horizon d'une dizaine d'années et d'être prêt pour y répondre.
- La réutilisabilité est une des voies explorées. Mais pas la seule.