Est-ce vrai que se faire craquer les doigts est mauvais pour la santé ? Alors là, je crois bien qu’il y a deux écoles : il y a ceux qui détestent ça, et qui vous diront « attention, ne fais pas ça, tu vas avoir de l’arthrose si tu continues ! », et ceux qui se font craquer les doigts sans cesse, et qui vous soutiendront que « non, ça ne fait rien, et d’ailleurs il y a même un gars qui s’est fait craquer les doigts d’une seule main toute sa vie et qui n’a pas eu de souci ! ». Faut se l’avouer, les deux sont convaincants. Alors voyons voir qui a raison.


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    Retrouvez le podcast à l'origine de cette retranscription dans Science ou Fiction. © Futura

    Comment ça marche ce craquement ?

    On ne dirait pas comme ça, mais c'est tout un mécanisme. Vos articulations, comme celles de vos doigts, puisqu'on parle de celles-ci dans notre cas, sont entourées d'un liquideliquide spécial appelé liquide synovialliquide synovial.

    Syno-quoi ? Synovial. S-Y-N-O-V-I-A-L. Il permet d'aider les articulations à bouger en douceur, en agissant comme une sorte de lubrifiantlubrifiant. Mais il n'y a pas que du liquide dans notre histoire. Dans ce liquide, il y a des gazgaz dissous : principalement de l'oxygène, de l'azoteazote et du dioxyde de carbonedioxyde de carbone. Une théorie explique que quand vous tirez ou pliez une articulation pour la faire craquer, vous augmentez l'espace à l'intérieur de l'articulation. Cette augmentation d'espace provoque une diminution de la pressionpression à l'intérieur de l'articulation. Logique : vous avez la même quantité de liquide et de gaz, mais dans un espace plus grand, donc, c'est moins comprimé.

    À cause de cette baisse de pression, les gaz dissous dans le liquide synovial se regroupent pour former des bulles qui éclatent rapidement. C'est ce qui produit le son, plus ou moins fort, caractéristique du craquement. Voyez ça un peu comme ce qui se passe quand on ouvre une bouteille de soda. Quand vous enlevez le bouchon, la pression réduit et le gaz dissous dans le soda forme des bulles qui éclatent dans un doux bruit pétillant. 

    Mais il existe une autre explication, cette fois, IRM à l'appui. Des scientifiques ont observé que la tension sur l'articulation, au moment du craquement, provoque la formation d'une cavité dans le liquide synovial. Apparemment, même après le son du craquement, la cavité persiste sur les images IRM. Cela signifierait que le processus du craquement articulaire est associé non pas à une explosion de bulles, mais plutôt à la création de cette cavité. Bon, et après ? Vous avez remarqué que normalement, on ne peut pas faire craquer deux fois de suite la même articulation, ça ne marche pas ! En fait, une fois que l'articulation a craqué, il faut un certain temps pour que la cavité disparaisse, et que les gaz se dissolvent à nouveau dans le liquide synovial.

    Faire craquer ses doigts, est-ce dangereux ? © zinkevych, Adobe Stock
    Faire craquer ses doigts, est-ce dangereux ? © zinkevych, Adobe Stock

    Alors, du coup, est-ce dangereux ?

    Eh bien, pas vraiment, a priori. On va faire un petit tour des études pour en savoir plus, mais vraisemblablement, faites-vous craquer les doigts si vous voulez, vous n'aurez pas plus de problèmes que ça. J'en parlais au début, vous connaissez sûrement l'histoire de Donald Unger. Ce médecin américain a mené une expérience sur lui-même sur une période de 60 ans. Il a fait craquer les doigts de sa main gauche au moins deux fois par jour tout en évitant de faire craquer ceux de sa main droite. Le résultat ? Après 60 ans, il n'a observé aucune différence significative entre ses deux mains, en matièrematière de développement d'arthrite ou autres problèmes articulaires. Donc, il n'y aurait pas de lien entre le craquement des doigts et le développement de l'arthrite.

    Oui, enfin, s'il est tout seul à faire l'expérience sur lui-même, ça ne permet pas franchement de tirer des conclusions, si ? Bien vu ! En science, on ne peut pas donner une conclusion définitive sur un résultat d'expérience qui n'a fait appel qu'à un seul individu témoin. Ce résultat pourrait simplement être le fruit du hasard ! Il aurait fallu plusieurs personnes dans l'expérience, certaines qui se font craquer les doigts des deux mains, ou seulement de la main droite, ou rien du tout. Là, avec un nombre convaincant d'individus, peut-être que l'on aurait pu conclure. Mais ce n'est pas le cas. D'ailleurs, bon, elle vaut ce qu'elle vaut son étude, mais ça lui a quand même valu un prix, et pas n'importe lequel ! Le prix Ig-Nobel de médecine, en 2009 ! Eh oui, vous connaissez sûrement le prix Nobel, mais peut-être pas le prix Ig-Nobel. Eh bien, c'est un jeu de mots sur « prix Nobel » et « ignoble ». Ce sont des récompenses parodiques du prix Nobel. Chaque année, dix recherches scientifiques, qui sont un peu farfelues mais qui amènent quand même à réfléchir, gagnent ce prix. Donc bon, cette année-là, c'était Donald Unger et ses craquements de doigts.

    Y a-t-il des études valides là-dessus ?

    Alors, oui. Dans les années 1990, une étude a examiné un groupe de 300 personnes âgées de 45 ans et plus, divisées en deux groupes : ceux qui faisaient craquer régulièrement leurs doigts et ceux qui ne le faisaient pas. L'étude a montré qu'il n'y avait aucune augmentation significative de l'arthrite chez les personnes qui faisaient craquer leurs doigts par rapport à celles qui ne le faisaient pas. Cependant, on pouvait tout de même noter un peu plus de gonflements des mains et une diminution de la force de préhension chez les personnes qui se faisaient craquer les doigts régulièrement. La préhension de la main, c'est notre capacité à saisir, tenir et manipuler des objets avec les doigts et la paume. Bref, conclusion de cette analyse : bien que le craquement des doigts ne semble pas causer d'arthrite, il pourrait être associé à d'autres légers effets secondaires, comme le gonflement des mains et une réduction de la force de préhension.

    En 2011, une autre étude a été faite, avec 215 radiographies de personnes âgées de 50 à 89 ans. Les résultats confirment qu'en effet, Donald Unger n'avait pas tort sur le fait que ceux qui se font craquer les doigts régulièrement n'ont pas plus d'arthrose que les autres. Mais cette étude confirme aussi que le craquement sur une période prolongée peut conduire à un gonflement des mains et que ça peut en effet réduire la force de préhension. Mais ce sont vraiment des effets vraiment mineurs et peu fréquents. C'est donc une habitude inoffensive, mais faites attention tout de même si vous êtes adeptes du craquement de doigts, ne vous faites pas mal, et n'infligez pas ça aux personnes qui ne supportent pas ce bruit !