Si vous étiez un bébé, comment entendriez-vous le monde qui vous entoure ? Dans le monde réel, nous sommes confrontés à une grande variété de bruits. Le cerveau d’un adulte intègre tous ces sons perçus, les sépare en localisant l’endroit d’où ils viennent. Enfin, le cerveau ne se centre que sur celui qu’il veut entendre. Mais les bébés ont-ils une manière différente de percevoir leur environnement sur le plan sonore ?
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Aujourd'hui, les chercheurs savent que les bébés naissent avec une audition qui fonctionne correctement et que la sensibilité aux sons et aux bruits s'améliore nettement pendant l'enfance. Cette amélioration continue jusqu'à l'âge de dix ans où l'audition de l'enfant devient comparable à celle d'un adulte.
Afin de comprendre encore mieux ce que les bébés entendent, Werner et Boike (2001) ont étudié le comportement de soixante-treize bébés âgés de sept à neuf mois et de quarante adultes âgés de dix-huit à trente ans. Tous ces participants avaient une audition normale. Ils ont été individuellement exposés pendant quatre demi-secondes à un bruit à spectrespectre large généré par ordinateurordinateur (1.000 hertzhertz) et à un autre son ressemblant à la tonalité du téléphone (1.000 hertz également) -- les fréquences de 1 000 hertz ou cycles/seconde (c/s), sont les fréquences qui sont utilisées au maximum lors de la parole. Dans cette expérience, la « tonalité » se rapproche davantage du son de la parole et à une bande passantebande passante moins large que le bruit de fond.
Parfois, ces sons étaient joués seuls. D'autres fois, ils étaient masqués avec un bruit de fond. Les sons ont été joués avec des niveaux de volumevolume différents pour voir si tous les sujets étaient capables de les détecter. Les participants entendaient les sons par le biais d'écouteurs placés dans l'oreille droite. L'ordinateur produisait les quatre types de stimulus de façon aléatoire, tantôt un son, tantôt l'autre, avec et sans bruit de fond. Les enfants étaient assis près de leur mère dans une cabine pendant qu'un chercheur maintenait l'enfant attentif en animant des jouets silencieux sur une table devant lui. Le chercheur et la mère portaient un casque de façon à éviter d'entendre les sons présentés au bébé. Un observateur placé en dehors de la cabine observait discrètement les enfants par une fenêtrefenêtre. Il notait si le bébé se tournait vers le bruit, changeait son niveau d'activité ou son expression faciale de façon importante ou encore s'il regardait sa mère quand le stimulus sonore était envoyé. Quant aux adultes, ils ont été testés sur un mode semblable mais seuls dans la cabine. Ils devaient soulever une main quand ils percevaient un bruit.
Les résultats ont montré qu'en moyenne, les bébés détectaient mieux le bruit que les tonalités. Concernant les épreuves masquées, la différence de détection entre bébé et adulte fut de quatorze décibels pour le bruit et de sept décibels pour la tonalité (voir figure ci-dessus). Avec les sons purs, la différence bébé/adulte était de dix décibels pour la tonalité et de cinq décibels pour le bruit. Les bébés ont plus de mal que les adultes à reconnaître le son de la tonalité lorsque celui-ci est noyé dans un bruit de fond. Les bébés ont donc tendance à entendre toutes les fréquences simultanément.
Une autre recherche a étudié la capacité des bébés à identifier leur prénom noyé dans un bruit de fond… (Newman, 2005)
Dans cette série d'expériences, des bébés de cinq, neuf et treize mois devaient écouter des prénoms (le leur et d'autres, non familiers) couverts par d'autres voix. Les bébés âgés de cinq et neuf mois n'ont perçu leur prénom que quand la voix qui le prononçait était de dix décibels plus forte que le bruit de fond. Par contre, ceux de treize mois réussirent cette tâche à cinq décibels de différence (l'échelle des décibels est logarithmique, trois décibels de plus correspondent à un doublement du niveau sonore, et 10 multiplient celui-ci par 10). Ainsi, la discrimination des sons mais également la capacité à repérer sélectivement une voix intéressante parmi d'autres voix sont des aptitudes qui se développent très progressivement...
Conclusion
L'environnement résonne différemment aux oreilles des bébés et aux oreilles des adultes. Le monde sonore est parfois une cacophonie de bruits dont il est bien difficile pour les plus petits de distinguer un bruit simple de tout autre. Il en est ainsi, les bébés sont des généralistes et entendent toutes les fréquences simultanément. Ne soyez donc pas surpris si votre chérubin répond à des bruits inattendus...
Nous, les adultes, avons une attention sélective portant habituellement sur une bande étroite de bruits. Ceci nous permet de nous concentrer sur une conversation en ignorant les bruits alentours. Même dans un environnement bruyant, des adultes peuvent comprendre encore une langue et reconnaître des sons. Par contre, les bébés emploient une approche différente. Ils semblent toujours être à l’écoute d'une bande large où toutes les fréquences résonnent simultanément. Pour des bébés, les bruits d'arrière-fonds sont plus présents que vous ne vous l'imaginez.
Selon les chercheurs, le bébé serait programmé comme cela depuis des milliers d'années. En effet, lorsque nos ancêtres courraient dans les grandes plaines du Serengeti d'Afrique orientale, il était capital d'entendre tous les bruits d'une nature hostile afin de repérer rapidement n'importe quel danger (bruissements de feuilles, sons sourds du pas d'un gros prédateur ou plus feutré d'un félinfélin, etc.). Les bébés pouvaient ainsi réagir à des bruits inattendus. Dans notre société moderne, cet avantage est devenu un inconvénient pour le bébé. Il leur faudra dix ans pour apprendre à ignorer ce bruit de fond et entendre finalement la même chose que les adultes qui ont appris à filtrer le bruit tonal du bruit de fond.
Ce qu’il faut retenir de ces expériences sur un plan pratique ?
...Et bien, éteignez votre télévision ou votre radio lorsque vous lisez une histoire à votre bébé ou lorsque vous vous adressez à lui, car il aura beaucoup de difficultés à distinguer votre voix dans cette cacophonie. De plus, comme une recherche récente a mis en évidence que les enfants d'un à trois ans qui passent plus de temps que les autres devant leur télévision sont également ceux qui auront le plus de difficulté attentionnelle à l'âge de sept ans, cela justifie encore le fait de limiter (sans proscrire complètement) ce média chez les plus petits...