Guespin-Michel est professeur émérite de microbiologie à l'université de Rouen. Ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure (Sèvres), elle a commencé ses recherches en génétiquegénétique bactérienne à l'Institut Pasteur, puis a participé à la création de l'institut de microbiologie et du DEA de microbiologie fondamentale à la faculté des sciences d'Orsay.
Nommée professeur à l'Université de Technologie de Compiègne elle a pu se confronter aux exigences de la microbiologie appliquée et cotoyer la microbiologie industrielle. Enfin, à l'Université de Rouen, elle a dirigé deux laboratoires, dont l'un, créé à l'IUT d'Evreux a dû, d'entrée de jeu se situer à la frontière entre plusieurs sous-disciplines de la microbiologie. Elle a été co-auteure de l'ouvrage "Procaryotic genetics: genome organisation, transfer and plasticity" Joset and Guespin-Michel, Blackwell science ed 1991.
Ayant pris sa retraite elle a pu profiter du temps libéré pour s'initier à la dynamique des systèmes non linéaires, chez le professeur René Thomas, à Bruxelles, et au travail interdisciplinaire tant avec des physiciensphysiciens et des informaticiens dans le cadre de l'atelirr d'épîgénomique du génopôle d'Evry, qu'avec des philosophes (elle a coordonné l'ouvrage "émergenceémergence, complexité et dialectique" Lucien Sève et al. Ed Odile Jacob 2005), et a rencontré le philosophe des sciences Hugh Lacey suite à un travail de groupe ayant conduit à la publication du livre "Le vivant entre science et marché : une démocratie à inventer" (ed Syllepse/espaces Marx 2006).
L'ouvrage "Les bactériesbactéries, leur monde et nous" ( ed Dunod 2011) représente en quelque sorte une synthèse de ces diverses expériences.
Une journée d'enseignant-chercheur en microbiologie Ce qui caractérise la journée des chercheurs et des enseignants-chercheurs en biologie, c'est qu'il n'y a aucune routine. Certes, les cours sont donnés à heure fixe. Mais, en ce qui concerne la recherche, aucune journée ne ressemble à l'autre. Les tâches sont multiples. Il faut lire ce que les autres chercheurs du domaine ont publié, il faut préparer une expérience : poser la question à laquelle l'expérience doit répondre. Quelquefois c'est facile, c'est presque de la routine, d'autres fois il faut faire des hypothèses novatrices. Ensuite on doit imaginer l'expérience, la préparer, la réaliser, puis lire les résultats et enfin les interpréter. Et dans tout cela, il y a une part évidente d'imprévu, car si on ne cherche que ce que l'on connaît d'avance...ce n'est plus de la recherche ! Les médias montrent constamment des chercheurs soit en train de remplir de petits récipients (les tubes eppendorf pour les intimes) avec des pipettes spéciales, soir regardant dans un microscope ! Certes, c'est photogénique, mais ça ne représente (heureusement) qu'une infime partie de la journée du chercheur en microbiologie !
Il arrive, de temps en temps, un très grand bonheur dans la vie des chercheurs, lorsqu'une expérience confirme une hypothèse originale. C'est un bonheur intense, qui illumine toute la carrière. Mais là ne s'arrête pas le travail, il faut ensuite rédiger une publication pour mettre la communauté internationale au courant de ses travaux. Cette rédaction se fera en anglais, et il faudra ensuite trouver la revue qui va l'accepter, puis, souvent faire quelques corrections suggérées par le reviewer.
Voilà encore une tâche bénévole, souvent intéressante, être reviewer, relire une publication soumise à une revue. Ou participer à des commissions qui vont recruter de jeunes chercheurs ou promouvoir des chercheurs plus chevronnés. Et il y a aussi la participation à des congrès, où l'on présente ses travaux, et où l'on se tient au courant des dernières nouvelles de la discipline.
Quant à l'enseignement, c'est encore un moment privilégié, où l'on confronte ce que l'on sait à des étudiants, où il s'agit de les intéresser, de les motiver, et de leur donner les connaissances au plus près de leur émergence (même s'il y a aussi des moments moins agréables, comme la correction des copies d'examen...).
Mais depuis une dizaine d'années, une nouvelle tâche est en trains de dévorer progressivement tout le temps des chercheurs. Elle se développe comme un cancer, et risque, si on n'arrive pas à s'en guérir, de tuer la recherche, comme un cancer, vraiment. C'est la recherche des crédits pour pouvoir faire de la recherche. Dossiers de réponses à des appels d'offres de plus en plus contraignants, difficiles à remplir et nombreux car le pourcentage de réussite est peu élevé, tant la concurrence est forte, (et souvent absurde, car on demande des prédictions, par exemple, - qu'aurez vous trouvé dans 6 mois? - en totale contradiction avec la manière même dont une recherche progresse ) ; rapports sur la manière dont on a dépensé les crédits de plus en plus tatillons, évaluations... Plus on est expérimenté en recherche, plus on doit y perdre son temps. C'est un gâchis monumental de temps et de capacités. La recherche proprement dite est alors de plus en plus souvent réalisée par de jeunes chercheurs au statut précaire qui ne peuvent pas se permettre de faire des hypothèses audacieuses, ou des recherches difficiles, et qui, dès qu'ils ont acquis quelque expérience doivent changer de laboratoire (celui-ci perd alors leur savoir faire) quand ils ne sont pas, pire encore, éjectés de la recherche.
La première tâche des jeunes générations, je l'espère, sera de guérir la recherche de cette calamité.