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La chute inévitable de la tartine du côté beurré est une constatation faite par chacun de nous dans son quotidien. Le scientifique Robert Matthews a quant à lui décidé d'en faire son sujet d'étude... et a obtenu pour cela le prix Ig Nobel de physique.
« Nous avons étudié la dynamique d'une tartine tombant d'une table pour s'écraser au sol. Selon l'opinion populaire, cela se termine toujours sur le côté beurré du toast [...]. Cependant, du simple point de vue statistique, ce phénomène, par essence soumis au hasard, devrait conduire à un partage 50/50 entre les deux éventualités. Or, nous démontrons ici que les tartines, sous l'emprise d'un grand nombre de facteurs, ont effectivement tendance à tomber sur leur côté beurré. En outre, nous démontrons in fine que ces résultats sont imputables aux valeurs des grandes constantes fondamentales de l'Univers. » (Extrait du mémoire de Robert Matthews)
La chute de la tartine beurrée, une vieille blague qui vient de loin
Déjà, en 1844, le poète et satiriste anglais James Payn notait :
« Je n'ai jamais connu de tartine,
Particulièrement généreuse et effilée,
Qui ne finisse par choir, mutine
Et toujours sur son côté beurré »
Mais il fallut attendre 1995 pour que Robert Matthews, de l'université d'Aston (Grande-Bretagne) se lance dans l'étude mathématique du mystère de la tartine beurrée. Et il en sortit une drôle de révélation...
La chute de la tartine beurrée étudiée par Robert Matthews
Robert Matthews est un physicienphysicien éminent, membre de la Royal Astronomical Society et de la Royal Statistical Society. C'est aussi un fan de la loi de Murphy (1).
Aussi a-t-il pris très au sérieux le mystère de la tartine. Dans ce problème, de multiples facteurs sont à considérer. Robert Matthews commença donc par détruire une idée reçue, trop souvent répandue :
« On croit généralement que ce phénomène résulte d'une asymétrie physique, du fait du beurre pesant sur un seul côté de la tartine. Or, cette explication se révèle erronée. Le poids du beurre (de l'ordre de 4 grammes) est trop faible par rapport à la masse d'une tranche de pain ordinaire (de l'ordre de 35 g). De plus, le corps gras, finement réparti, s'incorpore progressivement dans la texturetexture du toast. Il constitue donc un apport négligeable [...] sans effet sur la dynamique de la rotation de l'ensemble. »
Ceci posé, Matthews développe alors en cinq pages de calculs serrés, l'analyse du comportement du côté 2A d'une lame rectangulaire rigide, rugueuse et de constitution homogène, de masse M, tombant d'une plateforme stable, située à une hauteur H au-dessus du niveau du sol. Considérant la dynamique de ce corps depuis son état initial, lorsque son centre de gravité se situe à une distance DeltaDelta au-dessus de la table, il analyse ensuite impitoyablement toutes les étapes de la périlleuse odyssée de la tartine, jusqu'à son atterrissage et au repos final, quand sa hauteur H devient égale à zéro.
Ce travail débouche en conclusion sur quelques aperçus époustouflants : « On constate que notre formule ultime contient trois des constantes fondamentales de l'univers ». Pour information, la première détermine la force des liaisons au sein de l'atome. La deuxième explique la force exercée par la pesanteur. Et enfin, la dernière régit la taille des atomes qui constituent le corps humain. « Or, les valeurs exactes de ces trois constantes fondamentales ont été fixées comme inhérentes à la structure-même de l'univers, juste quelques nanosecondes après le Big Bang. En d'autres termes, les tartines qui tombent de la table du petit-déjeuner, s'écrasent à terre sur leur face beurrée, uniquement parce que l'univers est ainsi conçu. »
À l'évidence, une telle conclusion ne mit nullement fin à la controverse. D'ailleurs la loi de Murphy s'y opposerait (2). À la suite de la publication du texte de Matthews, une foule de chercheurs se jetèrent avidement dans l'arènearène. Après avoir ergoté sur les valeurs paramétriques et le calcul des variationscalcul des variations, ils voulurent le chicaner sur sa méthodologie. Mais rien à faire ! Matthews a établi un classique du genre, un modèle incontournable auquel tous les chercheurs, jusqu'à la fin des temps, sont désormais confrontés.
Et le prix Ig Nobel de physique est attribué à...
Pour avoir ajouté une épaisse couche de mathématiques au maigre dépôt de beurre enduisant la tartine, Robert Matthews a été honoré du prix Ig Nobel 1996 de physique.
Dans l'incapacité de venir assister à la cérémonie de remise, le lauréat a tenu néanmoins à nous faire parvenir le texte enregistré de son discours. Fidèle à la loi de Murphy, cette vidéo nous parvint d'ailleurs quatre jours après la cérémonie... Voici ce que le docteur Matthews y déclarait :
« Je vous remercie sincèrement de cette récompense. Étant sans doute un des individus les plus pessimistes du monde, ma démonstration que la loi de Murphy ("S'il y a une possibilité que cela tourne mal, cela tournera mal"), fait partie intégrante du plan même de l'univers, m'a apporté, un plaisir immense. Tout comme ce prix Ig Nobel, d'ailleurs. »
Après cet honneur, Robert Matthews persévéra dans ses travaux, impliquant aussi bien les sujets couverts par la Loi de Murphy, qu'un certain nombre d'autres problèmes pratiques en dehors du champ de cette loi :
- Pourquoi nos commodes sont-elles toujours pleines de chaussettes dépareillées ?
- Pourquoi les cordes et les ficelles ont-elles si souvent tendance à faire des nœudsnœuds ?
- Pourquoi, quand on cherche un site sur une carte, va-t-il toujours se cacher dans l'endroit le plus inattendu ?
- Lorsque la météométéo a prévu des averses, faut-il ou non prendre un parapluie ?
- Devant les queues qui s'allongent aux caisses du supermarché, faut-il ou non changer de file ?
À toutes ces questions, Robert Matthews s'est toujours attaqué énergiquement et frontalement, armé de ses splendides outils mathématiques.
Après la théorie, la pratique !
En 2001, il revint à nouveau au problème de la tartine beurrée. Comme il avait déjà résolu l'énigme sur le papier, il décida d'en chercher désormais la confirmation dans les faits. Il se lança donc dans une vaste expérience :
« Une bonne centaine d'écoliers (70 % de primaires et 30 % de secondaires), ont été recrutés à travers tout le Royaume-Uni pour mener à bien trois séries d'expériences qui ont permis de réaliser globalement 21.000 lancers de tartine. Certaines écoles se sont dévouées à cette tâche de manière extraordinaire. 22 établissements ont réalisé plus de 100 lancers, 10 en ont exécuté un minimum de 400, et deux ont même dépassé le score des 1.000 lancers. Nous avons ainsi pu observer les résultats suivants :
Sur un total de 9.821 lancers, nous avons relevé 6.101 atterrissages sur le côté beurré, soit un taux de 62 %, supérieur donc de 12 % au résultat moyen de 50 % auquel on aurait pu s'attendre si, comme de nombreux scientifiques le prétendent, les tartines obéissaient aux lois du hasard et avaient autant de chance de tomber sur un côté que sur l'autre. »
Grâce à cela, Robert Matthews a définitivement et doublement démontré, tant sur le théorique qu'expérimental, que la nature a effectivement horreur du vide d'un parquetparquet fraîchement nettoyé !
Notes :
- Théorie plus humoristique que scientifique se résumant grosso modo à cet adage : « S'il y a une possibilité que quelque chose foire, alors il foirera ». Selon la légende, cette constatation pleine de vérité proviendrait d'un certain Edward Murphy, scientifique qui travaillait dans les années 1940 pour l'US AirAir Force et avait la fâcheuse habitude de faire capoter toutes ses expériences. (NdT)
- « La loi de Murphy se vérifie toujours, sauf quand on cherche à la vérifier. » (NdT)