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Vincent des PortesPortes est professeur à la faculté de médecine de Lyon Sud Ouest (université Lyon 1) et chef de service de neuropédiatrie au CHU de Lyon. Il coordonne le Centre de référence X fragile et autres déficiences intellectuelles liées au chromosomechromosome X (DILX) à Lyon. Il répond aux questions de Futura-Sciences sur le syndromesyndrome de l'X fragile.
Essais thérapeutiques. © Triff, Shutterstock
Vincent des Portes nous en dit plus sur le syndrome de l'X fragile. © DR
Futura-Sciences : Qu'est-ce que le centre de référence X fragile et autres DILX ? Quel est son rôle ?
Vincent des Portes : Le centre de référence X fragile et autres DILX est un centre de référence national labellisé en 2005 « déficiences intellectuelles de cause rare » pour l'X fragile et les autres retards mentaux liés au chromosome X. Il a été labellisé sur cette thématique, mais le ministère nous a demandé d'élargir à toutes les causes rares de déficience intellectuelle. Nous avons mis en place un réseau national avec l'équipe du Dr Héron de la Pitié Salpétrière et huit centres de compétence : défiScience. Notre centre a une mission de soins, de formation-information et de recherche.
Quel est votre rôle clinique pour les patients atteints du syndrome de l'X fragile ?
VdP : Le handicap des patients atteints du syndrome de l'X fragile provient de l'interaction entre une vulnérabilité génétiquegénétique et de l'environnement, qui peut être soit un obstacle soit facilitateur. La déficience intellectuelle n'est pas qu'un problème médical mais un problème d'adaptation à l'environnement. Concernant les soins, nous sommes un centre de compétence local et régional pour l'X fragile et les autres pathologiespathologies liées au chromosome X. Tout d'abord, notre rôle est de poser le diagnosticdiagnostic de déficience intellectuelle, qui est dû à un trouble global du raisonnement. Des milliers de causes sont possibles pour expliquer cette déficience intellectuelle. Le syndrome de l'X fragile est la cause la plus fréquente de déficience intellectuelle héréditaire et nous devons faire connaître cette cause, encore méconnue de certains professionnels. Ensuite, nous assurons le suivi des patients en mettant en place un réseau de soins, avec des partenaires médicaux : médecins généralistes, ORL, orthopédistes, dentistes... Nous travaillons aussi en lien avec l'éducation nationale et le secteur médicosocial. Nous apportons un regard génétique et neurologique sur ces patients.
Quel est votre rôle en matière de formation et d'information des publics ?
VdP : Nous intervenons dans la formation initiale et continue des professionnels qui prennent en charge les enfants et les adultes handicapés mentaux. Dans ce but, nous avons créé en 2009 un Diplôme inter universitaire (DIUDIU) national « déficience intellectuelle / handicap mental », qui aborde, de manière interdisciplinaire, tous les aspects de ce handicap, de la naissance au grand âge et de la personne polyhandicapée à celle déficiente légère. Nous informons aussi le public et les familles, en travaillant avec trois associations de parents. Deux de ces associations sont dédiées à l'X fragile (le Goéland et Mosaïques) et une association est spécialisée dans les syndromes liés à l'X à l'exception de l'X fragile : Xtraordinaire. Il existe un partenariat entre notre centre de référence et ces associations qui sensibilisent les familles à la recherche.
Quelles sont les grandes pistes de recherche concernant la déficience intellectuelle ?
VdP : Un des aspects est l'identification de nouveaux gènesgènes car un handicap mental sur deux chez l'enfant n'a pas de cause connue ! Notre centre n'a pas cette vocation génétique, même si j'ai travaillé pendant 3 ans en génétique moléculaire dans le laboratoire d'Axel KahnAxel Kahn à Cochin avec Jamel Chelly. Notre centre de référence a une vocation clinique : une fois que le gène responsable est connu, nous cherchons à comprendre la clinique de la maladie. Les familles ont parfois des difficultés à comprendre que la description de la maladie et de ses risques de complications fait partie du travail de recherche, mais il faut décrire la maladie avant de la traiter ! La génétique nous fait découvrir des maladies inconnues : une fois que le gène est identifié, nous réunissons les patients qui ont une anomalieanomalie dans le même gène et cherchons à comprendre d'où vient leur incapacité à raisonner. En fonction des syndromes, les capacités préservées ou déficitaires ne sont pas les mêmes. Les personnes déficientes peuvent rencontrer des problèmes de concentration, de mémoire de travailmémoire de travail, des difficultés à inhiber leur réponse (c'est-à-dire à « savoir tourner sa langue dans sa bouche avant de parler », signe d'une capacité à réfléchir avant de répondre)... Nous identifions des profils différents auxquels correspondent des rééducations différentes.
Quels outils utilisez-vous pour vos travaux ?
VdP : Pour savoir pourquoi ces patients n'arrivent pas à apprendre, nous utilisons des outils développés dans le laboratoire « Langage, cerveaucerveau, cognitioncognition » (L2C2) à l'institut des Sciences cognitivesSciences cognitives de Bron : Aurore Curie, médecin doctorante dans le laboratoire a mis au point des tests de raisonnement visuel sur ordinateurordinateur, analysés avec des capteurscapteurs de regard pour reconstituer les stratégies cognitives du patient selon que son regard se porte directement sur les réponses « sans réfléchir » ou bien s'attarde d'abord sur les images pour en déduire une hypothèse. Nous réalisons aussi des IRMIRM cérébrales morphologiques, pour décrypter les structures cérébrales et les réseaux neuronaux en cause... mais aussi des IRM fonctionnellesIRM fonctionnelles pendant lesquelles le sujet réalise une tâche intellectuelle : ces techniques permettent de savoir si les patients arrivent à réfléchir et à émettre des hypothèses et si les régions du cerveau sont activées comme chez les personnes contrôles. C'est une recherche difficile à monter car nous faisons des IRM sans endormir les patients et nous les faisons travailler pendant vingt minutes sans bouger la tête ! Ces patients sont vulnérables, très sensibles aux distractions et à l'échec. Il faut donc les entraîner, ce qui prend une grande partie de leur énergie, dans une « fausse IRM », fabriquée spécifiquement pour les personnes handicapées et les enfants en bas âge. Cette performance est réalisée dans une plateforme de recherche, le CognitoScope, qui est développé au sein de l'institut des Sciences cognitives de Bron, en lien avec le CICCIC (Centre d'investigation clinique) des Hospices civils de Lyon. Les patients viennent aussi au CognistoScope pour participer à des essais cliniques qui évaluent l'efficacité de nouveaux médicaments sur leurs capacités d'apprentissage et leurs troubles du comportement.
Quel est le phénomène moléculaire responsable du syndrome de l'X fragile ?
VdP : Les patients atteints du syndrome de l'X fragile sont des personnes avec des difficultés à raisonner et débordées par leurs émotions, avec des manifestations proches de l'autismeautisme : cris, automutilations, comportements répétitifs... Leur anxiété est due à une mauvaise gestion de leurs émotions. Le mécanisme génétique de l'X fragile est connu depuis 1991. Des chercheurs qui travaillent sur des modèles animaux de l'X fragile ont observé chez la souris des comportements du même type que chez l'Homme. Ce comportement est dû, entre autres, à un excès de réponse au glutamateglutamate qui est une molécule importante dans l'apprentissage. Il y a des synapsessynapses au glutamate dans l'hippocampehippocampe, le cerveletcervelet. La protéineprotéine FMRP qui n'est pas fabriquée chez les individus souffrant de l'X fragile, parce que son gène est bloqué, sert à diminuer la réponse au glutamate. Si elle est absente, il existe une hyperexcitation des synapses au glutamate. Ceci a été montré chez la souris par différentes approches pharmacologiques et par des techniques de souris transgéniquestransgéniques : des souris X fragiles, donc sans protéine FMRP, ont été croisées avec des souris qui n'expriment que 50 % des récepteurs au glutamate. Les souris issues de ce croisement ont des comportements proches de souris normales !
Quels essais thérapeutiques ont été réalisés et quels sont leurs résultats ?
VdP : Les résultats des recherches sur la souris ont permis à des laboratoires pharmaceutiques de se lancer dans des essais thérapeutiquesessais thérapeutiques avec des antagonistes du glutamate chez l'Homme. Le premier essai, auquel nous avons participé, s'est déroulé en 2008 et ses résultats publiés dans Science Translational Medicine (Jacquemont S, Curie A et coll, 2011). Cette étude pilote a été très encourageante. Une nouvelle étude avec 160 sujets dans vingt centres est en cours, avec des adultes et une autre avec des jeunes de 12 à 17 ans. L'objectif est de corriger le syndrome au plus tôt mais il faut rester très prudent, à fortiori chez le jeune enfant, chez qui les études n'ont pas débuté. Nous assistons donc à l'arrivée de la pharmacologie dans le champ du handicap mental. Auparavant, nous traitions les malades, « symptômesymptôme par symptôme », par exemple avec un médicament pour l'épilepsieépilepsie, un pour les troubles du sommeiltroubles du sommeil, etc. Maintenant, comme nous commençons à mieux connaître la maladie et la molécule qui fait défaut, nous travaillons sur des médicaments ciblés sur la maladie : c'est nouveau ! Nous avançons à tâtons mais l'effet thérapeutique attendu est non négligeable. Mais il ne faut pas oublier, comme nous l'évoquions au début, que le handicap résulte d'une interaction entre la vulnérabilité génétique d'une personne et son environnement. C'est pourquoi, si l'on dispose un jour de médicaments qui accroissent les capacités d'apprentissage des enfants X fragiles, il faudra d'autant plus accompagner ces compétences nouvelles par un projet éducatif et un suivi psychologique cohérents.