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    Pour comprendre la musicalité humaine, il faut se tourner vers les animaux, qui eux, n'ont pas de musique (ne tombez pas dans le piège anthropocentrique qui voit de la musique dans le règne animal). Ont-ils quelques-unes des aptitudes que nous qualifions de musicales ? Apprécient-ils les sons que nous produisons ? Cela pourrait nous aider à comprendre pourquoi notre espèceespèce a produit la musique, pourquoi elle la trouve aussi agréable et quand elle a commencé à la produire.

    Des expériences sur des singes, ici un tamarin, ont été réalisées pour évaluer leur goût pour la musique. © Anne Sarthou, Flickr, CC by-nc 2.0
    Des expériences sur des singes, ici un tamarin, ont été réalisées pour évaluer leur goût pour la musique. © Anne Sarthou, Flickr, CC by-nc 2.0

    Ce que nous cherchons est un caractère homologue à notre musique : un caractère qui dérive du même ancêtre, et qui nous permettrait d'établir, par exemple, que la musique est née il y a environ 10 millions d'années, quand nous habitions encore sous les arbresarbres. C'est pour cela que des chercheurs américains demandent aux singes de leurs laboratoires d'écouter de la musique contre un morceau de bananebanane. Or, si les singes pouvaient reconnaître les sons et apprécier les mêmes combinaisons que nous, on pourrait conclure que ces aptitudes remontent à une période précédant la séparationséparation de notre arbre généalogique du leur, survenue il y a environ 7 millions d'années.

    Cependant, ce qui nous intéresse vraiment, c'est de comprendre les goûts musicaux des singes, s'ils apprécient davantage certaines combinaisons de sons par rapport à d'autres, ou si en revanche pour eux la musique est un stimulus acoustique sans aucun contenu émotionnel.

    Si les autres primatesprimates n'étaient pas capables de profiter d'un beau CDCD, nous pourrions conclure que la capacité de reconnaître un son aigu par rapport à un son grave ou une octave par rapport à un autre intervalle n'a pas évolué expressément pour la musique. Ainsi, nous aurions donné un mauvais coup aux théories adaptatives expliquant notre passion pour les chansons et les concerts. Il y a peu d'expériences vraiment concluantes sur la question, les plus importantes sont celles menées par Marc Hauser et Josh McDermott.

    Une expérience pour évaluer la sensibilité musicale des singes

    Les deux scientifiques ont mené une expérience sur des tamarinstamarins pinchés, des singes du Nouveau Monde dont l'arbre évolutif s'est séparé du nôtre il y a quarante millions d'années.

    Un par un, ils les ont fait rentrer dans une cage en forme de V. Au fond de chaque bras de la cage, un haut-parleur émettait un son différent : d'un côté un intervalle consonant, et de l'autre un intervalle dissonant. Les haut-parleurs n'entraient en fonction que lorsqu'un singe prenait position sur l'une des deux branches, de telle sorte que le choix de l'intervalle entendu lui appartienne.

    Le but de l'expérience était de savoir si les tamarins ont une préférence pour l'un des deux intervalles, en comparant le temps passé dans chacune des deux zones de la cage en V. Le temps passé dans une zone par le singe avait été retenu comme indice de satisfaction après une petite expérience préliminaire, durant laquelle on avait constaté que les singes préféraient s'installer dans la zone émettant des sons agréables, comme des bruits de singes grignotant de la nourriture, plutôt que dans la partie où l'on transmettait des rumeurs antipathiques, comme des cris de singes épouvantés. Mais lorsqu'on substitua aux bruits de singes de la musique, les tamarins ne firent pas montre de préférences aussi marquées : les intervalles consonants ou dissonants présentaient pour eux exactement le même attrait.

    Une expérience comparative sur des humains

    Une expérience similaire, menée sur des êtres humains, a démontré la diversité radicale des goûts des deux espèces. L'on prend un groupe de personnes normales - « autant que peuvent l'être des étudiants du MIT » - et on les introduit un par un dans une pièce carrée, avec deux haut-parleurs cachés. Évidemment, on ne doit pas expliquer aux participants la nature de l'expérience, sous peine d'influencer les sujets dans leur choix.

    Puis l'on fait en sorte d'actionner, de façon alternée, l'un des deux haut-parleurs selon la position qu'adopte le sujet dans la pièce : d'un côté d'une ligne imaginaire se déclenche l'intervalle consonant ; de l'autre, l'intervalle dissonant. Tout comme les singes dans la cage en forme de V, le cobaye humain peut choisir lequel des deux intervalles écouter. Et McDermott de conclure que dans plus de 90 % des cas, ses étudiants du MIT ont pris position du côté de l'intervalle consonant.

    Les expériences sur la musique ont été réalisées avec des singes et avec des humains. © trouveztout.org
    Les expériences sur la musique ont été réalisées avec des singes et avec des humains. © trouveztout.org

    La familiarité avec la musique, un facteur important ?

    On pourrait objecter qu'à la différence des étudiants du MIT, les tamarins pinchés n'avaient de familiarité avec aucune sorte de musique, et ne pouvaient donc pas avoir élaboré une quelconque préférence au cours de leur vie. Si la préférence pour la consonance chez l'Homme est une donnée acquise et non innée, et si les tamarins partagent les goûts de l'homme, cette expérience pourrait bien manquer son but.

    Pour faire place nette de cette possible équivoque, McDermott a exposé un groupe de singes à des sons consonants, plusieurs heures par jour pendant quatre mois. Puis il les a introduits dans la fameuse cage en V : le résultat n'a pas changé. Ce qui prouverait que le manque de familiarisation avec la musique ne conditionne pas l'absence de préférence pour les consonances chez les primates non humains. McDermott, qui se demandait si le test n'était pas un peu trop subtil, ou bien encore si un facteur systématique non repéré ne perturbait pas l'épreuve (l'instrument musical qui produisait les deux intervalles aurait pu par exemple s'avérer particulièrement insignifiant aux oreilles des tamarins), a répété l'expérience sur les singes en exaspérant la différence entre les sons présentés.

    Il a pris ses tamarins, les a mis de nouveau dans la cage en forme de V et un haut-parleur a diffusé un des bruits pour nous les plus désagréables qu'il soit dans l'absolu : celui d'une fourchette qui racle un morceau de verre. Une fois encore, placés devant l'alternative de ce son et d'un intervalle musical quelconque, les singes se sont montrés insensibles à l'horrible grincement. Ils ont choisi de s'installer un peu à droite et un peu à gauche.

    McDermott est alors passé à l'artillerie lourde. Il a décidé de mettre à l'épreuve deux types de musique selon lui les plus éloignés possible : une douce berceuse et un morceau de musique électronique allemande, assourdissant. Les singes ont enfin pris position en faveur de la berceuse.

    Ils choisirent le silence...

    Toutefois, cela n'impliquait pas le moins du monde une préférence pour un stylestyle musical. En effet, lorsque le chercheur américain répéta encore une fois l'expérience en proposant aux tamarins le choix entre la berceuse et le silence, il obtint un résultat tout aussi éloquent : les singes choisirent le silence.

    Les singes préfèrent le silence ! © Google, ClickOnMyLinks
    Les singes préfèrent le silence ! © Google, ClickOnMyLinks

    Selon Hauser et McDermott, les singes ne présentent pas de préférences musicales différentes des nôtres ou des goûts très définis : ils n'aiment pas les rythmes énervants et les volumes sonores élevés, voilà tout.

    On arrive à ces conclusions en utilisant de nouveau la cage en forme de V pour obliger les singes à choisir entre une sonnettesonnette qui émet des bips-bips à un rythme rapide et une autre qui diffuse le même son, mais à un rythme plus lent. « Si on les force à choisir, ils préfèrent les rythmes lents. Mais l'impression dominante est qu'ils n'aiment pas vraiment la musique », affirme McDermott.

    Il faut toutefois préciser que les tamarins ne nous ressemblent pas beaucoup : ce sont des singes gracieux pourvus d'une longue queue soyeuse, plus ou moins de la taille d'un chat. Ils ne sont pas non plus très proches de nous du point de vue de l'évolution. Pour s'assurer que la capacité d'apprécier la musique est née avec l'Homme, il faudrait répéter l'expérience sur des chimpanzés et des bonobos, les deux espèces de singes anthropomorphes les plus proches de nous, dont nous partageons 98 % de l'ADNADN, à tel point que pour certains, ils devraient être admis au club exclusif du genre HomoHomo.

    En outre, les études sur les tamarins sont les toutes premières portant sur des primates non humains, il n'existe donc pas encore d'éléments de comparaison, et personne jusqu'à présent n'a contesté ces résultats de façon scientifiquement valide. Pour le moment, selon McDermott, nous pouvons seulement dire que : « Le plaisir qui nous pousse à produire et à écouter de la musique semble être une caractéristique exclusivement humaine. Il n'est pas évident de savoir si les animaux qui produisent de la musique - comme les passereaux et les baleines - éprouvent ce faisant du plaisir, mais il est facile d'observer qu'un oiseauoiseau privé de la possibilité de chanter serait gravement handicapé d'un point de vue social, ce qui ne serait pas le cas d'un être humain. »