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L'homme stérile
Jadis, l'homme qui ne pouvait procréer n'avait que la ressource, pour donner des enfants à son couple, de choisir l'adoption. Celle-ci donnait au moins accès à l'une des deux formes de filiation qui coexistent chez l'homme, la filiation par le coeur, par l'esprit, par le désir d'accueillir et d'aimer.
Dans les familles habituelles, cette forme est associée à la filiation du sang, mais elle peut s'autonomiser, et un tel choix est alors, autant qu'on le sache, l'apanage de l'espèceespèce humaine. Après guerre, l'insémination de la compagne avec du spermesperme de donneur offrît une nouvelle possibilité aux couples, quoiqu'elle exigeât également de la part du père le deuil des liens du sang avec ses enfants. Puis, après les premières naissances des bébés éprouvetteséprouvettes dans des cas d'infécondité féminine (Louise Brown en Angleterre, Amandine en France), des méthodes de plus en plus sophistiquées se développèrent permettant de repousser toujours les limites de la stérilité masculine. Des spermes trop pauvres furent concentrés, des spermatozoïdesspermatozoïdes rarissimes furent directement injectés dans l'ovuleovule, des gamètesgamètes immatures furent même prélevés dans le testiculetesticule afin de tenter, malgré tout, d' assurer à certains hommes stériles une filiation biologique.
Ce recours à des techniques de plus en plus incertaines, voire de plus en plus risquées, pour permettre malgré tout à des pères de procréer a parfois été assimilé à un véritable acharnement procréatique. Comment l'expliquer, alors même que la spécificité de l'affectivité humaine rend plausible la plénitude d'une filiation qui, dénuée de tous liens biologiques, repose entièrement sur le choix, le cour et l'esprit ? Il n'y a pas de réponse univoque à cette question, mais le fait est qu'un nombre croissant d'hommes ne peut aujourd' hui envisager l'idée de ne point transmettre leurs gènesgènes à leurs enfants.
Une des causes possibles de cette évolution est la sujétion croissante du public, consciemment ou inconsciemment, aux thèses de la sociobiologie. Ces dernières constituent une version extrême et fortement idéologisée de la synthèse entre le darwinismedarwinisme et la génétiquegénétique appelée théorie synthétique de l'évolution ou néodarwinisme. Selon cette synthèse, le but des stratégies sexuelles de tous les êtres vivants, les plantes à fleurs, les hannetons aussi bien que les primatesprimates, est d'optimiser les chances pour un individu de transmettre ses gènes à une descendance nombreuse. Dans la lecture radicale de Richard Dawkins, la sélection naturellesélection naturelle n'intervient même plus entre des individus plus ou moins programmés par leurs gènes, mais entre les gènes égoïstes eux-mêmes développant, en quelque sorte, des stratégies de nature à assurer leur transmission et leur diffusion. L'application peu nuancée de ces principes aux comportements individuels et sociaux de l'homme sera vivement contestée. On pourrait penser que les excès du réductionnisme socio-biologique appliqué à la culture et la sexualité humaine avaient abouti à leur très large disqualification. On assiste au contraire à leur diffusion.
Par ailleurs, la transmission des valeurs morales et intellectuelles semble perdre tout son attrait dès lors que celles-ci sont très largement partagées à l' heure de la mondialisation culturelle ou du repli communautaire, perdant toute spécificité individuelle. De plus, on a pris l'habitude de parler du patrimoine génétique. Or, en l'absence de toute crédibilité du patrimoine culturel, ce dernier n'est-il pas la seule chose qu'un père puisse transmettre à ses enfants, avec son patrimoine mobilier et immobilier ? En d'autres termes, l'idéologie du « tout biologique », répondant par ses excès à celle du « tout psychique » qui l'a souvent précédée, ne disqualifie-t-elle pas l'idée même de la réalité d'une paternité qui ne serait pas biologique ?