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Les altérations du darwinisme à l'époque victorienne
La persistance extraordinairement tenace d'erreurs d'interprétation concernant le versant anthropologique de la pensée darwinienne s'enracine dans le moment précis qui sépare la publication en 1859 de L'Origine des espècesespèces et celle, en 1871, de La Filiation de l'Homme. Cette décennie décisive, au cours de laquelle les partisans de DarwinDarwin - lesquels étaient pour la plupart loin d'être « darwiniens » - incitèrent sans relâche ce dernier à étendre à l'Homme son propos transformiste dans un livre qui, pour avoir été trop longtemps attendu, ne sera pratiquement jamais lu dans sa littéralité ni entendu dans sa logique, a vu en effet se développer le « système de l'évolution » du philosophe Herbert Spencer et son « darwinismedarwinisme social », application impitoyable du principe de l'élimination des moins aptes au sein d'une concurrence sociale généralisée. Elle a vu également, à partir de 1865, la naissance de l'eugénisme de Francis Galton, recommandant l'application compensatoire d'une sélection artificiellesélection artificielle aux membres du groupe social pour lutter contre la dégénérescence issue de l'affaiblissement du rôle de la sélection naturellesélection naturelle en milieu de civilisation.
Ces discours - parfois inconciliables dans leurs principes mais convergents dans leurs effets - développaient ensemble une référence également réductrice à la théorie darwinienne de la sélection, dans un accord global avec les tendances dominantes de la société industrielle anglaise emportée par l'ivresse de sa métamorphosemétamorphose libérale. Aucune de ces deux « déviations » n'a reçu l'aval de Darwin, qui s'est opposé dans l'ouvrage de 1871 aux positions et recommandations sociales et politiques qui en émanaient.
Mais la confusion était née, soutenue par un système de pensée et ancrée dans le vocabulaire théorique, de sorte qu'aujourd'hui encore, un travail idéologique incessant s'obstine, contre l'évidence historique, logique et textuelle qui ressort de l'examen approfondi de l'œuvre darwinienne, à parer du nom et du prestige de Darwin - le plus souvent au moyen de montages citationnels - des doctrines ou des pratiques, telles que l'anti-interventionnisme social radical, l'impérialisme, le racisme, le « sexisme » ou l'eugénisme, qu'il a toujours expressément combattues.