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Évolution et « culture » des hommes
1 – Une histoire de bébés-rats
Yin - Qu'est-ce que la culture ?
Claude
: Nous allons comprendre ce qu'est la culture des humains en faisant appel à... des bébés-rats ! Il te faut savoir tout d'abord que les rats qui vivent dans les forêts de pins sont de véritables experts pour décortiquer les pommes de pins tandis que les rats qui vivent dans d'autres milieux sont très malhabiles dans ce même exercice. Je te suggère maintenant de procéder toi-même à deux expériences. Dans une première expérience, tu offres des cônescônes de pins à de jeunes rats descendants de mères qui « savent » décortiquer les cônes de pin mais qui ont été élevés par des femelles qui « ne savent pas ». Surprise : tu constates que ces jeunes rats ne savent pas découvrir les graines dans les cônes. Dans une seconde expérience, tu donnes des cônes de pins à de jeunes rats descendants de mères qui « ne savent pas » mais élevés par des femelles qui « savent ». Nouvelle surprise : ils sont capables de décortiquer les cônes et d'accéder aux graines.Que conclus-tu de ces deux expériences ?
Extrait de : Cultural transmission of feeding behaviour in the black rat (Rattus rattus) par Joseph Terkel. In : Social learning in animals : the roots of the culture. Academic Press, 1994
Yin - Que la qualité d'expert pour manger les graines de pin n'est pas transmise par les gènesgènes mais par l'observation du comportement des mamans-rats.
Claude
: Exactement. L'information qui permet de décortiquer les cônes avec adresse s'est transmise de génération en génération sans avoir recours à la voie génétiquegénétique. À travers ces expériences, tu découvres l'un des pas les plus importants que l'évolution ait jamais accomplis : celui de transmettre des informations autrement que par les gènes. Ce pas donnera naissance à la culture chez les humains : "La culture est le résultat de ce qu'on apprend d'autrui, par opposition à ce qu'on apprend seul" dit L. Cavalli-Sforza.Le comportement du jeune rat « têter sa mère » est codé dans ses gènes. Par contre, le comportement « décortiquer les cônes de pins » est appris par imitation.
2 – Sommes-nous « déterminés » ?
Yin - Tu m'as parlé du hasard... Cela existe, le hasard ?
Claude
: On qualifie de déterminisme un concept très simple : il n'y a pas d'effet sans cause.Yin - Ce qui me semble plutôt raisonnable...
Claude
: ...mais pose beaucoup de problèmes. Rends-toi compte que, si l'on prend ce concept au pied de la lettre, le hasard n'existe pas, même si tout le monde emploie le mot quotidiennement.Yin - Si je joue à pile ou face, il s'agit bien d'un jeu de hasard ?
Claude
: Il s'agit d'un jeu dit "de hasard" mais le hasard n'a rien à voir avec le fait que ta pièce retombe sur le côté "face" ou sur le côté "pile". Le résultat que tu obtiens dépend de la position de la pièce au départ, de la position et du mouvement de tes doigts, du poids et de la forme de la pièce, de la hauteur de ta main par rapport au sol, etc. Si l'on pouvait 1000 fois de suite refaire exactement les mêmes mouvements, il serait aisé de faire face - ou pile ! -1000 fois de suite. On parle de jeu de hasard parce qu'il n'est pas possible de connaître et de maîtriser les mille et une petites causes qui déterminent le mouvement de la pièce. Le raisonnement est le même pour les boules du loto, pour la distribution des cartes entre des joueurs et pour n'importe quelle loterie : pour I. Ekeland, "Le hasard résulte, non de l'absence de causes, mais de l'addition d'une multitude de petites causes indépendantes ... C'est parce que l'on n'a pas accès à une partie de l'information qu'un phénomène déterministe paraît aléatoire".Yin - D'accord, pas de vrai hasard dans les tirages du loto, mais qu'en est-il dans l'évolution ? Je veux dire, sommes-nous là par hasard ou non ?