Un virus qui infecte 90 % de l'humanité semble être l'élément déclencheur de la sclérose en plaques, une maladie auto-immune qui touche le cerveau. C'est la conclusion d'une étude récente parue dans Science, la première à fournir des preuves solides de causalité entre une infection virale et la sclérose en plaques.
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Depuis des années, les scientifiques collectent des indices qui suggèrent qu'un virus très commun, l'Epstein-Barr (EBVEBV) serait la cause sous-jacente de la sclérose en plaques, une maladie auto-immune qui touche le système nerveux. Environ 90 % de la population mondiale est infectée par l'EBV, le plus souvent durant l'enfance ou l'adolescence. En revanche, la sclérose en plaques ne concerne que 100.000 jeunes adultes en France avec environ 5.000 nouveaux cas chaque année.
Un article paru le 13 janvier 2022 dans Science est le premier à apporter des preuves solidessolides d'un lien de causalité entre une infection par EBV et l'apparition de la sclérose en plaques. « C'est un grand pas en avant car cela suggère que la plupart des cas de sclérose en plaques pourraient être évités en bloquant l'infection par l'EBV, et cibler l'EBV pourrait conduire à la découverte d'un traitement contre la sclérose en plaques », explique Alberto Ascherio, scientifique à l'université d'Harvard et directeur des travaux publiés dans Science.
Des nouveaux résultats qui s'ajoutent aux anciens
Cette étude a été rendue possible grâce à la riche collection d'échantillons sanguins de l'armée américaine. Ainsi, les chercheurs ont eu accès aux échantillons sanguins de dix millions de jeunes militaires en service, prélevés entre 1993 et 2013. Parmi eux, 955 cas de sclérose en plaques ont été diagnostiqués. Tous, sauf un, présentaient des anticorps anti-EBV dans le sérum au moment de leur diagnostic.
De ces données, les chercheurs ont calculé que les individus infectés par l'EBV ont 32 fois plus de risques de développer une sclérose en plaques. L'EBV n'est pas le seul virus qui a fait l'objet d'une recherche dans les échantillons de sang, mais c'est le seul qui augmente les risques de sclérose en plaques. Les débris de la gaine de myélinegaine de myéline, qui est détruite par les lymphocyteslymphocytes B dans la sclérose en plaques, n'apparaissent dans le sérum qu'après une séroconversion à l'EBV.
Ces nouveaux résultats vont dans le même sens que d'autres obtenus précédemment. En octobre 2021, une équipe anglo-suédoise a étudié la mononucléosemononucléose infectieuse, provoquée par l'EBV, comme facteur de risquefacteur de risque de la sclérose en plaques au sein de fratries. Ils concluent qu'avoir une mononucléose infectieuse durant l'enfance ou l'adolescence (entre 11 et 19 ans) augmente bien le risque d'être diagnostiqué d'une sclérose en plaques dès l'âge de 20 ans. Le risque apparaît comme le plus grand durant la puberté (11-15 ans) et disparaît totalement après 25 ans.
Un mécanisme encore à explorer
Comment un virus peut-il déclencher une maladie auto-immune du système nerveux ? Chez les personnes atteintes de sclérose en plaques, les lymphocytes B actifs en circulation dans le sang traversent les vaisseaux sanguins pour s'attaquer à la gaine isolante, la myéline, qui entoure les axonesaxones des neuronesneurones. Or cette dernière est indispensable à la bonne transmission de l'influx nerveuxinflux nerveux. La disparition progressive de la gaine de myéline induit des troubles moteurs, cognitifs, visuels, de l'équilibre qui varient beaucoup entre les patients.
Plusieurs hypothèses sont à l'étude pour expliquer comment l'EBV pourrait déclencher ces symptômessymptômes - aucune n'est confirmée pour l'instant. L'EBV est un virus de la famille des herpès qui infecte les lymphocytes B de l'oropharynx en utilisant leur récepteur de surface CD21 comme porteporte d'entrée. Le génomegénome à ADNADN du virus demeure dans le noyau des cellules, à côté de notre propre génome, si bien qu'une personne infectée le reste durant toute sa vie.
L'EBV cause d'autres maladies que la mononucléose chez les personnes saines, notamment des lymphomeslymphomes, des cancerscancers caractérisés par une prolifération anormale des lymphocytes, comme le lymphome de Burkitt ou la maladie d'Hodgkin. Dans le cas de la sclérose en plaques, certains pensent que des lymphocytes B infectés par l'EBV pourraient être responsables des symptômes.
Traiter l'EBV pour prévenir la sclérose en plaques ?
Si l'EBV semble bien être l'élément déclencheur de la sclérose en plaques, il n'est pas suffisant pour que la maladie se déclare. D'autres facteurs environnementaux entrent dans l'équation. Les scientifiques savent ainsi que le tabac, l'obésitéobésité durant l'adolescence, un déficit en vitamine D ou même le travail de nuit sont des facteurs favorisant l'apparition de la sclérose en plaques.
Avec ces résultats, un formidable espoir émerge : celui de traiter la sclérose en plaques. Les traitements actuels permettent de ralentir l'évolution de la maladie, mais n'empêchent pas sa progression à long terme. Prévenir les infections à l'EBV avec un vaccinvaccin ou des anti-viraux apparaît comme une solution naturelle. « Actuellement, il n'y a aucun moyen efficace de prévenir ou traiter une infection par EBV, mais un vaccin contre l'EBV ou des médicaments antivirauxantiviraux spécifiques pourraient prévenir ou traiter la sclérose en plaques », conclut Alberto Ascherio. Hasard du calendrier, Moderna a annoncé le 5 janvier 2022 le début des tests cliniques pour un vaccin contre l'EBV utilisant la technologie à ARNmARNm.