Grâce à la technique CRISPR-Cas9, des chercheurs sont parvenus à exciser le génome du SIV, l'équivalent du VIH chez les singes, des cellules infectées. Ils voient en cette preuve de concept un potentiel traitement définitif contre le Sida.

Le 1er décembre est la journée mondiale de lutte contre le Sida. Cette année, le thème mis en avant est « Solidarité mondiale et responsabilité partagée » qui fait écho à une autre pandémie virale avec laquelle on vit depuis presque un an maintenant, la Covid-19. L’OMS estime que 33 millions de personnes à travers le monde vivent avec le VIH (chiffre de 2019) et que 68 % des adultes et 53 % des enfants infectés suivent un traitement antirétroviral à vie.

Quand le VIH (le virus de l'immunodéficience humaine) infecte l'organisme, il renferme dans son enveloppe et sa capside, un génome fait d'ARN. Mais, le virion embarque aussi une enzyme appelée transcriptase inverse. Cette dernière est capable de rétrotranscrire l'ARN viral en ADN proviral simple brin. Elle synthétise également le second brin de l'ADN proviral, c'est uniquement sous la forme double brin que l'ADN proviral peut s'intégrer dans le génome de la cellule. 

Grâce à une intégrase, l'ADN proviral se cache entre nos propres gènes, bien à l'abri du système immunitaire. Il peut rester là des années, avant de s'exciser et de reformer des virions infectieux qui partent à la conquête d'autres cellules. Le VIH infecte les cellules exprimant des récepteurs cellulaires CD4. Les lymphocytes T CD4+ sont ceux qui l'expriment le plus, mais d'autres populations cellulaires le font également, comme les macrophages, les cellules dendritiques et les cellules microgliales.

Une photographie du virus de l'immunodéficience humaine, responsable du Sida, en microscopie électronique à transmission. © Edwing P. Ewing, CDC
Une photographie du virus de l'immunodéficience humaine, responsable du Sida, en microscopie électronique à transmission. © Edwing P. Ewing, CDC

Traiter les infections rétrovirales

Les thérapies actuelles ciblent les protéines indispensables à la réplication du virus (la transcriptase inverse, l'intégrase et la protéase) et maintiennent son niveau sous le seuil de détection. Ainsi, une personne séropositive peut vivre sans contaminer d'autres personnes. Mais l'ADN proviral est toujours caché dans les cellules et finit par s'en extraire. Le Sida, syndrome de l'immunodéficience acquise, est le stade ultime d'une infection par le VIH, dans lequel le nombre important de lymphocytes TCD4+ détruits par le virus plonge le patient dans un état d'immunodépression profond. Alors, une simple maladie opportuniste peut conduire à la mort.

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Pour le débusquer et s'en débarrasser définitivement, il faut donc utiliser des outils génétiques. La technique génétique la plus prometteuse disponible actuellement est CRISPR-Cas9, dont la mise au point par deux chercheuses a été récompensée par le prix Nobel de chimie en 2020

Les scientifiques de la Lewis Katz School of Medicine de l'Université Temple de Philadelphie ont utilisé une construction CRISPR-Cas9 pour exciser l'ADN proviral du SIV, l'équivalent du VIH qui infecte les singes, et modèle éprouvé pour étudier la forme humaine de l'infection des tissus de macaques rhésus. Les résultats de ces expériences in vivo sont publiés dans Nature Communications.

Vidéo présentant le travail des scientifiques de Lewis Katz School of Medicine de l’Université Temple de Philadelphie. © Temple University

Le génome du SIV excisé des cellules

Pour parvenir à exciser le SIV des tissus des macaques rhésus, les scientifiques ont utilisé une construction de biologie moléculaire complexe appelée plateforme. La plateforme comprend l'outil CRISPR-Cas9 construit pour être spécifique de l'ADN proviral du SIV. Cette construction, qui prend la forme d'un plasmide, est intégrée dans un virus adéno-associé (ou AAV). Les AAV sont des petits virus à ADN non pathogènes utilisés en thérapie génique.

Cette plateforme a été injectée à trois macaques rhésus par intraveineuse. Trois semaines plus tard, les scientifiques ont collecté le sang et les tissus de ces singes après leur mort. Les résultats obtenus à partir de ces échantillons ont été comparés aux mêmes échantillons collectés d'un singe qui n'a pas été traité avec la plateforme.

L'excision spécifique de l'ADN proviral du SIV par CRISPR-Cas9 a été confirmée dans les cellules sanguines pour les trois singes traités, contrairement au singe témoin. L'efficacité de l'excision varie grandement en fonction des animaux : 37 %, 65 % et 92 %.

Les scientifiques ont également étudié la biodistribution de leur plateforme dans les organes des singes. Grâce à une technique de PCR améliorée, ils ont pu trouver la trace de la plateforme dans la moelle osseuse et épinière, les amygdales, le cerveau, la rate, le foie, les ganglions lymphatiques, le thymus et le cœur. En résumé, la plateforme s'est diffusée dans tous le corps, y compris le cerveau qui est protégé par la barrière hématoencéphalique.

Dans plusieurs de ces organes, notamment la rate, les poumons et les ganglions lymphatiques, la capacité du ciseau moléculaire à exciser l'ADN proviral du SIV a également été démontrée, sans endommager les gènes adjacents. Ces résultats constituent une preuve de concept pour l'utilisation de CRISPR-Cas9 comme une stratégie possible pour traiter le VIH dans un modèle animal.

« C'est un développement important dans ce que nous espérons être la fin du VIH/Sida », a déclaré Andrew MacLean, un chercheur ayant pris part à ce travail, dans un communiqué de presse. « La prochaine étape consiste à évaluer ce traitement sur une période plus longue afin de déterminer si nous pouvons parvenir à une élimination complète du virus, voire en retirant les sujets du traitement antirétroviral. » Les scientifiques espèrent voir un jour leur traitement faire l'objet d'une étude clinique chez l'Homme, après l'aval de la Food and Drug Agency.


Sida : un traitement révolutionnaire élimine le VIH chez des animaux

Article publié le 7 juillet 2019 par Marie-Céline Ray

L'ADN du virus VIH-1 a été éliminé dans le génome d'animaux vivants, grâce à l'édition génomique (CRISPR-Cas9), associée à un traitement antirétroviral. Pour cette expérience, les chercheurs ont travaillé avec un modèle de souris qui produit des lymphocytes T humains.

Dans le monde, environ 36 millions de personnes sont infectées par le VIH-1. Actuellement, les thérapies utilisées pour traiter les patients séropositifs empêchent le virus de se répliquer, mais ne l'éliminent pas de l'organisme : les trithérapies ne permettent pas de guérir du VIH et doivent être poursuivies toute la vie. L'arrêt des antirétroviraux réactive le virus : il se réplique à nouveau et la maladie risque d'évoluer en Sida. Ce sursaut est possible car le virus intègre son ADN dans le génome des cellules immunitaires infectées où il reste « dormant » sous la forme de provirus.

Le saviez-vous ?

Les rétrovirus, comme le VIH, possèdent un génome sous forme d’ARN. Grâce à l’enzyme transcriptase inverse, l'ARN viral sert à fabriquer un ADN qui s'intègre dans le génome de la cellule infectée : c'est le provirus, qui sera transcrit en ARN messager, pour plus tard produire des protéines virales.

Les antirétroviraux sont incapables de supprimer le provirus du génome des cellules. Le VIH reste donc latent dans ces cellules réservoirs. Seuls deux cas de patients ayant complètement éliminé le virus ont été décrits : dans ces deux cas particuliers, les patients ont eu des greffes de cellules souches sanguines, en raison de cancers qu'ils ont développés.

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Mais serait-il possible d'éliminer le provirus avec des ciseaux moléculaires, comme CRISPR-Cas9 ? C'est sur cette piste que travaillent deux équipes américaines, à l'université Temple et à l'université du Nebraska. Ces chercheurs avaient déjà montré qu'il était possible d'éliminer le virus VIH de cellules infectées dans certains organes animaux, en utilisant l'édition génomique (lire notre article ci-dessous).

L’ADN du provirus éliminé des cellules in vivo

L'originalité de cette recherche parue dans la revue Nature Communications est d'avoir associé l'édition génomique (CRISPR-Cas9) à des antirétroviraux, en l'occurrence une thérapie appelée Laser ART, ou long-acting slow-effective release antirotroviral therapy (traitement antirétroviral à libération lente et à longue durée d'action). Cette médication permet de maintenir la réplication du virus à un niveau bas, et de réduire la fréquence à laquelle sont administrés les antirétroviraux. Les médicaments sont enveloppés dans des nanocristaux qui libèrent lentement les molécules.

Le complexe CRISPR-Cas9 permet de modifier le génome des cellules, aussi bien chez les animaux que les végétaux. © Juan Gärtner, Fotolia
Le complexe CRISPR-Cas9 permet de modifier le génome des cellules, aussi bien chez les animaux que les végétaux. © Juan Gärtner, Fotolia

Les scientifiques ont travaillé avec des souris « humanisées », c'est-à-dire modifiées afin de produire des lymphocytes T humains, qui sont les cibles du VIH. Une fois que les souris ont été infectées par le virus, elles ont été traitées avec les antirétroviraux Laser, puis avec les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9.

Chez près d'un tiers des souris (2/7), la totalité de l'ADN du VIH a été supprimée de cette façon. Le virus n'a été détecté ni dans le sang, ni dans les tissus lymphoïdes, ni dans la moelle osseuse. En revanche, si les chercheurs n'utilisaient qu'une des deux techniques, à savoir les antirétroviraux (10 souris) ou CRISPR-Cas9 (6 souris), le VIH-1 était toujours détecté. Seule la combinaison des deux techniques fonctionne.

Ces résultats prometteurs permettent d'imaginer de nouveaux traitements contre le VIH. « Notre étude montre que les traitements visant à supprimer la réplication du VIH et la thérapie d'édition génomique, lorsqu'ils sont administrés de manière séquentielle, peuvent éliminer le VIH des cellules et des organes d'animaux infectés, déclare Khamel Khalili, professeur à l'université TempleNous avons maintenant une voie claire pour aller de l'avant avec des essais sur des primates non-humains et éventuellement des essais cliniques sur des patients humains d'ici un an. »


Ils éliminent le virus du Sida chez des souris

Article paru le 4 mai 2017, mis à jour le 24 mars 2018

Cette année, le Sidaction se déroule du vendredi 23 mars au dimanche 25 mars. Cet appel aux dons vise à faire progresser la lutte contre le Sida et notamment la recherche. Exemple des résultats obtenus récemment : en 2017, des chercheurs américains sont parvenus à supprimer l'ADN du virus dans des cellules de souris en utilisant l'édition génomique. La suppression de cet ADN viral dans un modèle animal ouvre de nouvelles perspectives de recherches chez l'Homme.

À l'heure actuelle, les médicaments contre le VIH empêchent le virus de se répliquer mais il reste un réservoir latent dans l'organisme. Si le patient arrête son traitement, la maladie risque de se développer. Le VIH est un rétrovirus qui intègre un ADN (le provirus) dans le génome des cellules hôtes. Or les médicaments ne peuvent pas l'enlever du génome des cellules infectées. L'objectif de ces travaux était donc de supprimer ces séquences du VIH en utilisant l'édition génomique, une technique de génie génétique qui modifie le génome.

Dans un article paru dans Molecular Therapy, les scientifiques décrivent la méthode qu'ils ont employée. Ils ont utilisé un virus AAV comme vecteur. Celui-ci apportait des ARNs guides associés à la protéine Cas9 pour couper le provirus du VIH-1 dans le génome de cellules infectées. L'efficacité de ce système a été testée dans trois modèles animaux différents.

L’ADN du provirus est retiré des cellules infectées par édition du génome

L'efficacité a d'abord été démontrée dans des cellules de souris transgéniques dans lesquelles le génome du VIH-1 était intégré. Ensuite, les chercheurs ont utilisé des sujets infectés par le virus EcoHIV (le virus murin équivalent au VIH). Grâce à leur vecteur AAV, le génome viral avait disparu dans différents tissus (foie, poumons, cerveau, rate). Enfin, des souris ont été « humanisées » avec des cellules immunitaires humaines et infectées avec le VIH-1. Le génome viral était absent dans la rate, les poumons, le cœur, le côlon et le cerveau après une seule injection du vecteur en intraveineuse.

Pour les chercheurs des universités de Temple et de Pittsburgh aux États-Unis, cette méthode d'édition du génome « offre un traitement prometteur pour le VIH-Sida ». La prochaine étape consistera à reproduire ces résultats chez des primates, avant, éventuellement, d'envisager des essais cliniques chez l'Homme.