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Ces résultats s'inscrivent dans un large débat qui oppose ceux qui pensent que l'apprentissage du langage peut s'expliquer exclusivement par des mécanismes très généraux extrayant des régularités statistiques, à ceux qui pensent qu'il nécessite aussi l'apprentissage de règles formelles, notamment dans le domaine de la syntaxe. Les travaux de l' équipe franco-italienne vont dans le sens des seconds.
Ces travaux ont été publiés dans Science le 29 août 2002.
Pour maîtriser une langue il faut construire un vocabulaire et un système de règles de génération de mots et phrases. Les deux tâches ne sont pas simples, notamment parce que la langue parlée (à la différence de la langue écrite) ne contient pas de signaux physiquesphysiques marquant le début et la fin d'un mot. Savoir comment les enfants développent rapidement leurs connaissances lexicales et grammaticales reste un mystère. Une étude publiée dans Science en 1996 a révélé que les enfants et les adultes possèdent des capacités insoupçonnées pour faire des calculs statistiques complexes qui pourraient les aider à trouver les mots dans un signal continu de parole. L'impact de ces travaux a été très important puisque plusieurs chercheurs ont pensé que les capacités statistiques découvertes par les auteurs pourraient suffire à expliquer l'apprentissage de tous les aspects d'une langue, y compris ses propriétés grammaticales.
L'équipe de chercheurs de la S.I.S.S.A (Trieste) et de l'université de Ferrara en collaboration avec des chercheurs du CNRS, a réalisé une expérience mettant essentiellement les adultes dans les conditions d'un bébé qui doit trouver des mots ou des règles à l'intérieur d'un flux continu de parole provenant d'une langue qu'il ne connaît pas. Pour cela, cette équipe a inventé des petites "langues" inexistantes et a synthétisé par ordinateurordinateur des segments continus de parole de ces langues, en éliminant toutes informations prosodiques. La tâche des sujets était de trouver les "mots" de cette langue imaginaire après avoir écouté le flux de parole pendant une période variant de 30 à 2 minutes, selon l'expérience.
Ces chercheurs ont découvert trois faits de base. D'abord, ils ont montré que les adultes peuvent faire des calculs statistiques encore plus complexes que ceux découverts précédemment. Ensuite, ils ont montré que, en dépit de leurs habilités statistiques, les sujets n'arrivent pas à découvrir les propriétés structurales contenues dans ces langues imaginaires, alors qu'ils pourraient le faire facilement sur la base des calculs statistiques qu'ils effectuent. Finalement, les chercheurs ont caché dans le flux continu de parole des silences de 25 millisecondes, qui signalent les frontières des mots mais ne sont pas aperçus consciemment par les sujets. Ils ont également montré que lorsque le flux de parole contient ces signaux subliminaux de segmentation, les sujets capturent la même propriété structurelle qui leur échappait auparavant rapidement (avec une exposition de seulement un cinquième de l'exposition précédente).
Ces trois résultats suggèrent que l'esprit est plus riche que ce que l'on pensait. Ses capacités statistiques sont plus grandes et cependant insuffisantes pour capturer des généralisations simples nécessaires pour apprendre une langue.
Notes :
(1) SISSA : Scuola Italiana di Studi Superiori Avanzati (Ecole italienne d'études supérieures avancées)