La « vie miroir », vous n’en avez probablement jamais encore entendu parler. Mais des biologistes de renom s’inquiètent déjà des conséquences jugées désastreuses que cette forme de vie synthétique pourrait avoir sur la vie telle que nous la connaissons.
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Toutes les moléculesmolécules qui composent la vie, les acides aminés, les protéines ou encore l'ADN ont, en quelque sorte, « une main ». Une chiralitéchiralité préfèreront dire les initiés. Comprenez que les scientifiques les qualifient de gauchères ou de droitières. Mais elles n'existent sur notre Terre toujours que dans l'une de ces formes. Notre ADN, par exemple, est exclusivement droitier. En d'autres mots, ses brins en spirale tournent toujours vers la droite. Les protéines, au contraire, sont gauchères.
C'est ce constat qui a fait germer une idée un peu folle dans l'esprit de quelques chercheurs. Pourrions-nous être capables de fabriquer, par exemple, un ADN gaucher qui viendrait défier cet ordre établi ? Et à quoi ressemblerait alors cette « vie miroirmiroir » qui, comme nos mains, ne pourrait pas se superposer à la vie que nous connaissons ? C'est la question que se posent ces chercheurs qui travaillent sur cette forme de vie synthétique. Passionnant !
Jusqu'à ce qu'une équipe dirigée par des chercheurs de l'université de Pittsburgh (États-Unis) se penche sur les risques liés au développement de bactéries miroirs. Ces organismes de synthèse se présenteraient avec des molécules toutes d'une chiralité inversée par rapport aux bactéries naturelles. Et c'est précisément ce qui inquiète désormais les experts, initialement confiants en immunologie, pathologie végétale, écologieécologie, biologie évolutive, biosécurité et sciences planétaires de 36 pays, auteurs d'un rapport de 300 pages paru dans la revue Science. Selon eux, les bactéries miroirs représenteraient un danger important pour l'environnement et pour notre santé.
Des molécules miroirs aux bactéries miroirs
Précisons d'abord que si certaines équipes essaient de créer des formes de vie miroir, c'est principalement aujourd'hui dans un but thérapeutique. Les molécules utilisées par les thérapiesthérapies classiques sont en effet reconnues par notre corps. Nos enzymes digestivesenzymes digestives ont tendance à les décomposer. Parfois même avant qu'elles aient eu le temps d'agir. Les molécules miroirs, elles, ne sont pas reconnues par ces enzymes. Ce qui leur permet de persister plus longtemps dans le corps. Les scientifiques savent en fabriquer chimiquement, atomeatome par atome. Mais des bactéries miroirs pourraient les fabriquer directement à leur place.
L'ennui, que discute aujourd'hui l'équipe dirigée par des chercheurs de l'université de Pittsburgh, c'est qu'une bactérie miroir interagirait aussi avec le reste de notre monde de manière imprévisible et incertaine, avec le risque que, n'étant pas sensibles à nos antibiotiquesantibiotiques et non détectées par notre système immunitairesystème immunitaire - ni dans la nature par les prédateurs qui limitent traditionnellement les populations bactériennes -, de telles bactéries puissent se reproduire à l'infini. La seule chose qui pourrait les freiner, c'est le manque d'une nourriture qui leur soit adaptée. Mais les bactéries miroirs, craignent les chercheurs, pourraient aussi bien développer finalement assez rapidement la capacité de manger notre nourriture.
« À moins que des preuves convaincantes n'émergentémergent qu'il n'existe pas de dangers extraordinaires, nous ne devrions pas créer une vie miroir », déclare Kate Adamala, biologiste synthétique à l'Université du Minnesota (États-Unis) dans les colonnes du Guardian. Ce qu'elle redoute, notamment, c'est que les scientifiques aient du mal à empêcher leurs bactéries miroirs de se propager dans l'environnement. Parce que les accidentsaccidents de laboratoire arrivent. Et ils pourraient permettre à de telles bactéries de s'échapper même de laboratoires hautement sécurisés.
Discuter des risques portés par le développement de la vie miroir avant qu’il ne soit trop tard
Le risque, toutefois, n'est pas imminent. Même avec l'implication des meilleurs spécialistes et la mobilisation de beaucoup de ressources, la première bactérie miroir ne devrait pas voir le jour avant 10 à 30 ans. Pour l'heure en effet, les scientifiques sont encore loin d'être en mesure de fabriquer une cellule bactérienne miroir.
« C'est incroyablement difficile et de nouvelles technologies seront encore nécessaires pour y parvenir », assure Michael Kay, professeur en biochimiebiochimie et expert de la question à l'université de l'Utah (États-Unis), dans un communiqué. « Mais parce que ces technologies fondamentales commencent à se développer et à émerger, nous avons pensé qu'il n'était pas prématuré d'ouvrir le débat. » Les scientifiques ont même déjà synthétisé de grandes biomolécules miroirs. Des protéines, par exemple.
Le saviez-vous ?
Les médicaments miroirs en cours de développement sont fabriqués chimiquement. Ils ne risquent donc pas de présenter l’un des dangers évoqués par les chercheurs et qui accompagnent exclusivement la création d’une bactérie miroir autoréplicatrice. Les scientifiques valident donc le fait que les travaux sur les molécules thérapeutiques miroirs se poursuivent.
Ainsi les chercheurs prévoient-ils d'organiser des conférences internationales sur le sujet pour discuter des risques inhérents à la recherche sur la vie miroir. Avec pour objectif de définir des axes de recherche responsables et des limites à ne pas franchir. « Si une cellule miroir était fabriquée, il deviendrait incroyablement difficile de remettre ce génie dans la bouteille. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles nous voulons réfléchir à la préventionprévention et à la réglementation bien en amont de tout risque réel », conclut Michael Kay.