Le sexe est une activité capable de mobiliser tous nos sens de façon intense. Pourtant, nous n'avons généralement tendance à en souligner que deux : le toucher et la vue. Cette semaine, je vous propose de nous écarter de cette vision validiste et réductrice de la sexualité pour faire un voyage dans le domaine des sons, à la découverte de l’auralisme, ou fétichisme sonore, un phénomène de plus en plus répandu parmi le grand public.
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Note : cet article est une retranscription du podcast INFRA, animé par Emma HollenEmma Hollen et produit par Futura. Pour une expérience optimale, écoutez l'épisode en cliquant sur le lecteur ci-dessous.
Découvrez le podcast INFRA à l'origine de cette retranscription. Cliquez sur Play et laissez-vous porter ou cliquez ici pour vous abonner sur vos plateformes préférées. © Futura
Un petit avertissement avant de commencer cet épisode. Comme son titre l'indique, on va parler aujourd'hui de fétichisme sonore. Autrement dit, de sexualité. Avec mon invitée du jour, on tient à aborder le sujet de manière respectueuse, intelligente et intéressante, sans heurter les sensibilités des auditrices et des auditeurs. Ceci étant dit, j'invite les adultes à éloigner dès à présent les jeunes oreilles ou à couper ce podcast si ce sujet vous met mal à l'aise. Il ne sera question au fil de cet épisode que de sexe entre adultes consentants. Je vous parlerai du fonctionnement physiologique de l'excitation sexuelle - en maintenant un langage châtié, c'est promis -, des différents fétiches sonores que l'on peut croiser, et de l'industrie du porno sonore, principalement à travers ses valeurs progressistes et les avantages liés au médium audio. Mon invitée, pour sa part, parlera de sa propre expérience du fétichisme sonore sans entrer dans le détail de ses rapports. Et enfin, aucun son explicite ne sera diffusé. Le but n'est pas non plus de créer une expérience aseptisée de la sexualité, mais bien de créer un espace d'échange accueillant et inclusif, pour que tout le monde puisse en profiter. On est bons ? C'est parti !
Si vous pratiquez une forme de sexualité, en solitaire ou partagée, vous vous êtes peut-être déjà rendu compte, au fil de vos explorations, que vous étiez particulièrement réceptif ou réceptive à certains signaux, qu'ils soient visuels, olfactifs, gustatifsgustatifs, tactiles ou sonores. Vous pouvez avoir une préférence pour les bruns, pour les grandes, pour le toucher du cuir, le froid du métalmétal, l'odeur de l'huile de massage, le goût du sel sur la peau ou les grognements de votre partenaire. Peut-être même qu'intrigu·é·e, vous avez cherché à voir si certaines personnes partageaient votre expérience, en en parlant autour de vous ou en cherchant des témoignages sur le web [le cliquetis d'un clavierclavier d'ordinateurordinateur]. Et si c'est le cas, il y a une bonne chance pour que vous vous soyez aperçu·e qu'il n'existait pas de terme consacré dans le dictionnaire pour décrire votre expérience, mais que, sur les forums, les utilisateurs avaient pris les devants en inventant leur propre lexique.
Du fétichisme à l'auralisme : éclairage scientifique sur des pratiques incomprises
C'est ainsi qu'est né le terme d'auralisme, A-U-R-A-L-I-S-M-E, ou fétichisme sonore. Qu'est-ce que le fétichisme ? Regardons la définition du CNRTL, basée sur les travaux des psychanalystes [une page qu'on tourne] : « Perversion sexuelle, généralement masculine, dans laquelle l'apparition et la satisfaction des désirs sexuels sont conditionnées par la vue ou le contact d'un objet ou d'une partie du corps. » Alors, là, normalement, les personnes fétichistes auront grincé des dents - et à juste titre. Car si le fétichisme peut effectivement se transformer en trouble psychiatrique lorsqu'il perturbe la vie sexuelle d'un individu ou met en danger son entourage, le plus souvent, il s'agit d'un phénomène tout à fait normal, répandu et sain. Tant qu'il a lieu entre adultes consentants et ne vous cause pas de souffrance, un fétiche, ou kink, est juste une autre façon pour vous de prendre votre pied. Le fétichisme appartient à la famille des paraphilies, une famille dont certains membres sont effectivement tout sauf recommandables et même condamnables par la loi, mais qui inclut aussi la métrophilie, le fait d'être excité par la poésie, la crurophilie, l'attirance sexuelle pour les jambes, l'anasteemaphilie, où c'est la différence de taille qui joue sur le désir, ou encore la stigmatophilie, qui consiste à être attiré·e par les piercings et les tatouages. Et bien sûr, il y a l'acousticophilie, ou auralisme, l'excitation provoquée par des sons spécifiques [une inspiration].
Alors, pour comprendre comment on peut être excité·e par un son, il faut d'abord comprendre ce que l'on entend quand on parle d'excitation sexuelle. L'une de ses manifestations les plus évidentes chez l'individu en bonne santé est l'érection, clitoridienne, pénienne, ou des mamelons. Les organes sexuels se dilatent sous l'effet de l'afflux sanguin, et sécrètent un fluide, du liquideliquide pré-éjaculatoire ou de la cyprine. Le cervix, l'utérus et les testicules se repositionnent et les pupilles se dilatent. Généralement, votre cœur va se mettre à battre plus vite, votre tension artérielle augmenter et votre souffle peut devenir plus rapide. [Un battement de cœur accélère et se conclue sur une expiration.] Un petit rappel toujours utile : observer ces signaux physiquesphysiques chez vos partenaires ne vous dispense pas de vous assurer qu'ils sont consentants. Pour que l'excitation sexuelle soit complète, il faut que le cerveau suive, et ça, c'est une autre paire de manches. Il existe une multitude de chemins à travers lesquels le cerveau répond positivement à une stimulationstimulation sexuelle. Chez les personnes de sexe masculin par exemple, les chercheurs ont listé l'intervention du cortexcortex temporaltemporal inférieur, orbitofrontal latéral droit et droit inférieur, et pariétal supérieur/inférieur dans le traitement cognitif de l'excitation. Côté émotionnel, l'amygdale, le cortex somatosensoriel primaire et l'insulainsula postérieure sont actifs. Le cortex cingulaire antérieur rostral et le striatum ventral sont liés au facteur motivationnel. Et l'insula antérieure, le putamen et l'hypothalamushypothalamus participent à la composante physiologique. Traduction : être excité, c'est pas aussi simple et basique que ça en a l'airair.
Le son, facteur de plaisir depuis la nuit des temps
Mais ce qui est sûr, c'est que même si on en parle peu, et que même les études sur l'excitation chez l'humain ont tendance à le faire passer au second plan, le son est présent dans nos vies sexuelles depuis probablement la nuit des temps. Chez les êtres humains comme chez les primatesprimates et même les prosimiens - lémuriens, tarsiers ou loris -, avec qui nous partageons un ancêtre communancêtre commun, on vocalise pour signifier notre plaisir ! Et souvent, ces sons vont bien plus loin que de simples grognements provoqués par l'effort. Dans une étude de 1978, les chercheurs (qui déplorent d'ailleurs le manque d'études chez l'être humain à ce sujet) suggèrent que les vocalisations du babouin chacmababouin chacma sont possiblement parmi les plus complexes chez les primates. Avant et durant le rapport, les mâles font claquer leurs lèvres, grognent et produisent des vocalisations qui ressemblent à ça [ce que les scientifiques décrivent comme un ech ech ech]. Les femelles émettent des râles, des gargouillis, et des grognements de toutes sortes et lorsqu'elles souhaitent inviter leur compagnon à une partie de pattes en l'air, elles vocalisent tout en gardant la bouche fermée et en gonflant les joues. Chez les gibbons, ces mêmes chercheurs ont observé que les vocalisations pouvaient aussi participer à renforcer le lien entre deux individus, et augmenter leurs chances d'avoir à nouveau des rapports.
Et chez les êtres humains alors ? Eh bien, pendant longtemps, nos vocalisations sont restées sous le radar des scientifiques. Probablement par pudeur, à cause de la difficulté d'enregistrer ces sons dans un contexte expérimental, et comme le souligne le biologiste Roy Levin dans une étude de 2006, peut-être aussi parce que jusqu'à présent, ces cris, ces soupirs, ces gémissements, ces rires, ces sanglots et ces grognements ont été perçus comme de simples sous-produits de l'excitation sexuelle et non comme des outils de communication. Dans un papier intitulé Vocalised sounds and human sex, il décide de réparer cet oubli. Pour Levin, le son peut jouer un rôle d'« amplificateur hédonique », c'est-à-dire décupler l'excitation et la prise de plaisir au cours d'une relation sexuelle. À la fois via un mécanisme psychologique, bien sûr, mais aussi de manière mécanique. Car en émettant des cris, on peut pousser son corps à hyperventiler, le menant à une sensation de léger vertige qui participe à l'excitation [un souffle rapide qui ralentit, puis un soupir]. S'il semblerait à première vue que les hommes soient plus excités par les signaux vocaux que les femmes, ne vous y trompez pas : les membres de la gente féminine aussi peuvent apprécier un rapport bruyant. C'est d'ailleurs un commentaire que j'ai souvent croisé lors de mes recherches : messieurs, cessez donc de vous retenir et donnez de la voix dans la chambre. Bien sûr, cela ne conviendra pas forcément à tout le monde, mais vous seriez surpris de voir combien de personnes, peu importe leur genre, apprécient un homme qui crie, grogne, parle et rit. Si vous ne me croyez pas, je vous invite à vous rendre dans la transcriptiontranscription de l'épisode pour y trouver les liens vers une étude et deux forums, où femmes, hommes, personnes queer et transgenrestransgenres témoignent de manière non-équivoque sur l'excitation que leur apportent ces vocalisations.
C'est aussi une expérience que partage mon invitée pour cet épisode, Aurélie Doré, créatrice du podcast Ceci est ton Corps : « Quand je me pose et que je me demande comment est-ce que l'excitation sexuelle et le son sont imbriqués l'un avec l'autre et comment ça se manifeste chez moi, je crois que c'est une sorte de réaction qui est assez... immédiate, en fait. Je sens que mon corps se réveille. C'est comme s'il se mettait à pulser. » Une fois n'est pas coutume, nous ferons des présentations plus complètes avec Aurélie dans la dernière partie de cet épisode. Pour l'instant, poursuivons. Comme Levin le précise, le langage est également un atout puissant dans ces situations, un atout qui, à notre état actuel de connaissances, est d'ailleurs détenu exclusivement par les êtres humains. On peut murmurer à l'oreille de ses partenaires durant un rapport physique, leur dire qu'on les aime, leur demander d'aller plus vite ou plus fort, mais on peut aussi faire grimper le plaisir sans le moindre besoin d'un contact rapproché. En témoigne le succès retentissant du téléphone rose depuis déjà près d'un demi-siècle. En somme, un partenaire qui s'exprime, avec ou sans mots, c'est un partenaire qui communique. Cette communication sexuelle fournit des indices sur le degré d'excitation, l'efficacité d'une position ou la proximité d'un orgasmeorgasme et permet aux acteurs présents d'adapter leurs mouvementsmouvements, leur rythme ou leur intensité, pour mener l'autre au paroxysme du plaisir. Alors, peu importe votre sexe ou votre genre, au lit, exprimez-vous !
Le téléphone rose fêtera bientôt un demi-siècle d'existence, témoin de l'importance du rôle que peut jouer l'ouïe dans la sexualité. © YouTube, Ina
Quels sons pour éveiller le désir ?
Les premiers sons auxquels on pense dans un contexte sexuel sont donc les vocalisations. Pour Aurélie : « Ça peut être les voix, mais ça peut être le souffle, ça peut être les gémissements, ça peut être certains mots qui peuvent être plus explicites et la manière dont ils vont être prononcés. Et ça peut être aussi entendre l'excitation de mon partenaire. Et au-delà en fait de l'excitation sexuelle, ça peut m'arriver, aussi, d'avoir un effet planant avec certaines voix. C'est comme si elle m'hypnotisait. Et c'est pas, du coup, de l'ordre de l'excitation, mais c'est plutôt une espèceespèce de bien-être global, un effet qui est hyper apaisant. Et dans ces moments- là, j'ai envie juste de fermer les yeuxyeux. J'ai même du mal à me concentrer sur ce que la personne me dit. C'est juste sa voix qui me berce. Mais voilà, c'est vraiment ces sons-là qui vont m'exciter aujourd'hui. »
D'autres personnes peuvent se concentrer sur les bruits de va-et-vient produits par les corps, les frottements, les chocs et les sons humides provenant de certaines régions.
Mais on n'est pas obligé·e·s de rester dans le domaine de l'explicite pour se sentir émoustillé·e par un signal sonore. Par exemple, sur fetish.com, on trouve des témoignages de personnes excitées par le son du [fouet], du latexlatex, du [métal qu'on entrechoque], d'une canne qui fend l'air, de [bruits de pas sur un sol dur] ou encore du [crépitement d'une bougie qu'on allume]. Souvent, ces sons sont associés à une expérience sexuelle passée, mais ils ont réussi à s'imprimer si profondément dans le cerveau de la personne qui les a entendus qu'ils peuvent susciter une excitation indépendamment du souvenir auxquels ils sont reliés, et même parfois... dans des contextes qui n'ont rien de sexuel. On peut aussi, d'autre part, citer l'attirance de certains et de certaines pour un accent, une langue ou une culture étrangère. Pour une vision humoristique de la chose, je vous renvoie bien sûr au film Un PoissonPoisson nommé Wanda. [Un extrait où John Cleese s'exclame : « Sono italiano in spirito ! »] Et enfin, il y a la musique. Dans son exploration des forums consacrés aux kinks, la chercheuse Jodie Taylor découvre qu'on s'y échange des playlistsplaylists entières de morceaux consacrées à des situations bien spécifiques. Il y a des musiques sur lesquelles se faire plaisir en solitaire, d'autres avec lesquelles installer une ambiance sexy, ou d'autres encore pour « fouetter son·a partenaire ». Elle découvre aussi, parmi les témoignages, que plusieurs femmes affirment être parvenues à l'orgasme simplement grâce à la musique, sans avoir eu besoin de stimulation physique. C'est dire le pouvoir évocateur qu'une chanson ou une mélodie peut avoir sur notre psyché et par extension sur notre corps.
D'ailleurs, la musique active le même circuit de la récompensecircuit de la récompense que le plaisir sexuel. [Une bouilloire qui siffle :] Comme le sexe, une musique jugée agréable peut accroître notre excitation émotionnelle, l'activité électrique de notre peau, notre rythme cardiaque et respiratoire et même notre température corporelletempérature corporelle. Il semblerait même qu'elle ait un impact sur la façon dont nous percevons l'attractivité d'un partenaire potentiel. Alors si vous préférez être sûr·e de maintenir un jugement objectif quand vous choisirez la personne avec qui vous allez passer la nuit, évitez peut-être les concerts et les boîtes de nuit. Et si vous êtes certain ou certaine de votre choix et que vous avez juste besoin de vous mettre dans l'ambiance, n'hésitez pas à lancer votre playlist d'EDM, de RnB ou de pop préférée, selon vos goûts. [Un morceau de soul détendu et sexy.]
Un milieu étonnamment féminin... et féministe !
Là où l'auralisme se distingue peut-être d'autres types de fétichismes, c'est dans la présence notable des femmes au sein de la discussion. Sur les forums, la chercheuse Jodie Taylor constate qu'elles ont autant d'expériences à partager que les hommes. De quoi mettre à mal la notion selon laquelle le fétichisme serait une affaire strictement masculine ! Pour Aurélie, cette prise de conscience de l'importance du son pour elle a eu lieu à travers la consommation du porno : « Moi, j'ai toujours été plutôt une grande consommatrice de porno et de porno vidéo. En fait, le porno prenait une place assez importante dans ma vie sexuelle. Et en fait, petit à petit, je me suis rendu compte que ce qui m'excitait particulièrement, c'était pas tant l'image, c'était plutôt les dialogues, les répliques et en fait, finalement, les sons que faisaient les acteurs et les actrices. Et tu vois, parfois, ça m'arrivait de regarder une vidéo plusieurs fois en sachant exactement le moment où tel acteur ou telle actrice allait avoir ce souffle, ce gémissement ou... en tout cas, il allait avoir ce bruit. Et c'est ça, en fait, qui m'a amenée à me dire : "Ah OK, ben finalement, peut- être que l'image, ce n'est pas tout à fait ce qu'il me faut." Et puis, de manière plus générale, le son a une place importante dans ma vie aussi. Et c'est en me posant la question avec ma psy de "C'est quoi le sens avec lequel je suis le plus à l'aise ?" que je me suis rendu compte que l'ouïe avait une part très importante dans ma vie. »
Mais outre ses préférences personnelles, il y a un autre argument qu'il l'a menée, ainsi que de nombreuses autres femmes, à se tourner vers le porno audio, ou audio porn en anglais. « En parallèle de ça, ma réflexion féministe qui évolue et qui fait son chemin, j'ai eu de plus en plus de mal à faire abstraction de comment le porno est fabriqué. Là, on l'a vu encore récemment avec le rapport du Haut Conseil à l'égalité qui parle de comment est-ce que le porno entretient la violence physique, symbolique, l'exploitation sexuelle, etc. Bref, tout ça faisant son chemin dans ma tête, en fait, je suis passée un peu de l'excitation au dégoût et du coup, j'ai commencé à me tourner vers d'autres formes de porno, donc à la fois écrit et à la fois audio. » Comme l'explique la chercheuse Kate Hunker dans un article pour le SexLab, bien que les femmes soient souvent le sujet des vidéos pornographiques que l'on trouve en ligne, elles se trouvent bien plus rarement derrière la caméra. Ces vidéos sont principalement produites pour un public masculin et hétérosexuel, explique-t-elle, et ça se ressent sur les modes de consommation. Un rapport de 2014, le General Social Survey mené par l'Université de Chicago, indique que les hommes seraient 543 % plus susceptibles de regarder du porno que les femmes ! Et soyons clairs - et ce, une bonne fois pour toutes -, c'est loin d'être juste une affaire de différence de libidolibido.
Par exemple, une analyse menée en 2010 sur les contenus pornographiques les plus populaires à l'époque révèle que 88 % des scènes comportent une agression physique et près de la moitié d'entre elles, une agression verbale. Et d'après une autre étude, menée 10 ans plus tard, les femmes seraient les victimes de ces agressions dans pas moins de 97 % des cas ! Une forme de sexualité dans laquelle tout le monde ne se reconnaît pas forcément, mais qui, comme l'explique Aurélie, a des conséquences profondes sur notre façon de nous percevoir et de vivre le sexe. En parallèle, l'industrie du porno est loin d'être rose. La circulation des ISTIST, des MSTMST et du SidaSida parmi les acteurs et les actrices, des conditions de travail dégradantes et dangereuses, en particulier pour les minorités ethniques et de genre, les violences subies sur les tournages, la traite des corps, et bien d'autres problématiques graves impliquent que le milieu a encore beaucoup de chemin à accomplir avant de pouvoir se revendiquer « éthique ». Autant de raisons qui mènent les spectateurs et les spectatrices en particulier à se tourner vers d'autres types de médias érotiques, que ce soit pour y rechercher un contenu qui leur convient mieux, pour lutter contre les archétypesarchétypes véhiculés par le porno, ou pour boycotter ses pratiques inhumaines. Après une dernière pause, je vous propose de découvrir comment les femmes se sont saisies du porno audio pour rendre le secteur plus engagé, plus respectueux et plus accessible.
L'audio porn : quand le milieu du X devient éthique
L'audio porn, c'est d'abord une entreprise collective. Avant de se transformer en une industrie capable de lever des millions d'euros, il consiste principalement en des enregistrements réalisés par des amateurs et postés sur les forums. En 2016, un collectif décide de créer l'Orgasm Sound Library, afin de rompre avec les clichés véhiculés par le porno en offrant une plateforme d'expression aux femmes. Aujourd'hui cette immense bibliothèque de sons compile plus de 3 000 enregistrements d'orgasmes libres de droit, postés par des anonymes, et donnant une vision plus nuancée de la sexualité féminine. Mais c'est avec l'adaptation de 50 Nuances de Grey en livre audio, une demande de plus en plus perceptible pour des contenus érotiques sonores, et des femmes ambitieuses, que le milieu prend une tournure plus commerciale et structurée. Plusieurs sites, podcasts et apps comme VOXXX (avec 3 X, bien sûr) et COXXX (son pendant masculin), Femtasy, Dipsea, ou Ferly, ont émergé au cours des dernières années. Malgré leur modèle 100 % payant et des pages d'accueil bien moins explicites que chez leurs concurrents vidéos, chacun parvient à générer entre plusieurs centaines de milliers et plusieurs millions de dollars [un ka-ching ! de caisse enregistreusecaisse enregistreuse]. Le site Quinn, en particulier, arbore des airs de site de VODVOD - ou plutôt d'AOD - de l'audio porn, avec des têtes d'affiche comme Victoria Pedretti, Jessie Williams ou Thomas Doherty. Et tous ces services ont été créés par des femmes. Des femmes souvent lassées par les représentations dégradantes et excluantes du porno, et désireuses de créer des contenus qui ne parlent pas exclusivement à un public masculin, voire machiste. Ces plateformes mettent généralement en avant une approche éthique et féministe, sans pour autant verser dans ce qu'on appelle le porno vanille. Dominant ou soumis, brutal ou romantique, hétéro, homohomo ou queer, il y en a pour tout le monde et pour tous les goûts. Et les chiffres d'affaires de ces startups témoignent bien du succès de leur démarche.
Attention, contenu explicite. Un exemple d'épisode produit par VOXXX.com, une plateforme d'audio porn en ligne. © VOXXX
« J'ai commencé par écouter des épisodes de VOXXX qui m'ont vraiment beaucoup plu. Et puis, j'ai aussi découvert Gone Wild Audio, qui est un canal de Reddit. Le principe de la plateforme, c'est que c'est des anonymes qui créent des bandes sons sexuelles avec plein de scénarios très variés et très différents. Et ça, je l'ai découvert à travers un podcast que je conseille à tous et à toutes, qui s'appelle Les Chemins de désir, de Claire Richard. Et quand j'ai découvert ça il y a quelques années, ben... ouais, ça a complètement révolutionné pas mal de choses. Ce qui m'a plu, la première chose, c'est de me détacher de l'image. Clairement, de ne plus avoir besoin de corps - de personnes qui vivent, qui existent -, de corps pour jouir. Ça, c'est quand même quelque chose dont j'étais assez fière. Quand j'ai réussi à... à jouir avec de l'audio porn, ça, c'était top. J'ai réappris à me concentrer sur les voix, le souffle, les gémissements. Enfin, en tout cas, ça a été comme une... une nouvelle étape, je dirais, dans ma vie sexuelle. Et du coup, à imaginer les corps plutôt qu'à les voir et pouvoir projeter aussi plein de choses derrière ces voix, plutôt qu'on t'impose un modèle de corps très stéréotypé, souvent dans les films pornos. Et donc, se détacher de l'image, ben, ça fait qu'on peut projeter bien plus de fantasmes, en fait, avec juste des voix et ça, c'est quand même très cool. Et puis, il y a aussi un truc de l'ordre de la proximité émotionnelle qu'il y a dans l'audio, qu'il n'y a pas du tout, j'allais dire, dans les autres formes de pornographie, parce que, en fait, la voix, elle trompe pas. C'est vraiment quelque chose qui me touche en plein cœur et... enfin je trouve qu'une voix, elle peut pas mentir. Donc, je crois que c'était aussi à la fois la proximité émotionnelle et l'impression d'avoir affaire à une honnêteté dans l'envie de procurer du plaisir aux auditeurices qui vont tomber sur ces différents épisodes. »
À travers ce nouveau contenu, les femmes, mais aussi les personnes queer, trans, intersexes, handicapées, qui ne répondent pas aux standards sociaux de beauté ou même les hommes qui ont tout simplement du mal à se retrouver dans les représentations classiques du porno, sont capables de reconquérir leur sexualité et d'assouvir leurs kinks audio dans un environnement qui leur correspond. C'est également un nouveau monde qui s'ouvre pour les personnes malvoyantes et non-voyantes, pour qui le média visuel présente, évidemment, d'importantes limitations. Bien que des sites comme Pornhub aient tenté d'implémenterimplémenter l'audio-description pour certains contenus, on imagine bien que l'intervention d'un narrateur entre deux cris de plaisir n'est pas ce qu'il y a de plus excitant. L'audio porn, a contrario, immerge l'auditeur et l'auditrice dans le récit, tantôt narré à la première personne, tantôt sous forme de dialogue ou encore raconté par un narrateur omniscient. Et grâce à l'usage de l'audio binaural, capable de créer un effet de « son en 3D » [la voix voyage de gauche à droite], des services comme Femtasy poussent l'immersion encore plus loin, et donnent le sentiment d'une intimité que la vidéo peine bien souvent à transmettre.
L'audio : nouvel espace de l'intime
L'audio ouvre donc un portail sur de nouveaux espaces intimes, des espaces peut-être plus respectueux, plus inclusifs, et plus sûrs, tant pour ses acteurs que pour ses consommateurs. Un outil, qui espérons-le, sera saisi par des personnes comme Aurélie, pour faire entendre leur voix et celles des autres. « J'ai passé une grande partie de ma vie à pas aimer mon corps. J'étais vraiment comme déconnectée. Et donc, en 2021, après avoir pas mal réfléchi à ce sujet-là et au fait que ça devenait quand même assez problématique dans ma vie, j'ai co-créé le podcast Ceci est ton corps. Co-créé parce que, pour la première saisonsaison, on était quatre et ensuite, le projet, j'ai continué à le faire vivre seule. À travers ce podcast, j'avais envie d'aller chercher les récits, les voix qui m'avaient manqué quand moi j'étais plus jeune. Et plus largement qui me manquaient encore à... - parce que j'avais 30 ans à l'époque - pour continuer à rajouter des petites briques et mieux comprendre mon corps. Vraiment, j'avais ce truc de "je vais tendre le micro aux femmes et aller chercher les conseils que j'ai pas eus, qui m'ont manqué"... Et recréer aussi - parce que c'est vraiment des femmes de toutes générations - recréer un lien intergénérationnel qui m'avait manqué. Je me suis aussi rendu compte qu'on vit dans un monde où on parle beaucoup de body positivisme, et en fait, quand tu regardes les études - et il y en a une qui a été faite en juin 2023 -, il y a encore six ou sept femmes sur dix qui aiment pas leur corps. Et en fait, il y a une énorme évolution : depuis dix ans, ça ne fait qu'augmenter. Donc, je suis vraiment convaincue de l'importance de partager ces récits et de... ouais de... d'aller chercher des histoires de qu'est-ce que c'est de vivre dans un corps de femmes aujourd'hui en 2023 ? En gros, Ceci est ton corps, aujourd'hui, c'est un outil de transmission des expériences autour du corps. Donc, il y a trois saisons avec 45 épisodes et une quatrième qui va bientôt arriver avec de nouveaux épisodes, de nouveaux témoignages. Chaque saison est autour d'une partie du corps. La première sur les seins, la seconde sur le ventre, la troisième les fesses et la quatrième qui arrive sera sur les cheveux et les poils. Et c'est aussi des hors-série avec des prises de hauteur, des expériences pour vibrer et des cercles de parole qui ont lieu tous les mois. »
« L'audio, pour moi, c'était une évidence quand j'ai pensé au projet Ceci est ton corps. Déjà, j'avais un rapport qui était charnel aux voix. Enfin, j'ai l'impression que les voix, c'est une matièrematière qui m'accompagne et du coup, toutes ces voix, en fait, elles viennent se coller un peu à la mienne. J'avais besoin de mettre ma voix avec celles des autres pour m'autoriser à... faire entendre ma voix à moi. J'avais besoin d'être accompagnée des autres voix. Il y a aussi l'image qui m'épuisait. Je trouve qu'on est sur-saturé·e·s d'images en permanence et je n'avais pas envie que les femmes soient dans un espace où elles devaient se préoccuper de ce à quoi elles ressemblaient. J'avais envie que les femmes puissent se définir par leurs propres mots sans qu'on puisse projeter des choses sur l'image qu'elles renvoient, en fait. J'avais envie de créer un espace un peu safe et pour moi, cet espace safe, il était.. bah en dehors de l'image. Et après, il y a deux autres choses qui étaient importantes pour moi, c'était aussi, je trouve que... il y a une symbolique dans le fait de mettre des voix de femmes dans l'universunivers médiatique, dans le sens où on n'entend pas beaucoup les femmes ou pas suffisamment. Ou en tout cas, on les écoute peut- être pas assez quand elles parlent. Et donc, pour moi, c'était une espèce d'acte politique, vraiment, de mettre ces récits sur le devant de la scène. Et la dernière chose, c'était le podcast, c'est hyper accessible, c'est gratuit, même s'il y a plein de contenus gratuits qu'on peut créer avec l'image, évidemment. Mais voilà, je trouvais ça plus intéressant et plus fort. Moi, ça me parlait plus. »
Pour prolonger la discussion...
Avec Aurélie, nous avons enregistré deux épisodes : celui que vous venez d'écouter, et une interview disponible dès à présent sur Ceci est Ton Corps. On y parle ensemble de la façon dont travailler sa voix, notamment mais pas exclusivement, à travers une pratique professionnelle comme le podcast, peut nous aider à reprendre confiance en notre corps. Je vous invite à aller y jeter une oreille, et si son podcast vous plaît, pensez à lui laisser une note et un commentaire :
Découvrez l'épisode que nous avons réalisé avec Aurélie sur son podcast Ceci est ton corps. © Aurélie Doré, Ceci est ton corps
J'espère que cet épisode d'INFRA vous aura plu et vous ouvrira le chemin à de nouvelles explorations, sonores, sexuelles, ou sensuelles. N'hésitez pas à partager vos retours et vos recommandations en commentaire, et n'oubliez pas de vous abonner au podcast pour ne pas manquer les prochains épisodes. Merci à Liza Marques qui a commenté sur le dernier épisode, sur le sens de la musique chez les animaux, en disant que son chat réagissait à la musique forte et à bbgkfkfh - j'espère que j'ai bien lu ça ! - qui partage que son lapin déteste Rammstein. Comme eux, pensez à nous écrire avec vos expériences et vos questions, et si j'obtiens assez de commentaires, je créerai un nouveau rendez-vous, pour y répondre. Enfin, vous commencez à connaître la chanson, si vous connaissez une personne sourde ou malentendante à qui ce podcast pourrait plaire, n'hésitez pas à le lui recommander. Des transcriptions détaillées sont fournies en description pour que tout le monde puisse en profiter. On se retrouve dans deux semaines et d'ici là, écoutez le monde autrement.
Félicitations, vous êtes arrivé·e·s à la fin de l'épisode et vous méritez bien un fun fact supplémentaire. Par-delà l'auralisme, il existe une autre façon dont le son pourrait impacter positivement la vie sexuelle. Depuis plusieurs années, des expériences sont menées par les scientifiques pour traiter les troubles érectiles grâce à de la thérapiethérapie à ondes de choc linéaires. Autrement dit : l'émissionémission d'ondes sonoresondes sonores dans les tissus d'un patient ou d'une patiente, en l'occurrence, au niveau de son pénispénis. Le traitement est indolore et permettrait d'améliorer la circulation sanguine dans l'appareil génital. C'est une méthode encore controversée mais qui semble offrir des débuts de résultats intéressants. Si jamais vous vous sentez concerné·e et que souhaitez recourir à ce traitement, je vous recommande quand même d'en parler d'abord à votre médecin pour vérifier le meilleur parcours à suivre et pour orienté·e vers un·e professionnel·le qualifié·e. Sur ce, je vous dis une dernière fois à dans deux semaines, et bonnes explorations sonores !