Spécialiste de la nutrition, le docteur Arnaud Cocaul nous propose un rendez-vous mensuel pour des conseils avisés. Le sujet de ce mois : les fluctuations du volume cérébral chez l'espèce humaine au fil de sa longue histoire. Elles pourraient être liées aux changements dans son environnement et en particulier à la qualité de la nourriture disponible. Car notre cerveau est gourmand.

Pendant longtemps, on a pensé que le développement cérébral de nos ancêtres n'avait pu se produire qu'au moment de la maîtrise de la taille des pierres, permettant la fabrication d'armes utilisées pour la chasse et la pêche. Nos précurseurs auraient ainsi pu se dégager des autres mammifères en mettant à profit l'extraction d'une chair animale fraîche propice à l'expansion des capacités cognitives et manuelles.

Pour croître, le cerveau a besoin d'apports énergétiques élevés que ne peuvent lui procurer suffisamment les fruits et les légumes. La créatine contenue dans la viande peut fournir de l'énergie au cerveau. La chair animale apporte en plus bon nombre de vitamines et de minéraux. La pensée dominante jusqu'à il y a peu était que l'expansion cérébrale avait précédé les besoins énergétiques accrus. Ainsi, il fallait d'abord attendre que le cerveau grandisse pour que les apports nutritionnels croissent afin de maintenir cette expansion cérébrale.

Les découvertes récentes tendent à prouver que nous mettions la charrue avant les bœufs. Si on peut certifier qu'un cerveau plus volumineux a des besoins plus importants en nutriments, pour amorcer cette croissance cérébrale, il faut un déclencheur. De plus, la viande et le poisson sont pourvoyeurs d'acides aminés que le cerveau ne peut utiliser comme combustible que pour quelques heures. Cela ne permet pas de fournir une énergie pérenne. Manger exclusivement des protéines animales abîmerait les reins.

Le cerveau humain est très gourmand en substances nutritives. © Ramcreations, Shutterstock

Le cerveau humain est très gourmand en substances nutritives. © Ramcreations, Shutterstock

Pour que le cerveau grossisse, il faut une bonne nourriture

Pour alimenter notre corps et en particulier le cerveau en énergie, il faut assurer une production de corps cétoniques et donc être équipé d'un stock conséquent de graisse. Pour faire de la matière cérébrale, il faut être équipé en lipides structurels fournis en grande partie par les cétones.

On peut changer de paradigme et penser désormais que l'apparition de tissu adipeux en partie sous-cutané chez les nouveau-nés a probablement eu lieu avant la croissance cérébrale. Il s'agit d'une étape ultime et capitale de notre évolution. La gestation prolongée de l'humain permet l'expansion du tissu adipeux, surtout au troisième trimestre de la grossesse, et donc la croissance cérébrale. L'allongement de la gestation chez les hominidés par rapport aux autres mammifères a précédé le développement de la graisse sous-cutanée fœtale.

Des chercheurs comme Stephen Cunnane, de l'université de Sherbrooke à Québec (Canada), pensent que seul un habitat stable proche d'un rivage en Afrique de l'est et du sud a rendu possible la fourniture suffisante en énergie et en nutriments disponibles pour les nouveau-nés. Les aliments que l'on trouve sur les rives ou à proximité des grands lacs sont sources de sélénium, de zinc, d'iode, de fer, de vitamines A et vitamine D ainsi que d'acides gras polyinsaturés type oméga 3, comme le DHA.

Notre cerveau a donc certainement connu des périodes de croissance et de décroissance en fonction de notre dépendance à un habitat stable et fournisseur de nutriments de qualité. En quelque sorte, la taille du cerveau a dû jouer au yoyo selon les circonstances environnementales. N'oublions pas qu'elle est aujourd'hui, en moyenne, un peu inférieure à celle de l'Homme de Cro-Magnon (voir sur Hominides.com). Cette diminution est-elle temporaire ou marque-t-elle une tendance à long terme. Notre extinction aurait-elle démarré ? Car il faut bien avouer que la plus grande catastrophe de l'humanité c'est bien l'Homme... Il nous faut revoir sérieusement notre mode de vie avant que cela n'impacte négativement notre descendance. Peut-être cela démarre-t-il par la diminution de notre cerveau. Ne sommes-nous pas un « animal doué de déraison » ?

Dr Arnaud Cocaul

En savoir plus sur le Dr Arnaud Cocaul

Le Dr Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste, spécialisé dans la prévention de l'obésité et les troubles du comportement alimentaire en général. Il intervient dans les médias autour de sujets concernant la nutrition, et est favorable à une interface avec les médias. Il dispense des conférences grand public toujours dans l'esprit d'être un passeur et a participé à la réalisation d'une application ludique (Serious game) pour mobile, baptisée KcalMe.

Son encyclopédie des super aliments :