Découvrez le nouvel épisode du podcast INFRA, sur le sound design des films d'horreur et la relation entre son et peur. Cet article est une retranscription d'une chronique audio. Pour écouter l'épisode, rendez-vous sur les liens fournis ci-dessous.
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Même si vous n'êtes pas fan de cinéma, je suis prête à parier que vous savez à quel film vous avez affaire quand vous entendez ça : [un cri]. Ou ça : [un son inquiétant et fantomatique]. Ou encore ça : [un bruit brusque, typique du cinéma d'horreur, voué à faire sursauter]. Vous l'avez deviné, aujourd'hui, on va parler du sound design des films d'horreurs, de réflexes préhistoriques, d'instruments étranges, comme le Mega Marvin ou le trautonium, et on finira en se demandant pourquoi on aime tant s'exposer à la peur. Avant de nous engager dans cette aventure, pensez à vous abonner et n'hésitez pas à nous dire ce que vous avez pensé de ce podcast à la fin de l'épisode.
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Sons diégétiques et extradiégétiques
Dès sa naissance, le cinéma s'est épanoui en une multitude de genres. Dès la fin du XIXe siècle, il y en avait déjà pour tous les goûts. De la science-fiction, avec Le Voyage vers la LuneLune de George Méliès ; du western et de l'action, avec Le Vol du grand rapide d'Edwin Porter ; de la romance, avec Faust et Marguerite, de Méliès à nouveau ; de la comédie, avec L'Arroseur Arrosé de Louis LumièreLouis Lumière ; et de l'horreur, avec Le Manoir du diable... de George Méliès ! Depuis, chacun de ces genres - et bien d'autres - ont développé leurs propres stylesstyles, leurs langages visuels et scénaristiques, leurs méthodes de jeu, leurs tropes et leurs clichés et, bien sûr, leurs environnements sonores. Qu'on soit un grand cinéphile ou non, on sait que, de façon générale, on aura tendance à entendre ceci [une balle de pistolet ricoche] dans un western et ce genre de bruit [un vaisseau spatial passe devant nous] dans un film de science-fiction. Même si des exceptions sont toujours possibles.
Le Manoir du Diable de Georges Méliès est considéré comme le tout premier film d'horreur de l'histoire du cinéma. © Youtube, Das Dokument des Grauens
Ces sons sont généralement diégétiques, c'est-à-dire qu'ils sont produits au sein de la narration par des objets, des personnes ou encore des animaux. Ils sont captés directement sur le tournage ou créés en post-production, et appartiennent à la diégèse, l'espace-tempsespace-temps dans lequel se déroule l'histoire. Ils sont à distinguer des sons extradiégétiques, comme une voix off ou une bande originale externes à la narration. Le film Dirty Dancing d'Emile Ardolino, par exemple, mélange des musiques diégétiques, jouées sur un tourne-disque ou sur scène, et des musiques extradiégétiques, notamment lorsque Bébé et Johnny s'entraînent à réaliser leur porté. Il existe aussi des bruitages extradiégétiques, plus rares, qui participent généralement à créer un effet de style, qui renforce le genre ou le propos du film. On retrouvera ainsi régulièrement ce bon vieux vinylevinyle qui dérape] dans les comédies, des drops dans les films d'action [un son grave baisse rapidement en fréquence, suggérant une chute], et dans le cinéma d'horreur, ça donne ça : [des soupirs fantomatiques, un rire démoniaque, l'écho d'une enfant qui chante, un son métallique aigu, quelques notes inquiétantes jouées au piano, le son étouffé d'une porteporte qu'on claque.]
Sons dans les films d'horreur
Même si vous n'êtes pas adepte de films d'horreur, vous connaissez sûrement déjà ces sons. Vous savez même probablement les interpréter intuitivement. Un [soupir] laissera deviner une présence fantomatique, apparaissant et disparaissant mystérieusement. Un [whoosh] accompagnera souvent le passage subreptice d'une ombre à l'écran. Et le fameux jumpscare, même s'il porte sur les nerfs de pas mal de monde, reste un incontournable du genre [un son brutal et métallique, destiné à faire bondir dans son siège].
Chaque film possède par ailleurs un vaste répertoire de sons diégétiques pour compléter l'ambiance et vous clouer au fond de votre canapé. [Craquement de parquetparquet], [porte qui grince], [cliquetis], des monstres qui se rapprochent de leurs proies dans Sans un Bruit, de John Krasinski... Peut-être que vous-même avez été marqué par un bruit issu de film d'horreur, un son que vous n'entendrez plus jamais de la même façon sans ressentir le picotement de la chair de poule sur votre échine. Si c'est le cas, partagez-le en commentaire, je suis très curieuse de savoir quels sons hantent vos nuits... Personnellement, mes trois préférés sont trois variations de sonneries : la [sirène] du Silent Hill de Christophe Gans, la [corne de brumebrume] dans The Lighthouse de Robert Eggers, et le barrissement [monumental et profond] des tripodes dans l'adaptation de La Guerre des Mondes par Steven Spielberg. [Un frisson de plaisir.] Délicieusement glaçants à tous les coups ! Alors justement, avant de parler de la manière dont certains de ces sons sont créés, je vous propose d'abord qu'on réponde à une question : pourquoi est-ce que ces sons nous font peur ?
Le film La Guerre des Mondes, de Steven Spielberg, doit beaucoup au travail du sound designer Micheal Babcock, qui a mêlé les sons d'un djembé et d'un didjeridoo pour créer le barrissement tonitruant des tripodes. © Youtube, Dreamworks (2005)
Le réflexe de sursaut acoustique
Je ne vais pas vous mentir, en me lançant dans l'écriture de ce script, je m'attendais à trouver pléthore d'études expliquant pourquoi notre cerveau redoute certains sons. Et ô combien m'étais-je « plantée » ! Les travaux de recherche sur la façon dont les sons nous effraient sont somme toute assez rares et j'ai dû passer une bonne journée à écumer la littérature scientifique pour essayer de comprendre quels mécanismes entrent en jeu lorsqu'on regarde - ou plutôt qu'on écoute - un film d'horreur. Voici ce que j'ai découvert. Tout d'abord, un petit rappel de base : même si elle est souvent plutôt désagréable à ressentir, la peur est un ingrédient essentiel de notre survie. Ce n'est pas juste une émotion négative qui nous cloue sous nos draps ou nous fait sursauter sans raison, c'est une adaptation évolutive sans laquelle l'histoire de l'humanité aurait été... de bien courte duréedurée.
Quand on parle de son et de peur, le premier sujet à aborder est donc celui du réflexe de sursautsursaut acoustique. Autrement dit, la fâcheuse tendance que l'on a de sursauter dès qu'on entend un bruit brusque ou menaçant. [Un craquement de tonnerretonnerre.] Quand votre cerveau se fait surprendre par un bruit, il réagit généralement avant même que votre conscience n'ait eu le temps de recevoir l'info. Le signal auditif, transformé en [signal électrique] au niveau de votre cochlée, remonte le nerf auditif jusqu'aux noyaux cochléaires, qui analysent sa durée et son intensité. C'est là que votre cerveau, ou plus précisément votre tronc cérébral, détecte que quelque chose ne va pas. Il active directement le noyau réticulaire pontin caudalcaudal, impliqué dans le mouvementmouvement de la tête, et les neurones moteursneurones moteurs du reste du corps, et à peine une fraction de seconde après la survenue du son, votre corps sursaute [une personne sursaute en criant].
Ce sursaut, il a été décrit en détail en 1932 par les chercheurs Carney Landis et William Hunt. En moins de 50 millisecondes après le choc initial, vos yeuxyeux clignent pour se protéger d'un éventuel impact. Vous projetez votre tête vers l'avant, bouche ouverte en forme de O, probablement pour vous permettre de prendre une grande inspiration en préparation d'une fuite ou d'un combat possible. Vos épaules se soulèvent et s'avancent également, vos bras s'écartent de votre corps, vos coudes se replient et vos avant-bras tournent vers le sol dans un mouvement que l'on appelle pronation, possiblement pour protéger vos veines et vos vaisseaux. Mais attendez, ce n'est pas fini. Vos doigts eux aussi se replient, votre buste s'avance dans la cage protectrice créée par vos bras, votre abdomen se contracte et enfin, vos genoux fléchissent. Bref, même si ça peut nous sembler incongru ou amusant chez certains animaux, force est de reconnaître qu'on ressemble à un hérisson qui se roule en boule pour se protéger. Dans la fraction de seconde qui suit, vos yeux se rouvrent et vos sourcilssourcils se soulèvent au maximum pour vous permettre de bénéficier d'un champ de vision maximal et d'estimer d'où est venue la menace. Vos pupilles sont dilatées par l'activation du système nerveux sympathiquesystème nerveux sympathique, situé dans la partie centrale de votre moelle épinièremoelle épinière, et la libération d'adrénalineadrénaline et de noradrénalinenoradrénaline dans votre sang [accélère votre rythme cardiaque] et votre sudationsudation [un bruit humide]. Ça y est, votre système de défense « Fight or Flight » (combat ou fuite) est pleinement déployé, tout ça en moins d'une seconde. Pas mal non ?
Ah, et si vous vous retrouvez à jurer comme un charretier après avoir eu la peur de votre vie, pas d'inquiétude, c'est normal. Ce genre de sursaut s'accompagne souvent de coprolaliecoprolalie, le nom scientifique que l'on donne aux gros mots. Je n'ai pas trouvé d'explication précise sur la raison de ce relâchement du frein social quand on a peur, mais des études démontrent que les gros mots ont tendance à renforcer les réactions associées au système de « Fight or Flight » et qu'ils nous aident également à mieux supporter la douleurdouleur. C'est à se demander si les humains préhistoriques avaient eux aussi appris à jurer pour gérer leur stressstress [un grognement surpris et incompréhensible]. Quoi qu'il en soit, l'objectif du réflexe de sursaut acoustique, et du sursaut en général, c'est de protéger vos organes vitaux et de vous préparer à la confrontation avec un danger. Depuis la première fois que nos ancêtres ont entendu le tonnerre jusqu'à aujourd'hui, où un jumpscare nous fait bondir dans notre canapé, la réaction de notre corps est restée la même.
Stupeur et hurlements
Allez, une devinette pour faire passer toutes ces informations. À qui doit-on le premier jumpscare de l'histoire du cinéma ? Orson Welles, Alfred Hitchcock ou John Carpenter ? [Le tic-tac d'un minuteur, puis une sonnerie.] C'est en 1941, avec son célèbre Citizen Kane, qu'Orson Welles introduit le jumpscare à l'écran. Vers la fin du film, une [scène de dialogue] est interrompue par l'image spectrale d'un cacatoès poussant un [cri perçant]. Lorsqu'un journaliste lui demandera des années plus tard quelle était la signification de cette interruption, Welles répondra : [« That was to wake up the audience »]. C'était pour réveiller le public. Sacré Welles !
Le premier jumpscare de film d'horreur, on le trouve l'année suivante dans le film La Féline de Jacques Tourneur, produit par Val Lewton, et c'est au monteur Mark Robson qu'on le doit. [Le personnage d'Alice Moore marche dans une rue sombre alors qu'elle rentre chez elle. L'impression d'être suivie la pousse à accélérer le pas, la tension monte alors qu'un bruit de moteur se fait entendre au loin, et soudain un bus entre dans le cadre et freine juste devant elle dans un bruit strident.] Ce type de jumpscare, provoqué par un objet ou une situation inoffensive, c'est ce que l'on surnommera plus tard un « bus de Lewton », en référence au producteur du film. Si la technique devait sembler novatrice et excitante à l'époque, de nos jours elle est plutôt jugée comme un cliché usé jusqu'à la corde. Aujourd'hui, un film d'horreur typique contient en moyenne 10 jumpscares contre à peine 2,6 dans les années soixante. Mais ce n'est pas la seule technique qui se soit répandue.
Le tout premier « bus de Lewton », un véritable bus faisant irruption dans cette scène de La Féline, de Jacques Tourneur, mis en sons par Mark Robson et produit par Val Lewton. © Youtube, Warner Bros. (1942)
Un autre son qui a tendance à nous mettre les nerfs en vrille, c'est le cri. Le cri de peur ou de colère est un signal reconnu universellement - à moins que votre amygdale, le centre de la peur dans votre cerveau, n'ait été endommagée. Il appartient à la catégorie des sons dits « non linéaires », un bruit déformé, rugueux et dans l'ensemble assez déplaisant pour l’oreille humaine. C'est une [personne qui hurle dans la nuit], [le cri glaçant d'un animal blessé], [une enceinte qui sature] ou encore le [murmure fantomatique] d'un sifflet de la mort aztèque, qui aurait été utilisé lors de rituels religieux en lien avec l'inframonde. Depuis la nuit des temps, notre cerveau est conditionné à réagir intensément et rapidement à ces signaux de détresse. Des scientifiques ont même découvert que les êtres humains répondaient plus souvent aux cris des enfants s'ils comportaient des traits non linéaires.
Alors, les cris sont bien évidemment une composante incontournable du cinéma d'horreur, mais il y a d'autres façons de les suggérer via le son. À cause de restrictions budgétaires, le compositeur Bernard Herrmann ne disposait que d'un petit ensemble d'instruments à cordes pour réaliser la musique du film PsychosePsychose, d'Alfred Hitchcock. Il a pourtant su faire de cette limitation une force en composant ce que l'on peut légitimement présenter comme la bande originale la plus connue de l'histoire du cinéma. [Des notes dissonantes jouées par à-coups sur des violons.] Les musiciens frappent leur violon de coups d'archet, émulant la violence de Norman Bates à l'écran. Les accords sont dissonants et les instruments ont été préalablement munis de sourdines pour dénuer leur son de toute émotion et de toute chaleurchaleur. Il en résulte une musique glaçante, un cri musical qui se mêle aux [cris de terreur] de Marion Crane alors qu'elle vit ses derniers instants. C'est du pur génie !
La peur de l'inconnu
Il existe encore d'autres manières, plus subtiles, d'instiller la peur dans l'esprit d'un spectateur. Par exemple, en créant de l'incertitude ou de l'ambiguïté. Si vous êtes doté·e d'audition - et d'une amygdale fonctionnelle -, vous êtes sûrement déjà resté·e immobile, le cerveau en alerte et une sensation désagréable au creux de l'estomacestomac, après avoir entendu un bruit étrange chez vous. C'était peut-être un bruit que vous jugiez normal, mais dont vous n'arriviez pas à déterminer la source [un bruit de chute sourd] : incertitude ; ou un bruit que vous ne parveniez pas tout à fait à identifier, entre [courant d'airair et murmure] : ambiguïté. Pour les amoureux des mots, sachez que quand la source d'un bruit n'est pas directement visible, on parle de son acousmatique. Les sound designers jouent beaucoup avec ce type d'anomaliesanomalies, qui s'immiscent dans l'environnement sonore en déstabilisant le spectateur. Cette ambiguïté et cette incertitude peuvent activer notre peur de l'inconnu, une réaction biologique qui à son tour sollicite notre amygdale et le cortex préfrontalcortex préfrontal ventromédian, impliqué dans le traitement du risque et de la peur.
Allez, un petit dernier pour la route. Saviez-vous qu'on a tendance à surestimer la vitessevitesse à laquelle [des pas se rapprochent de nous] ? Afin de nous préparer à la confrontation, notre cerveau de primateprimate amplifie le signal de la menace pour nous donner l'impression qu'elle est plus proche qu'en réalité. Notez que si je parle de primate, c'est parce qu'encore une fois, ce biais auditif était déjà présent chez nos ancêtres. On le retrouve même chez les macaques rhésusmacaques rhésus, plus éloignés de nous que les chimpanzés ou les bonobos. En fait, notre cerveau traite même différemment les sons qui s'approchent de ceux qui s'éloignent, peu importe leur nature. On est en permanence prêts à identifier un danger. C'est comme ça que même une simple [note montante] peut nous filer les jetonsjetons. Comme un son devient plus aigu à mesure que sa source se rapproche de nous, nous l'interprétons comme un danger imminent. Enfin, ce dernier point, c'est mon interprétation, parce que je n'ai rien trouvé de précis sur ce sujet. Pour tout le reste par contre, je vous invite à consulter les liens en description, vous y retrouverez toutes les études et les articles que j'ai mentionnés. Après une courte pause, je vous propose de découvrir comment certains sons de films d'horreur sont créés, et vous allez voir que dans ce domaine, l'ingéniosité humaine n'a rien à envier aux ordinateursordinateurs.
Bruiteurs, sound designer, doubleurs : les métiers de l'ombre
Derrière quasiment chaque bruitage de film d'horreur se cachent un ou plusieurs sons issus du monde réel. Même si les évolutions technologiques des dernières années nous ont permis d'étendre le répertoire des sons qu'il est possible de créer pour le cinéma, la plupart des bruits que vous entendez, même les plus surnaturels, sont ancrés dans la réalité. [Un boum profond, utilisé fréquemment dans les films d'horreur.] Ça, c'est le battement d'une grosse caisse auquel on a rajouté de la réverbération, de la compression et dont on a changé la hauteur. [Un son redoutable, comme un ensemble de cuivrescuivres s'unissant pour produire le brame d'une créature gigantesque.] Aaaah, ça c'est un braaam, à écrire avec trois « a ». C'est une superposition de plusieurs instruments, cuivres, percussions ou encore instruments à cordes, qui donnent l'impression d'être face à une créature ou une situation redoutable. Ok, plus difficile, et si on prenait le bruit du TT. Rex dans Jurassic Park ? [Un grognement mêlé d'un cri perçant.] Eh bien ça, figurez-vous que c'est le mélange d'un grognement de tigretigre, d'un mugissement de crocodilecrocodile et du barrissement d'un bébé éléphant. Quant au [cliquetis du Prédateur] ? C'est à la seule voix de l'acteur canadien Peter Cullen qu'on le doit.
Depuis Inception, de Christopher Nolan, le BRAAAM s'est immiscé dans de nombreuses bandes-annonces comme astuce pour renforcer l'attention du spectateur. © Youtube, Metzae
Les bruiteurs, sound designers, et même les doubleurs sont de véritables artistes dont la contribution est trop souvent ignorée. Probablement parce qu'un bon bruitage, c'est celui dont on ne remarque pas l'artifice. Et pourtant, un film d'horreur ne serait rien sans bruit. D'aucuns sont même prêts à défendre l'idée que c'est le genre dans lequel le son joue le rôle le plus important. Et parce qu'il navigue entre le réel et l'imaginaire, comme la fantasy ou la science-fiction, le cinéma d'horreur peut se permettre des libertés créatives qui le poussent à innover continuellement, à exploiter et réinventer les sons qui nous entourent, à mettre à profit les instruments de musique existants pour créer des ambiances et à inventer de nouveaux outils pour produire des effets sonores uniques. Alors, je vous propose d'explorer pêle-mêle quelques-uns de ces sons et le contexte qui les entoure. À noter qu'aucun d'entre eux n'a été modifié sur ordinateur, tous ont été enregistrés tels quels.
Voyage au pays des sons d'horreur
[Un paysage de forêt au crépusculecrépuscule, des grenouilles chantent près d'un lac.]
Imaginez. Après une chaude journée d'été, vous êtes allé·e vous promener le long du lac, perdu au milieu de la forêt, non loin de chez vous. Avec [l'air frais] qui vous soufflait sur le visage et les dernières lueurs du crépuscule, vous n'avez pas vu le temps passer. Mais il est désormais près de onze heures du soir et vous décidez de rentrer chez vous. [Vous vous levez et commencez à marcher.] Vous empruntez le sentier par lequel vous êtes arrivé·e, mais à mesure que vous avancez, les frondaisons deviennent plus denses, la lumière plus rare et le chemin de moins en moins familier. [Vos pas s'interrompent.] Vous plissez les yeux pour essayer de distinguer un arbrearbre ou un panneau qui vous permettrait de vous y retrouver. Ce vieux hêtrehêtre au tronc tortueux vous dit quelque chose, alors vous [bifurquez et vous enfoncez plus profondément dans la forêt] dans l'espoir de retrouver la route. Soudain, au détour d'un fourré, [un groupe d'oiseaux s'envole en poussant des cris aigus]. Ou peut-être est-ce le son du trautonium, un étrange instrument inventé en 1929 par l'Allemand Friedrich Trautwein. Ressemblant à l'enfant illégitime d'un orgue et d'un standard téléphonique, son clavierclavier consiste en deux lames métalliques, courant sur toute la longueur de l'instrument. Le musicien en joue en faisant glisser ses doigts le long de ces rails pour changer de note et en les pressant pour obtenir un son plus ou moins fort ou créer un vibrato. Il en possède généralement de bien plus harmonieux que cela [une musique jouée en glissando, émouvante et mélancolique], mais dans le cas présent, ce que vous entendez, ce sont les oiseaux créés par le virtuose du trautonium Oskar Sala pour le film d'Alfred Hitchcock, Les Oiseaux [des oiseaux volettent en tous sens et semblent se heurter aux barreaux d'une cage]. Le son résultant est métallique, dérangeant, sans familier sans être tout à fait naturel. Pas étonnant que votre réflexe de sursaut acoustique se soit enclenché !
Vous [reprenez votre chemin] et au bout de quelques minutes vous tombez sur un panneau. Il fait trop sombre pour discerner ce qui est écrit dessus, mais c'est alors que vous avez l'idée de prendre votre portable, pour illuminer l'écriteau, mais aussi, avec un peu de chance, demander à votre GPSGPS de vous sortir de ce mauvais pas. Vous [plongez la main dans votre poche], et là... [Un son métallique, comme le soupir d'une plaque de métalmétal frottée par un archet.] Vous vous apercevez que vous l'avez oublié près du lac, alors que le grincement extradiégétique d'un Mega Marvin donne une voix au sentiment de panique qui s'empare de vous. Le Mega Marvin, c'est probablement le plus intrigant des outils créés à ce jour pour produire des sons d'horreur. Il est le fruit du travail d'Adam Morford, le créateur de l'atelier Morfbeats, dont l'objectif est de produire de nouveau sons, avec des instruments qui donnent l'impression de venir tout droit d'une autre planète. Le Mega Marvin est une sorte d'immense cloche triangulaire en métal d'où partent une multitude de ressorts, certains tendus comme des cordes à linge, et au-dessus de laquelle des câbles pendent mollement, à la manière des lignes téléphoniques laissées à l'abandon. Son seul aspect a quelque chose de sinistre, mais ce n'est rien comparé aux [grincements], aux [grondements] et aux [crissements] qui émergentémergent de ses entrailles. Si vous le pouvez, je vous recommande vivement d'aller voir une vidéo du Mega Marvin en action, je vous mets le lien vers l'une d'entre elles en description.
Le Mega Marvin en action sous la main d'Adam Morford, créateur du studio Morfbeats. © Youtube, Morfbeats
Mais avant de vous installer confortablement devant votre écran, il va falloir que vous sortiez de cette forêt. Vous décidez de laisser votre portable derrière vous, il fait trop sombre pour revenir en arrière. Votre priorité maintenant, c'est de rentrer. Vous palpez la surface du panneau devant vous et sentez sous vos doigts le relief des lettres, des chiffres et des symboles gravés dans le boisbois. Avec soulagement, vous arrivez à déchiffrer le nom du parking par lequel vous êtes arrivé·e. Une flèche vous indique de prendre à droite et un chiffre accompagné de deux lettres vous annonce que vous n'êtes plus qu'à un kilomètre du but. Reprenant courage, vous vous remettez à [marcher d'un bon pas], convaincu·e cette fois que vous serez tiré·e d'affaire dans une dizaine de minutes tout au plus. L'obscurité est devenue quasi impénétrable et le silence n'est que ponctuellement rompu par le [craquement d'une brindille] ou le chantchant lugubre d'un oiseauoiseau [une chouette] prêt à entamer sa chasse nocturnenocturne. Lorsqu'un [hurlement ressemblant à celui du loup] résonne soudain comme dans une cathédrale, [vous vous mettez à courir]. Pas de raison de vous inquiéter pourtant, ce n'est qu'un plongeon huardplongeon huard, un oiseau aquatique d'Amérique du Nord. Bon, c'est vrai, je vous l'accorde, son chant mélancolique a souvent été utilisé au cinéma pour créer une ambiance inquiétante. On le retrouve dans Platoon, Godzilla, Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban, ou encore l'adaptation de 2019 de Simetierre, de Stephen King. [Un nouveau cri du plongeon huard.] Les sound designers l'adorent et ils n'hésitent pas à l'utiliser dans tous les contextes, à la grande frustration des ornithologuesornithologues, qui savent pertinemment qu'un plongeon huard n'a rien à faire dans la forêt interdite de Poudlard, puisqu'il ne vit pas en Angleterre.
Oiseau ou pas, vous n'en avez plus rien à faire. [Vos jambes vous entraînent à toute vitesse] tandis que le sang bat à vos oreilles. La panique vous fait tourner la tête mais vous essayez de garder l'équilibre en maintenant votre regard droit, fixant inutilement le voile sombre qui vous entoure. [Un cliquetis régulier émerge, accompagné d'un grincement sinistre.] Vous entendez ? C'est la voix l'Apprehension Engine, la machine de la peur, le moteur de l'angoisse, un instrument commandé par le compositeur Mark Korven. Vous avez peut-être entendu son travail dans The Witch ou The Lighthouse, de Robert Eggers. La machine a été construite par le luthier Tony Duggan-Smith et permet d'explorer la frontière ténue qui sépare le sound design de la composition musicale. [Vous courez à nouveau.] Vous apercevez une lumière, puis deux, qui traversent votre champ de vision, ce sont des voituresvoitures, pas de doute ! Vous refusez de ralentir tant que vous n'aurez pas atteint la route. Vous [hâtez le pas], trébuchant à de multiples reprises, la gorge brûlante [haletant] et vos vêtements trempés de sueur. Vous y êtes presque, vous apercevez les étoilesétoiles et une grande étendue plus claire et lisse devant vous. Vous [dépassez les derniers arbres] et le son nauséeux d'un waterphone résonne alors que vous vous apercevez que vous êtes de retour sur la rive du lac [un son métallique creux, vibrant de manière inquiétante]. Ça ne vous remontera probablement pas le moral si je vous dis que cet instrument, composé de tubes d'acieracier arrangés en cercle autour d'un bol rempli d'eau, a non seulement servi dans des films d'horreur comme l'Amityville de Stuart Rosenberg, mais qu'il a également été utilisé par l'artiste et activiste Jim Nollman pour jouer de la musique à des orquesorques ? Bon, au moins, maintenant, vous avez votre portable, et vous allez pouvoir rentrer chez vous. [Des bruits de pas s'éloignent, les sons de la forêt s'évanouissent.] Je vous propose de faire une courte pause pour reprendre vos esprits. On se retrouve juste après pour la dernière partie de cet épisode, où on essaiera de comprendre pourquoi on aime tant se faire peur.
Pourquoi aime-t-on se faire peur ?
Que ce soit au cinéma, dans une maison hantée de fête foraine, sur un grand huit ou autour d'un feufeu de camp, l'être humain a inventé un paquetpaquet de façons de se faire peur, seul ou en groupe. Pourtant, même si elle est indiscutablement essentielle à notre survie, comme on l'a vu, la peur n'est pas franchement une émotion agréable à ressentir, si ? Quel plaisir peut-on prendre à craindre pour sa vie et à sentir son corps se tendre à la moindre menace ? C'est pour trouver les réponses à ces questions qu'a été fondé le Recreational Fear Lab, le laboratoire de la peur récréative, à l'université d'Aarhus, au Danemark. Sur place, une équipe de chercheurs dirigés par Mathias Clasen étudie notre relation à la peur, depuis les contes de monstres et de sorcières qu'on se raconte en maternelle, jusqu'aux films d'horreur les plus terrifiants que l'on regarde pour satisfaire son besoin d'adrénaline. Comme son nom l'indique, le Recreational Fear Lab se concentre uniquement sur la peur que l'on recherche, celle qui nous nourrit, nous excite ou nous rend plus forts. Car, d'après les scientifiques, regarder des films d'horreur ou se faire peur à HalloweenHalloween, c'est une forme d'entraînement psychologique qui nous aide à affronter des problèmes dans la vie réelle.
Dans une étude de 2020, Mathias Clasen et ses collègues révèlent que nous avons tendance à regarder des films d'horreur comportant des menaces que nous jugeons plausibles. Ainsi, les personnes ayant tendance à croire au paranormal se tourneront vers des histoires de fantômes, de vampires et de possessions, tandis que les autres graviteront vers des histoires plus ancrées dans la réalité. Le film nous permet de nous confronter à ces peurs depuis la sécurité de notre canapé, ou du moins, si l'on est autour d'un feu de camp, avec la relative assurance que rien ne pourra nous arriver. C'est une façon pour notre cerveau de simuler comment il réagirait à ces situations sans courir le moindre risque en cas d'erreur. Certains scientifiques soutiennent d'ailleurs que les rêves assurent la même fonction, c'est ce qu'on appelle la théorie de la simulation de la menace (ou TSM). Vous auriez tendance à faire plus de cauchemars lorsque vous êtes exposé à un danger dans le monde réel. Même si ce danger est simplement d'arriver en retard lors de votre premier jour de cours [une sonnerie de réveil]. Mais alors, est-ce que cette technique d'entraînement par les films, qu'elle soit consciente ou inconsciente, fonctionne vraiment ? Eh bien, c'est ce que semblent indiquer les résultats d'une autre étude de 2020 dirigée par Mathias Clasen, dans laquelle son équipe a fait une découverte intéressante. Ils ont rassemblé 310 participants et les ont questionnés, d'une part, sur le type de films qu'ils avaient l'habitude de regarder et de l'autre sur leur état psychologique face à la pandémiepandémie de Covid-19Covid-19, qui venait d'être déclarée à peine un mois plus tôt. Leur analyse a révélé que les fans de films d’horreur avaient été moins stressés par la crise sanitairecrise sanitaire, et que les adeptes de films de pandémie, en particulier, s'étaient sentis mieux préparés à affronter cette situation inhabituelle et anxiogène.
Contagion, de Steven Soderbergh, a été l'un des films les plus vus durant la pandémie de coronavirus. © Youtube, Warner Bros (2011)
Alors, si vous avez évité le cinéma d'horreur jusqu'à présent, qui sait, peut-être vous aurais-je convaincu·e de lui donner une chance. S'il a malheureusement souffert jusqu'à peu d'une mauvaise réputation, les choses sont en train de changer. Grâce à des réalisateur·ice·s comme Jordan Peele, Ari Aster, ou Julie Ducournau, qui n'hésitent pas à dépoussiérer le genre, même les critiques les plus élitistes commencent à reconnaître les mérites d'un bon film d'épouvante. Il existe des films d'horreur pour tous les goûts, humoristiques ou sérieux, psychologiques ou sanguinolents, gothiques ou futuristes, folkloriques ou réalistes, alors ne leur fermez pas tout de suite la porte parce que Jason ou Carry ne sont pas votre tasse de thé. Personnellement, je trouve dans les films d'horreur que j'affectionne une profondeur philosophique, une intensité émotionnelle et une esthétique symbolique que d'autres genres plus terre à terre ne peuvent pas toujours se permettre. Ouais, rien que ça. Et pourtant, je peux vous garantir que je les ai fuis pendant des années. Du coup, si vous souhaitez partir à la découverte de vos peurs, je vous ai compilé une liste de mes films préférés, à retrouver en description. Et s'il se trouve qu'on n'a pas les mêmes goûts, eh bien, je vous invite à demander aux personnes qui vous connaissent bien, de vous suggérer des films qui vous correspondraient. Si vous avez déjà été converti·e·s à l'horreur, n'hésitez pas à partager vos recommandations en commentaire, et je les ajouterai à la liste. J'espère que cet épisode aura satisfait votre curiosité ou donné envie d'aller découvrir toujours plus de choses. Je pars en vacances fin juillet donc je vous retrouve dans trois semaines pour le prochain épisode d'INFRA. Pensez à vous abonner et à parler de ce podcast autour de vous pour l'aider à grandir, et d'ici là, écoutez le monde autrement.
Un dernier fun fact pour vous qui avez écouté cet épisode jusqu'au bout. Vous connaissez probablement le cri iconique de Godzilla, le kaijū apparu pour la première fois au cinéma en 1954 [un cri strident]. L'histoire raconte que c'est le compositeur du film, Akira Ifukube, qui l'aurait créé, en frottant des gants couverts de résine sur les cordes d'une contrebasse, puis en ralentissant l'enregistrement obtenu. De quoi le rendre peut-être un peu moins terrifiant, la prochaine fois que vous verrez le film.