Si, collectivement, nous faisons relativement confiance aux scientifiques et aux connaissances qu'ils produisent, individuellement, certains facteurs peuvent nous pousser à douter de ces dernières. Quels sont-ils et que faire contre cela ? Trois Canadiens, chercheurs en psychologie, tentent d'esquisser des réponses à ces deux questions.
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Le phénomène n'est pas nouveau, mais les exemples ne manquent pas actuellement : déni du changement climatiquechangement climatique d'origine anthropique, anti-vaccinisme, promotion de traitements inefficaces... La défiance envers les résultats de la science est bien présente. Néanmoins, cette défiance n'est pas toujours fondée. La plupart du temps, c'est en utilisant leurs théories personnelles ou des indices provenant de leur environnement que les individus en viennent à rejeter certains résultats scientifiques.
Quels signaux nous font douter ?
Les auteurs de l'article paru dans Proceeding National Academy of Science théorisent un cadre inclusif pour essayer de comprendre cette défiance. Ils suggèrent que les indices de notre environnement peuvent nous faire douter de quatre choses distinctes : la source (ou l'émetteur) du message scientifique, le récepteur de ce message (l'individu défiant lui-même), le message scientifique et ce que philosophes et psychologues nomment le stylestyle épistémique.
La source d'un message scientifique est généralement remise en cause lorsqu'elle n'est pas digne de confiance, s'exprime au-delà de son domaine d'expertise ou encore si elle paraît biaisée ou manquer de crédibilité. Le récepteur, quant à lui, peut douter d'un message scientifique pour de nombreuses raisons dont la protection de son identité sociale (par exemple, faire partie d'un groupe radicalement anti-science ou faire partie d'une communauté négligée par le travail scientifique) ou encore conserver sa liberté qu'il croit être menacée -- on parle d'effet de réactance.
Le message scientifique en lui-même va généralement être fragilisé parce qu'il vient remettre en question les croyances des individus tant sur le plan épistémique (ce qu'ils croient être vrai ou non), sur le plan comportemental (si l'évidence est présentée comme un bénéfice ou comme un risque) ou sur le plan moral (ce qu'ils croient être bien ou mal). On aboutit alors à ce qu'on appelle une dissonance cognitive en psychologie, c'est-à-dire un état généralement désagréable, où nous devons résoudre un conflit interne entre une information contradictoire et ce que nous croyons.
Enfin, il est fait mention du fait que les styles épistémiques des individus peuvent jouer un rôle dans une attitude anti-science. La théorie des styles épistémiques est une théorie qui tente de rendre compte d'un problème : celui de la variabilité avec laquelle nous interagissons avec les évidences scientifiques. Par exemple, certains peuvent se représenter certaines évidences comme des construits théoriques (typiquement le changement climatique) considérant le problème comme relativement éloigné et abstrait, d'autres ont besoin de connaissances avec une marge d'incertitude très faible (on appelle cela le need for closure) ou encore d'arguments peu complexes (on appelle cela le need for cognition).
Que pouvons-nous faire contre cela ?
Plusieurs solutions sont évoquées par les auteurs pour faire face à chaque type de problème. Tout d'abord, en matièrematière de communication, il convient de faire ressentir les buts pro-sociaux de l'activité scientifique et d'utiliser un langage simple. Aussi, il ne faut pas éluder les hypothèses auxiliaires d'un revers de la main mais bien expliquer pourquoi une évidence est considérée comme telle.
Concernant les problématiques reliées à l'identité sociale, il est important de rassembler à l'aide d'une identité supérieure à laquelle le travail scientifique nous relie toutes et tous, et de participer à inclure de plus en plus les minorités marginalisées au sein du travail scientifique. Contre la dissonance cognitive, les solutions proposées sont plus modestes, en se concentrant sur des compétences liées au raisonnement critique en oubliant de mentionner les dispositions à utiliser. Enfin, délivrer les messages scientifiques les plus en accord avec le style épistémique des individus auxquelles nous nous adressons semble revêtir une importance toute particulière, et cette piste semble encore largement négligée dans la communication des méthodes et des résultats scientifiques.