Un article et deux éditoriaux viennent de paraître dans de prestigieux journaux scientifiques pour dénoncer l'immersion de la politique dans le champ scientifique lors de cette pandémie.
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Le 5 octobre, c'est la revue Nature qui ouvre le bal. Suivie le 6 octobre par le British Medical Journal et enfin le New England Journal Of Medicine le 8 octobre. Trois prestigieux journaux scientifiques dénoncent avec une rare amertume, et une colère perceptible, la gestion catastrophique de la pandémie par le gouvernement des États-Unis et les interférencesinterférences politiques dans le domaine de la santé publique dans des pays comme le Brésil, l'Inde ou encore le Royaume-Uni.
Les masques tombent, bien que très peu portés
Plus de sept millions d'infections et plus de 200.000 décès. C'est le constat sombre qui est celui des États-Unis. Un taux de décès deux fois supérieur à celui du Canada. Cinquante fois supérieur à celui du Japon. Le pays est parmi les cinq nations les plus gravement touchées par la pandémie de Covid-19. Par la défiance qu'il a alimentée, ce gouvernement est, semble-t-il, responsable de décès qui auraient pu être évités. Même si, comme le rappelle Jeff Tolefson dans son article pour Nature : « quantifier la responsabilité de Donald Trump et de son administration dans les décès et les maladies à travers le pays est difficile, et d'autres pays riches ont eu du mal à contenir le virus ». Ce gouvernement a aussi certainement entraîné ou alimenté les braises d'une défiance envers la science déjà bien installée - et il n'a pas attendu la pandémie pour cela. En effet, on a pu voir que le port du masque était ridiculisé mais, plus grave encore, que des stratégies politiques ont été utilisées à des fins de manipulations des conseils scientifiques délivrés par les agences sanitaires américaines. Enfin, il ne possède aucune excuse pour se défendre, étant donné que le pays était sans doute l'un des mieux équipés en matièrematière de technologies et d'excellences scientifiques pour faire face à une telle pandémie.
« Nous avons échoué à presque chaque étape », déplorent les éditeurs du New England. C'est la toute première fois que des journaux scientifiques sortent de leur réserve habituelle dans l'objectif assumé de faire échouer l'élection d'un Président. Les éditeurs du New England déclarent ceci : « Quiconque gaspillerait imprudemment des vies et de l'argentargent de cette manière subirait des conséquences juridiques. Nos dirigeants ont largement revendiqué l'immunité pour leurs actions. Mais cette élection nous donne le pouvoir de juger ». Dans l'article de Nature, on peut lire ceci : « Une grande partie des dommages causés à la science - y compris les changements réglementaires et la rupture des partenariats internationaux - peuvent et seront probablement réparés si Trump perd en novembre. » La science prend parti contre ses détracteurs, et c'est sans doute une bonne chose.
Les autres mauvais élèves
D'autres pays sont enclins à se rebeller contre les données et les conseils qui émanent de la communauté scientifique. Par exemple, le président du Brésil avait littéralement incendié son Premier ministre pour avoir défendu les mesures de distanciation sociale. Mesures qui auraient peut-être pu permettre d'éviter la transformation de la plage de Copacabana en cimetière symbolique. Celui de l'Inde considérait que les médias étaient trop pessimistes vis-à-vis de l'épidémie. Boris Johnson, au Royaume-Uni, avait soutenu les infractions au confinement de son conseiller principal et avait empêché sciemment les journalistes d'interroger son conseiller scientifique pour commenter cette prise de position. Actuellement, le Brésil, l'Inde et le Royaume-Uni sont, respectivement, à la deuxième, troisième et cinquième place concernant le plus grand nombre de décès de la Covid-19. « Comment expliquer la déconnexion entre les faits sur le terrain dans ces pays et le récit de la réalité par leurs dirigeants ? », se demandent les deux chercheurs qui ont publié leur éditorial dans le British Medical Journal.
Cohérence narrative et bon sens
C'est l'explication d'un philosophe, Jason Stanley, et d'un historienhistorien, Federico Finchelstein, pour ces phénomènes politiques. Jason Stanley relate dans une interview que « la seule autorité que possèdent ces différents personnages, c'est celle d'être un leader. Dès lors, l'autorité épistémique, autrement dit, celle de la connaissance scientifique, entre en conflit avec cette dernière. Elle est sans doute perçue comme une menace. De ce fait, les scientifiques sont considérés comme des adversaires politiques plutôt que comme des sources d'information sur ce que nous savons ou ne savons pas ».
Les auteurs de l'éditorial du British Medical Journal citent également une célèbre philosophe politique, Hannah Arendt et son ouvrage Vérité et politique où elle écrit ceci : « Une opinion indésirable peut être contestée, rejetée ou compromise, mais les faits importuns possèdent un entêtement exaspérant, qui fait que rien ne peut les contredire, sauf des mensonges évidents ». On constate d'ailleurs bien cela avec Donald Trump. Après avoir été infecté par le SARS-CoV-2, il réaffirme de plus belle son autorité, s'enlise dans des mensonges toujours plus grossiers et dangereux et ridiculise avec autant d'aplomb les gestes préventifs, comme en témoigne son refus de débattre à distance avec son adversaire politique, Joe Biden.
Mais les auteurs de l'éditorial du British Medical Journal sont décidément optimistes et c'est avec leur conclusion que nous finirons cet article : « les scientifiques ne doivent pas perdre espoir. Le président sud-africain Thabo Mbeki, un autre négationniste de la science, a refusé de fournir des médicaments antirétroviraux à ses citoyens, entraînant plus de 350.000 décès dus au sidasida. Et pourtant, après son départ, l'Afrique du Sud a relancé sa riposte contre le sida et dispose désormais du plus grand programme du monde contre le virus. C'est le modèle que nous pouvons utiliser pour restaurer la science de la santé publique. »