Une récente étude prospective trouve une association inverse entre manger bio et risque de diabète de type 2. Mais les conclusions des auteurs sont plus réservées que ce qu'on peut lire dans la presse.
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Ah, l'alimentation biologique ! Du haut de son piédestal, elle nous promet monts et merveilles pour notre santé. Ni une, ni deux, la presse s'empare de cette nouvelle : « Un risque moindre de diabète chez les consommateurs de produits bio » (Le Monde) ; « Manger des produits bio réduit le risque de diabète, selon une étude » (Ouest-France) ; « Les consommateurs de produits bio ont moins de risques d'avoir du diabète » (Top Santé)... Seul Santé Magazine a la décence de formuler son titre en question : « Moins de diabète de type 2 chez les consommateurs d'aliments bio ? »
Mais la réalité est bien plus complexe que cela. Déceler ce qui relève des bénéfices du caractère biologique de nos aliments est complexe. Tout ce que nous possédons à l'heure actuelle, ce sont des études de cohortes dont les résultats sont très mitigés, des études chez l'animal et des raisonnements mécanistes. Cette nouvelle étude, publiée dans International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity s'ajoute à ce faisceau de données. Que pouvons-nous en dire ?
Une énième étude prospective
Cette étude fait partie de la longue série d'études prospectives (suivre une population et observer l'association entre plusieurs paramètres dans le temps) déjà publiées et à venir, émanant des données de la cohorte nutri-net santé dont le recrutement a démarré en 2009. Elle s'attelle à enquêter sur les corrélations existantes entre la nutrition et l'état de santé. 170.000 personnes (dont une grande majorité de femmes) en font partie et sont régulièrement amenées à remplir des questionnaires à travers un site InternetInternet dédié. Ils renseignent les chercheurs sur un nombre considérable de variables qui seront prises en compte dans les analyses épidémiologiques par la suite.
Comme les autres, c'est une étude prospective. Dans l'introduction, les auteurs nous rappellent que la prévalence du diabète a augmenté de façon significative à travers le monde ces dernières années. Ils précisent que le diabète de type 2 est une maladie multi-factoriellefactorielle et que les rôles joués par le mode de vie et l'adiposité y sont centraux. Dès lors, cela justifie l'intérêt d'étudier quels facteurs du mode de vie sont associés ou non à cette pathologie afin de mieux cerner son étiologie.
Facteurs de confusion : la statistique contre-attaque
La question qui se pose alors est la suivante : manger bio est-il spécifiquement associé à un risque réduit de diabète de type 2 ? Si l'on en croit les résultats d'une récente étude américaine citée dans la publication, le fait de manger bio, ajusté pour les différents facteurs de confusion pertinents, réduirait le risque relatif de 20 % en moyenne de développer un diabète de type 2. Dans cette optique, les chercheurs ont souhaité apprécier la relation existante dans leur cohorte française. La fréquence de consommation des aliments biologiques a été évaluée par des questionnaires de même que la survenue du diabète. Tout cela est donc auto-déclaré.
Les investigateurs ont retenu pour leur analyse statistique 33.256 participants sur les 37.885 qui avaient répondu au questionnaire entre juin et décembre 2014 après avoir fait le tri entre les questionnaires mal remplis, les personnes ne vivant pas en France et celles qui avaient déjà un diabète de type 2 au commencement de l'étude. Le suivi a duré quatre ans et 293 cas de diabète de type 2 ont été identifiés dans ce laps de temps, cela donne une incidence de 0,22 % par an (soit 147.400 par an ramené à la population générale) ; c'est un peu plus faible que l'incidence basale de la population générale française qui est de 0,27 % si l'on considère l'incidence fournie par Santé publique France en 2006 (178.000 nouveaux cas enregistrés de diabète qui excluent les diabètes non diagnostiqués). Les participants ont été répartis en cinq groupes, des plus petits consommateurs aux plus gros consommateurs de bio.
Les résultats qu'obtiennent les chercheurs sont les suivants :
- Une diminution relative significative de 36 % en moyenne (comprise entre -57 et -5 %) du risque de diabète de type 2 pour les plus gros consommateurs d'aliments bio en général comparée à ceux qui en consomment le moins et qui servent de référence lorsque le modèle statistique utilisé (le modèle de Cox, ici) est ajusté pour l'âge, le sexe, les antécédents familiaux de diabète, l'activité physiquephysique, la profession, l'état matrimonial, le niveau d'éducation, le revenu mensuel, le statut tabagique, l'adhérence aux recommandations nutritionnelles, l'apport énergétique et la consommation d'alcoolalcool. Cette diminution passe à 35 % en moyenne (comprise entre -57 et -3 %) lorsque le modèle prend en compte l'indice de masse corporelleindice de masse corporelle (IMC).
- Une diminution relative significative de 24 % en moyenne (comprise entre -48 et +10 %) du risque de diabète de type 2 pour les plus gros consommateurs de végétaux bio comparée à ceux qui en consomment le moins et qui servent de référence lorsque le modèle est ajusté pour la consommation totale de végétaux. Cette diminution passe à 23 % en moyenne (comprise entre -48 % et +12 %) lorsque le modèle prend en plus en compte l'indice de masse corporelle (IMC).
- Une diminution relative non significative de 16 % en moyenne (comprise entre -42 et +22 %) du risque de diabète de type 2 pour les plus gros consommateurs d'animaux bio comparée à ceux qui en consomment le moins et qui servent de référence lorsque le modèle est ajusté pour la consommation totale d'animaux. Cette diminution passe à 18 % en moyenne (comprise entre -44 et +19 %) lorsque le modèle prend en plus en compte l'indice de masse corporelle (IMC).
Les auteurs notent aussi que chaque augmentation de 5 % dans la part d'aliments biologiques consommés diminue le risque de diabète de type 2 de 3 % en moyenne. Mais, dans des analyses un peu plus poussées, on remarque qu'une partie de l'effet de l'alimentation biologique peut s'expliquer par la qualité de l'alimentation. Les effets directs du bio, autrement dit sans faire intervenir la qualité de l'alimentation, sur la réduction du risque tombent à 28 % en moyenne. Pour être encore plus précis, les chercheurs ont réalisé des analyses de sous-groupes et on constate notamment que chez les femmes, l'association persiste et est même encore plus marquée tandis que, chez les hommes, les plus gros consommateurs de bio ont plus de risques (+61 % en moyenne) non significatifs de développer un diabète de type 2.
Les hypothèses pour expliquer les résultats
Avant de passer aux résultats globaux, voyons comment les chercheurs expliquent ce différentiel marqué entre les hommes et les femmes.
Première hypothèse : la taille de l'échantillon. Il y a seulement 120 hommes dans cette analyse, ce qui limite cruellement d'une part la représentativité (le fait que l'échantillon soit comparable à la population générale) et d'autre part, la puissance statistique (le fait d'obtenir des résultats fiables en matièrematière d'intervalle d'incertitude).
Seconde hypothèse : une réponse dimorphique sexuelle à l'exposition aux pesticidespesticides. Pour justifier cette hypothèse, les scientifiques citent une étude prospective qui a suivi des enfants avant leur naissance jusqu'à leur adolescenceadolescence et des études sur l'animal. Dans l'étude prospective susmentionnée, la présence d'un gènegène spécifique et le fait d'être une fille rendraient plus sensibles à l'exposition aux pesticides en général ; elle est aussi corrélée à une augmentation du taux d'hémoglobinehémoglobine glyquée, qui est un marqueur clinique du diagnosticdiagnostic du diabète et du ratio leptineleptine/adiponectine, considéré comme un marqueur fiable de l'inflammation du tissu adipeux.
Cette hypothèse n'est pas dénuée d'intérêt. En effet, il fait maintenant consensus que l'exposition à des polluants organiques joue certainement un rôle dans la survenue de ces maladies. Pour autant, si l'on se fie à l'avis de la société endocrine à ce sujet, « la causalité n'est pour l'instant basée que sur des études animales, étant donné que la majorité des études d'observations sont transversales et que l'alimentation reste un facteur de confusion majeur ». Les experts concluent : « Par conséquent, bien que le poids de la preuve chez l'Homme soit suffisant pour suggérer un lien possible entre les perturbateurs endocriniensperturbateurs endocriniens et les troubles métaboliques pour établir une causalité solidesolide, nous avons besoin de nouvelles études, en particulier avec des perturbateurs endocriniens autres que les polluants organiques persistants, et incluant des essais d'intervention prospectifs dans des populations contrôlées ».
La teneur en antioxydants des aliments bio
Concernant les résultats globaux de leur analyse, les chercheurs formulent plusieurs hypothèses dont celle de la teneur en antioxydantsantioxydants des aliments bio. Selon les scientifiques, cela pourrait jouer un rôle marginal dans la réduction du risque observé. Dans l'examen complet de la littérature, cité pour justifier cette teneur plus élevée, cette dernière est considérée comme modeste. Dans un ancien article, nous avions aussi évoqué les facteurs de confusion qui pouvaient faire que le taux d'antioxydants ou de composés phénoliques ne soient pas spécifiques du mode de culture biologique.
La qualité des graisses des aliments bio
La seconde hypothèse pour expliquer ces résultats est celle de la qualité des acides grasacides gras : les produits animaux biologiques seraient plus riches en oméga 3oméga 3 qui joueraient un rôle dans le phénomène de résistance à l'insulinerésistance à l'insuline. Pour justifier cette affirmation, les auteurs se réfèrent toujours à l'examen complet de la littérature susmentionnée. Dans cette revue, seuls les produits laitiers sont considérés comme étant plus riches en oméga 3, des doutes forts subsistant concernant la viande. Mais cette hypothèse ne peut venir expliquer les associations observées et les auteurs le reconnaissent, étant donné que la réduction du risque devient non significative lorsqu'on regarde uniquement l'effet des produits animaux.
L'exposition aux pesticides de synthèse
Citées en préambule par les scientifiques, des données antérieures suggèrent qu'une exposition occasionnelle aux pesticides a été associée à des désordres métaboliques. En effet, dans la revue citée, des associations émanant d'études transversales, de cohortes et de cas cliniques existent entre les différents types de pesticides et le diabète, notamment concernant les composés organochlorés. De plus, des plausibilités biologiques existent concernant l'impact des pesticides en général sur le diabète de type 2 ou ces facteurs de risquesfacteurs de risques comme l'obésitéobésité. Le fait que la diminution du risque soit plus marquée lorsque l'on regarde uniquement l'effet des végétaux bio joue en faveur de cette explication. C'est, de fait, l'hypothèse favorisée par les chercheurs pour expliquer leurs résultats.
Les limites évoquées par les scientifiques en fin de leurs recherches ont déjà été citées dans l'article comme le fait que ce soit une étude d'observation, que la population ne soit pas représentative de la population générale, que l'incidence du diabète de type 2 y soit un peu plus faible que dans la population générale, le caractère auto-déclaratif des consommations et de l'état de santé, et la possibilité d'assister à des causalités inverses (un diabète subclinique déjà présent dont l'apparition clinique a été retardé par l'adoption d'une meilleure alimentation, par exemple) étant donné la courte période de suivi.
Et de conclure : « Cette étude prospective soutient une association inverse entre la consommation d'aliments bio, en particulier les aliments végétaux, et le risque de diabète de type 2, chez les adultes, en particulier les femmes. Des essais randomisésessais randomisés seraient utiles pour démontrer pleinement l'inférence causale, mais ces études d'interventions à long terme soulèvent des interrogations quant à la faisabilité logistique. Dans l'ensemble, d'autres investigations dans des études d'observations, dans d'autres contextes, et des essais contrôlés randomisés soigneusement conçus sont nécessaires pour reproduire ces résultats à des fins de confirmation et pour élucider les mécanismes sous-jacents. »
Des résultats qui animent un débat de société
Ces résultats ne résonnent pas dans la société comme dans un vase vide. Chaque individu a son point de vue, fondé ou non, sur le bio. Les questions essentielles auxquelles il faut répondre sont les suivantes :
- savoir dans quelle mesure réduire la quantité de pesticides de synthèse pourra, en dehors d'autres facteurs, faire baisser l'incidence du diabète de type 2 ;
- comparé cette taille d'effets à d'autres mesures, sur d'autres facteurs de risques du diabète de type 2 et aux ressources nécessaires pour agir ;
- hiérarchiser et décider ce qui, avec nos ressources limités, est le plus utile à faire pour réduire la prévalence du diabète de type 2 - sans oublier les conséquences systémiques et prévisibles sur d'autres problématiques comme la production alimentaire.
Sans avoir de réponses précises à l'heure actuelle, on peut reconnaître que les preuves concernant l'influence des aliments bio sur la santé sont assez minces. Pour autant, on peut le soutenir en raison du modèle social et de l'idéologie dans lequel le bio s'intègre. C'est ici que nous avons besoin de prendre de la hauteur par rapport au débat stérile et infécond des « pro » contre les « anti ». Néanmoins, le bio a cruellement besoin de s'extraire de son idéologie contre tout ce qui est synthétique car cette distinction n'est pas un caractère pertinent pour juger de la dangerosité des moléculesmolécules. N'oublions pas que l'agriculture biologiqueagriculture biologique utilise aussi des pesticides.
Pour éviter les discussions inutiles, il faut d'abord définir ce que nous souhaitons politiquement en matière de productivité, de compétitivité, de qualité nutritionnelle, de conditions de travail pour les agriculteurs, etc. Ensuite, nous devons conduire des études pour répondre aux questions évoquées en comparant différents modèles agricoles et en ne s'interdisant aucun outil, qu'il soit naturel, de synthèse ou artificiel. Enfin, nous devons laisser les faits scientifiques trancher sur les meilleures solutions à adopter pour atteindre les objectifs définis, cela même s'ils vont à l'encontre de nos convictions profondes.