Une équipe de chercheurs chinois vient de démontrer le caractère hédonique du soulagement au stress et caractérise certaines régions neuronales et des neurones spécifiques qui s’activent lors de ce phénomène chez la souris.
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Il vous est déjà probablement arrivé d'être anxieux dans l'attente de résultats médicaux. L'effet que l'on ressent juste après avoir été informé que tout va bien est difficile à décrire dans toutes ses dimensions, mais ce soulagement a comme un effet euphorisant. Que se passe-t-il dans votre cerveau à ce moment-là ? Et que se passerait-il si votre cerveau n'était pas capable de vous faire ressentir cet état ? Ce sont les deux principales questions auxquelles ont voulu répondre une équipe de chercheurs chinois dans un article paru récemment dans la revue Neuron. Pour l'analyser en détail, nous avons interrogé François Tronche, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Sorbonne Université, spécialisé dans l'étude du rôle de l’expression des gènes dans les comportements adaptatifs. Il s'intéresse notamment à l'impact des hormones du stress sur les neurones dopaminoceptifs et aux conséquences sur des comportements sociaux.
De l’étude de l’addiction à celle du soulagement
Historiquement, l'étude fine des neurones dopaminergiques de l'aire tegmentale ventrale (ATVATV) a principalement été réalisée pour répondre aux questionnements liés aux addictions : « Les neurones de l'ATV ont initialement été étudiés dans le contexte de la réponse aux droguesdrogues, probablement car cela fascinait les scientifiques de comprendre comment l'addiction à certaines moléculesmolécules pouvait modifier certains de nos comportements sur le long terme. Les régions étudiées dans cet article de recherche sont toutefois impliquées dans la modulationmodulation de nombreux comportements », explique François Tronche. Il est probable que le contexte historique de la « guerre contre la drogue » aux États-Unis ait également joué un rôle dans les financements et la prédominance de ce domaine d'étude.
Depuis, les techniques du génie biologique ont fait un pas de géant : « Aujourd'hui, on peut manipuler la quasi-totalité des paramètres d'un organisme vivant, par exemple grâce à de l'édition génétiquegénétique ciblée sur une seule cellule, en contrôlant la fabrication d'une protéineprotéine d'intérêt, en injectant des virusvirus activateur ou inhibiteur de certains neurones, en faisant répondre l'activation de certaines molécules à une source lumineuse, etc. », précise François Tronche. Désormais, le champ des études neurocomportementales se diversifie et explore de nouveaux phénomènes délaissés jusque-là comme l'effet du soulagement au stress.
L’effet récompense du soulagement au stress
Il y a dans notre système nerveux un réseau de structures cérébrales, dont le striatum, et l'aire tegmentale ventrale qui participe aux mécanismes de récompense lors de certaines situations. Par exemple, lorsque vous mangez, tisser des liens sociaux ou consommer certaines substances. La nature de cette récompense est biologique et se traduit sous forme chimique. Elle ne se réduit pas à la présence de dopamine, qu'on nomme souvent neurotransmetteurneurotransmetteur du plaisir car elle joue un rôle central dans ces processus.
Les chercheurs voulaient savoir si le soulagement qu'un animal peut ressentir juste après un stress joue sur ce système la récompense. C'est le cas. Prenez deux pièces qu'une souris distingue facilement. Si, juste après un stress, dans ce cas le fait d'être enfermé dans un tube étroit, vous la libérez systématiquement dans la même pièce, elle va développer une préférence pour cet espace. Vous pouvez l'observer en lui laissant le choix, quelques jours plus tard, d'aller librement, cette fois, dans l'une ou l'autre pièce. Elle choisira celle dans laquelle elle a été habituellement libérée. Avec des souris contrôles, qui n'ont pas été stressées, cette préférence ne se développe pas : « ce type d'expériences, appelées "préférence de place conditionnée" a été très utilisé pour l'étude sur de l'addiction aux drogues. Par exemple, donnez de la morphine à une souris, et placez-la dans une des deux chambres, plusieurs fois de suite et laissez-lui le choix ensuite de se promener dans l'une ou l'autre chambre. Elle passera beaucoup plus de temps dans celle où elle a eu cette expérience plaisante de recevoir de la morphine. Dans l'article, les auteurs comparent d'ailleurs les deux. La prise de morphine et l'arrêt d'un stress désagréable provoquent une préférence de place similaire. Ils montrent également que la fenêtrefenêtre de temps qui permet cet effet conditionnant est courte ; il faut le faire dans les cinq minutes qui suivent l'arrêt du stress, après c'est trop tard », analyse François Tronche.
La cartographie neuronale (incomplète) du soulagement au stress
Après avoir vérifié que le soulagement au stress aboutissait à une récompense, les chercheurs ont disséqué les mécanismes neuronaux sous-jacents. Ils ont montré que bloquer pharmacologiquement l'action de la dopaminedopamine endiguer cet effet. Ils se sont donc concentrés sur le système dopaminergique. Il comprend l'aire tegmentale ventrale (ATV), les neurones dopaminergiques qui projettent vers le noyau accumbensnoyau accumbens dans lequel ils libèrent de la dopamine.
Si vous exposez de façon répétée des individus à des stress répétés, comme celui de contention, utilisé ici chez la souris, vous allez induire chez certains d'entre eux des comportements de type dépressif comme la résignation ou la perte de plaisir : « En jonglant avec des outils permettant de cibler précisément un type cellulaire (système Cre/loxP), de contrôler l'activité neuronale (optogénétiqueoptogénétique), de mesurer in vivoin vivo la libération de dopamine grâce à des sondes fluorescentes, etc., cette équipe démontre que le soulagement au stress active les neurones dopaminergiques de l'ATV et que cette activation est corrélée à la magnitudemagnitude de la préférence de place conditionnée. Les projections de ces neurones sur des sous-régions du noyau accumbens vont pour certaines bloquer l'apparition d'une résignation, et pour d'autres la perte de plaisir », s'enthousiasme François Tronche sur la beauté de cette manipulation expérimentale.
Il existe donc une spécificité comportementale de ces différentes voies neuronales. Toutefois, devant la beauté de ces résultats, François Tronche nous met en garde, avec humour, contre des conclusions trop hâtives : « ce n'est pas parce que ces deux régions répondent bien aux tests effectués, que l'on a cartographié l'ensemble des tenants et des aboutissants du soulagement au stress. C'est un peu la blague du type qui a perdu ses clés dans la rue la nuit et qui les cherche uniquement sous les lampadaires car c'est le seul endroit où il y a de la lumièrelumière. C'est un peu la même chose ici. Cette étude montre que ces deux régions sont nécessaires, mais pas qu'elles sont nécessairement suffisantes ».
Renforcer les effets du soulagement pour combattre la dépression ?
Un stress répété, comme celui utilisé ici, induit un comportement de type dépressif chez certains individus alors que d'autres sont résilients. Le mécanisme décrit dans cette étude pourrait participer à cette variation interindividuelle. Une récompense forte, juste après l'arrêt d'un stress, pourrait peut-être faciliter la résiliencerésilience. Cela semble être le cas. Donnez-leur, juste après le stress, de l'eau sucrée ou du chocolat, ce qu'elles apprécient fort, et vous atténuez les manifestations dépressives. Des stratégies comportementales pourraient prévenir l'apparition de comportements de type dépressif. Est-ce que cela marcherait chez les humains ? Il faudra pour le savoir que des essais cliniques se penchent sur la question en évaluant la nature des récompenses utilisées et le type de population. Cette étude préclinique suggère que cela vaut la peine d'essayer.
Ce qu’il faut
retenir
- Le soulagement au stress a un effet de récompense.
- Plusieurs zones du cerveau sont impliquées dans ce phénomène comme l'aire tegmentale ventrale et le noyau accumbens.
- On peut renforcer l'effet du soulagement à l'aide d'une récompense externe, mais l'apport clinique de la recherche reste marginal.