Pour mieux se propager de cellule à cellule, certains virus installent une matrice collante à la surface cellulaire et s'y agrègent pour former un biofilm. Cette découverte d'une équipe française est une surprise et les premiers résultats montrent à l'évidence que l'on tient là une arme de plus contre les attaques virales.

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Des rétrovirus vus au microscope électronique à transmission, au milieu de cellules. A gauche, des HTLV-1 (virus T-lymphotropiques humains), à droite des HIV, ou VIH en français, vecteurs du Sida.  © CDC

Des rétrovirus vus au microscope électronique à transmission, au milieu de cellules. A gauche, des HTLV-1 (virus T-lymphotropiques humains), à droite des HIV, ou VIH en français, vecteurs du Sida. © CDC

De nombreux micro-organismes, comme les bactéries, les algues ou les champignons, savent s'agglutiner sur une surface en s'y collant par une sécrétion adhésive. Ces biofilms ont une importance toute particulière chez les bactéries qui en créent un peu partout, par exemple sur la paroi de notre intestin, celle des éprouvettes ou des bassins de piscine, celle des prothèses ou des boîtes de conserve ouvertes depuis longtemps, etc. Les scientifiques ont découvert depuis longtemps que les biofilms constituent pour les bactéries des refuges, à l'instar des terriers pour les lapins. La protection est si efficace qu'elle peut tenir tête à une action thérapeutique ayant fait ses preuves face à des bactéries en solution.

A la surprise générale, les virus, ces êtres qui ne respirent pas, qui ne se nourrissent pas, qui ne savent pas se reproduire tout seuls, chez qui on n'observe aucun métabolisme et qui ne correspondent donc pas à la définition d'un être vivant, les virus, donc, savent eux aussi fabriquer des biofilms. C'est ce que viennent d'expliquer des chercheurs de l'Institut Pasteur et du CNRS, dirigés par Maria-Isabel Thoulouze et Andrés Alcover.

L'équipe a mis en évidence des agrégats de virus HTLV-1 (Human T cell leukemia/lymphoma virus type 1), ou virus T-lymphotropiques humains. Vecteur de la leucémie et du lymphome T, ce parasite est également à l'origine de multiples pathologies, particulièrement en zones tropicales. Il serait présent chez 15 à 25 millions de personnes. On l'accuse aussi d'intervenir dans des maladies inflammatoires chroniques, comme les dermatites et les myosites. Le HTLV-1 est un rétrovirus (comme le VIH du Sida). Son matériel génétique est donc constitué d'ARN et non d'ADN.

Adhérer pour mieux contaminer

Les biofilms découverts par cette équipe se trouvent à l'extérieur de la cellule infectée, sur sa surface. Ils adhèrent grâce à une matrice adhésive fabriquée... par la cellule elle-même. En fait, la protéine collante est synthétisée grâce à l'action d'un gène fabriqué à partir de l'ARN du virus lui-même. Cette délégation n'a rien de surprenant. Le parasite, en effet, pénètre dans la cellule et son ARN est copié sous forme d'un morceau d'ADN (grâce à une enzyme appelée transcriptase inverse, qui effectue l'inverse du travail classique de lecture d'un gène). Cet ADN viral s'incorpore au matériel génétique de la cellule et ses gènes sont lus et exprimés avec tous les autres. C'est ainsi que la cellule se met à fabriquer des virus tout neufs. En prime, HTLV-1 fait fabriquer aussi cette substance collante qui servira à tapisser la surface extérieure avec une collection de virus.

Or, on savait déjà que, à l'intérieur de l'organisme, ce virus se transmet de cellule à cellule, par contact direct. Ces biofilms doivent donc jouer un rôle primordial pour la propagation, ces plaques collantes de virus pouvant passer d'une cellule à l'autre à la manière du fameux sparadrap du capitaine Haddock. Les chercheurs français l'ont clairement démontré. En parvenant à détruire ce biofilm, ils ont réduit le taux d'infection virale de 80%.

Le travail de ces chercheurs est désormais de mieux comprendre la formation de ce biofilm et de vérifier son existence chez d'autres virus. Ils pourraient ainsi ouvrir une voie à des thérapies anti-virales d'un nouveau genre.