au sommaire
La variole, maladie liée au virus du même nom, a été l'une des grandes tueuses de l'histoire de l'humanité avec, pour les seuls deux derniers siècles, plusieurs centaines de millions de morts. Des chercheurs s'inquiètent d'un possible retour d'une épidémie de cette redoutable maladie.
En effet, au cours de l'été 2016, les températures record ont fait fondre le pergélisolpergélisol trois fois plus vite que d'habitude et la hausse du niveau de l'eau de la rivière Kolyma a accéléré l'érosion de ses rives près desquelles furent enterrées de nombreuses victimes de la variole. Même si, pour l'instant, le risque est faible, soulignent les spécialistes, il faut être vigilant.
« C'est une recette pour un désastre, a commenté Sergey Netesov de l'université de l'État de Novossibirsk. Si vous commencez à avoir l'exploration industrielle dans la région, les gens vont commencer à se déplacer autour des couches de pergélisol profondes. Avec l'exploitation minière et le forage, ces anciennes couches seront pénétrées et c'est de là que le danger viendra ». Le chercheur souligne que « s'il est vrai que ces virus survivent de la même manière que les virus amibe, alors la variole n'est pas éradiquée de la planète, mais seulement de la surface ».
Signalons aussi que le même été, la carcasse d'un renne victime de l’anthrax a refait surface en Sibérie en raison de la fontefonte de plus en plus importante du pergélisol. L'évènement, loin d'être anodin, a défrayé les chroniques car le virus fit une victime humaine (un enfant) et tua plus de 2.300 rennesrennes.
Représentation du virus de la variole. © decade3d - anatomy online, Shutterstock
Les modes de propagation de la variole sont peu connus
EndémiqueEndémique dans le monde entier à partir du XVIIIe siècle, la variole est responsable de la disparition de nombre de populations autochtones en Amérique, en Afrique et en Asie. Grâce à la généralisation de la vaccination, entamée dès le début du XIXe siècle par le médecin anglais Jenner, elle a pu être considérée comme éradiquée par l'Organisation mondiale de la santéOrganisation mondiale de la santé (OMS) en 1979. Seuls deux laboratoires, un russe et un américain, en gardent toujours des souches afin de pouvoir lutter contre le bioterrorisme.
Malgré de nombreux travaux, les origines et les modes de propagation de la variole sont peu connus. Elle aurait pu apparaître voilà plus de 4.000 ans en Égypte, au Moyen-Orient ou dans la vallée de l'Indus. Elle semble avoir sévi dans les premiers temps de notre ère en Chine et en Europe, mais les souches les plus anciennes dont disposent les chercheurs sont celles isolées au début des années 1950 sur des patients vivants.
L’un des cercueils, en bois, retrouvés en Iakoutie (nord-est de la Russie). Mesurant 3,14 m de longueur pour 1,10 m de large et 78 cm de hauteur, il contenait cinq corps, repérés sur cette image par des lignes colorées et des numéros. On y voit les corps de trois femmes (2, 3 et 4), dont l’une (2) avait moins de 23 ans et l’autre (4), plus de 30. Elles sont accompagnées d’un garçonnet de 5 ans (1) et d’un enfant de moins de 4 ans (5). © P. Biagini et al., New England Journal of Medicine
Une victime de la variole au XVIIIe siècle
En raison des centaines de millions de morts dont le virus est responsable, les scientifiques espéraient depuis de nombreuses années retrouver des fragments d'ADNADN de souches plus anciennes dans des corps de personnes décédées au cours d'épidémies à l'époque historique. C'est désormais chose faite grâce à une découverte réalisée en 2004 dans le nord sibérien par une équipe de chercheurs des universités du Nord-Est à Iakoutsk (Russie), Toulouse III – Paul Sabatier, Aix-Marseille et du CNRS, soutenue par le ministère des Affaires étrangères.
Cette année-là, les anthropologues mirent au jour une riche sépulturesépulture de l'élite datée du début du XVIIIe siècle qui comportait cinq sujets inhumés simultanément. Les premières études, initiées par les professeurs Éric Crubézy et Bertrand Ludes qui dirigeaient à la fois les fouilles et les études en laboratoire, portèrent sur les liens de parenté de ces sujets grâce aux techniques de l'ADN ancien. Il apparut ainsi qu'il s'agissait des membres d'une même famille. L'autopsieautopsie, réalisée quelques années plus tard sur le corps le mieux conservé, stocké dans un congélateur à l'université d'Iakoutsk, montra que le sujet était décédé avec du sang dans ses poumonspoumons. Parmi plusieurs causes possibles, la variole fut alors envisagée mais il fallait trouver un laboratoire susceptible de pouvoir étudier le virus, ce que permit la collaboration avec le docteur Philippe Biagini, virologiste d'Ades.
Un long travail commença, unissant ces deux laboratoires auxquels s'associa rapidement celui de l'université de Copenhague. Même si les scientifiques ne croyaient guère à une possible conservation du virus, il fallut démontrer que si on pouvait mettre des séquences de son ADN en évidence, celles-ci étaient trop dégradées et petites pour être potentiellement dangereuses.
Les tombes dont les corps recelaient des restes du virus de la variole ont été découvertes en Iakoutie, à l'est de la Sibérie, dans trois régions (marquées par les ellipses rouges). © université Paul Sabatier
Le code génétique du virus reconstitué informatiquement
Finalement, des petits fragments de l'ADN furent détectés et une partie du code génétiquecode génétique du virus reconstituée informatiquement. Les résultats de cette étude furent publiés en novembre 2012 dans le New England Journal of Medicine. Il apparaît que si une partie de l'information génétique a relativement peu changé au cours des trois derniers siècles, la souche impliquée (qui pourrait être responsable de la disparition d'une partie de la population iakoute de l'époque) n'était pas connue des chercheurs à ce jour. Elle permet de reconsidérer l'histoire de l'évolution de cette maladie. Les données obtenues permettent aussi d'évaluer les vitessesvitesses d'évolution des virus, éléments d'importance lors de la mise au point de vaccinsvaccins contre les agents viraux.
Désormais, les chercheurs espèrent pouvoir étudier d'autres fragments d'ADN, voire parvenir à assembler informatiquement tous les morceaux de l'ADN du virus. En dehors de la virologie, ces études s'intègrent à des débats plus larges autour de la relation biologie-culture et des relations entre archéologie, histoire et biologie où l'histoire de la Iakoutie tient une place de choix en raison des études permises sur les corps gelés inhumés dans le pergélisol.
Ce travail est le fruit d'une collaboration internationale pluridisciplinaire coordonnée en France par le laboratoire d'Anthropologie moléculaire et d'imagerie de synthèse (AMIS, université Toulouse III - Paul Sabatier, CNRS et université de Strasbourg) et le laboratoire Anthropologie bioculturelle, droit, éthique et santé (Aix-Marseille Université, CNRS, et Établissement français du sang).
L'université fédérale du Nord-Est à Iakoutsk, l'Académie russe des sciences et le Muséum d'histoire naturelle de l'université de Copenhague ont également participé à cette étude, qui a réuni des anthropologues, des virologistes, des médecins légistes, des histologistes, des généticiensgénéticiens, des archéologues et des historienshistoriens. Elle a également bénéficié du soutien du laboratoire international associé France-Russie Coévolution Homme/milieu en Sibérie orientale (Cosie, université Toulouse III - Paul Sabatier, CNRS, université de Strasbourg, l'université fédérale du Nord-Est et l'université médicale de Krasnoïarsk), du ministère français des Affaires étrangères et de l'Institut polaire français Paul-Émile VictorPaul-Émile Victor.