Comme le système immunitaire ou le cerveau, les glandes endocrines sont douées de mémoire. Chez la souris, des chercheurs de l'Inserm et du CNRS viennent de montrer qu'au moment de l'allaitement, les cellules endocrines hypophysaires forment un réseau durable entraînant une lactation plus efficace lors des portées suivantes.

au sommaire


    Durant l'allaitement, les cellules de l'hypophyse forment un réseau pour faciliter la lactation pour les portées suivantes chez les souris. Peut-on extrapoler à l'espèce humaine ? © Annie Stoner, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Durant l'allaitement, les cellules de l'hypophyse forment un réseau pour faciliter la lactation pour les portées suivantes chez les souris. Peut-on extrapoler à l'espèce humaine ? © Annie Stoner, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Quand on vous parle de mémoire, vous pensez au cerveau ! Peut-être aussi à notre système immunitaire qui garde en mémoire certaines informations pour réagir de manière plus efficace lorsqu'un virus ou une bactérie nous infecte une deuxième fois. Mais auriez-vous imaginé que nos glandes endocrines se souviennent également de certaines choses ?

    À l'instar du cerveau, une équipe de chercheurs de l'Inserm et du CNRS dirigée par Patrice Mollard à l'institut de Génomique fonctionnelle (Montpellier) vient de montrer, chez la souris, que les cellules endocrines hypophysaires régulant la lactation s'organisent en réseau lors d'un premier allaitement. Ce réseau est alors conservé, comme « mis en mémoire » pour être encore plus opérationnel lors de l'allaitementallaitement d'une seconde portée. C'est la première fois qu'une forme de mémoire dans le système endocriniensystème endocrinien est mise en évidence.

    Ces travaux font l'objet d'un article publié dans la revue Nature communications datée du 3 janvier 2012.

    La mémoire du système endocrinien jusque-là insoupçonnée

    La plasticitéplasticité des systèmes biologiques permet à des organismes de modifier dynamiquement leur physiologie de façon à s'adapter aux conditions environnementales existantes. Au niveau cellulaire, ce processus est associé habituellement au système immunitairesystème immunitaire ; au niveau tissulaire, il a été caractérisé il y a plusieurs années dans le cerveau et est au cœur d'une intense recherche en neurobiologie.

    La prolactine, dont on voit ici la structure tridimensionnelle, est sécrétée par la partie antérieure de l'hypophyse  et intervient dans la croissance mammaire et la stimulation de la synthèse du lait chez les mammifères. © BorisTM, DP

    La prolactine, dont on voit ici la structure tridimensionnelle, est sécrétée par la partie antérieure de l'hypophyse  et intervient dans la croissance mammaire et la stimulation de la synthèse du lait chez les mammifères. © BorisTM, DP

    En dehors de ces deux systèmes permettant de garder en mémoire des informations à long terme, rien n'indiquait que d'autres cellules pouvaient fonctionner de façon similaire. 

    L'hypophysehypophyse est un organe qui constitue un modèle idéal pour vérifier cette hypothèse car elle comprend des populations distinctes de cellules endocrines organisées en réseaux et qui régulent une multitude de fonctions physiologiques par la sécrétionsécrétion de différentes hormoneshormones.

    Les cellules endocrines établissent un réseau

    L'équipe de Patrice Mollard à Montpellier a travaillé avec celle de Paul Le Tissier à Londres (NIMR-MRC) afin de déterminer si les réseaux de cellules endocrines possèdent des capacités de mémorisation. Ils ont pris comme modèle les cellules qui sécrètent la prolactineprolactine (l'hormone de la lactation). La sécrétion de prolactine commande un éventail de réponses cruciales pour permettre de nourrir des souriceaux, comprenant la production de lait. 

    La production de prolactine et donc de lait maternel chez la souris est stimulée d'une part, par la levée d'un signal inhibiteur (dopaminergique) provenant du cerveau et d'autre part, par le phénomène de tétée. Grâce à l'imagerie calcique à deux photonsphotons (microscopie à fluorescence consistant en la stimulationstimulation des atomesatomes de calciumcalcium par deux photons), les chercheurs ont pu distinguer les interactions entre les cellules productrices de prolactine, avant, pendant et après une période d'allaitement. 

    Avant l'allaitement, ces cellules sont faiblement connectées les unes aux autres. Au moment de l'allaitement, les cellules répondent à la lactation en augmentant la communication intercellulaire coordonnée, la connectivité fonctionnelle et la production tissulaire.

    Ces illustrations montrent l'effet de l'allaitement sur les cellules hypophysaires excrétrices de prolactine. Le réseau se forme à l'allaitement et se maintient après le sevrage de la portée. © David Hodson, <em>Nature comunications</em>

    Ces illustrations montrent l'effet de l'allaitement sur les cellules hypophysaires excrétrices de prolactine. Le réseau se forme à l'allaitement et se maintient après le sevrage de la portée. © David Hodson, Nature comunications

    Aujourd'hui la prolactine, et demain ?

    L'originalité de cette découverte réside dans le fait que trois mois après le sevragesevrage, le réseau reste en place, comme s'il avait été mis en mémoire. « Par la suite, explique Patrice Mollard, un même stimulus (tétée) entraînera une réponse plus coordonnée et plus efficace. Le réseau sécrétera plus de prolactine et provoquera à nouveau un accroissement de la production tissulaire. »

    Toutefois cette mise en réseau ne se produit pas si la puissance du stimulus de tétée est réduite. Chez les souris dont les portées sont souvent importantes (8 petits par portée en moyenne), si seuls 3 petits sont mis à la tétée, le stimulus est trop faible pour déclencher cette mise en réseau.

    C'est la première fois que des chercheurs mettent en évidence une forme de mémoire dans un tel système. « Il ouvre un champ des possibilités assez immense. Nous pensons que cette découverte pourrait notamment s'appliquer à d'autres systèmes endocriniens tels que celui des cellules bêtacellules bêta pancréatiques et les cellules endocrines du tractus gastrogastro-intestinal » concluent les auteurs.